Dans la ville frontalière de Zahony, plus de 200 personnes sont hébergées dans le lycée technique reconverti en centre d'accueil. "Nous sommes seuls", a confié à InfoMigrants le maire de la ville. Crédit : InfoMigrants
Dans la ville frontalière de Zahony, plus de 200 personnes sont hébergées dans le lycée technique reconverti en centre d'accueil. "Nous sommes seuls", a confié à InfoMigrants le maire de la ville. Crédit : InfoMigrants

En Hongrie, le Premier ministre pro-russe et anti-migrants Viktor Orban a mis de l’eau dans son vin depuis le début de l’offensive russe en Ukraine en acceptant d’ouvrir ses portes aux déplacés venus du pays voisin. Pour les accueillir, les Hongrois font preuve d’une grande solidarité mais le gouvernement, lui, ne s’engage que prudemment, a expliqué à InfoMigrants, Gruša Matevžič, juriste au sein du Hungarian Helsinki Committee. Entretien.

"Nous sommes prêts à les accueillir et nous saurons relever le défi rapidement et efficacement", déclarait Viktor Orban, dès de début de l’offensive russe, fin février, au sujet des personnes fuyant l’Ukraine pour la Hongrie.

Plus familier des diatribes anti-migrants que des messages d’accueil, le premier ministre hongrois – candidat à sa réélection lors des élections d’avril prochain – a dû mettre de l’eau dans son vin, mettant en avant ce qui différencierait, selon lui, réfugiés et migrants.

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"Nous ne vivons pas dans un Occident confortable, nous avons vécu au milieu de difficultés, pas seulement maintenant mais tout au long de notre histoire, c'est pourquoi nous sommes capables de faire la différence entre qui est un migrant et qui est un réfugié", a-t-il déclaré à la chaîne Al-Jazeera, le 3 mars, lors d’une visite du centre d’accueil de Beregsurany, tout près de la frontière avec l'Ukraine.

Pourtant, dans ce lieu et comme dans les autres qui ont été ouverts en urgence, c’est sur la société civile et les municipalités que repose l’accueil des exilés. Une conséquence de sept ans de politique anti-immigrés dans le pays, selon Gruša Matevžič, juriste au sein du Hungarian Helsinki Committee, une organisation de défense des droits humains fondée en 1989 et impliquée dans l’accueil des exilés.

InfoMigrants : Qu’est-ce qui a été mis en place en Hongrie depuis le début du conflit en Ukraine pour accueillir les déplacés ?

Gruša Matevžič : Quand la guerre a commencé, le 24 févier, le gouvernement n'a rien mis en place [pour l’accueil des déplacés, ndlr], donc sans les municipalités et la société civile, les gens se seraient retrouvés à la rue. Elles ont mis à disposition leur écoles, leurs salles communes, les campus des universités etc. Encore maintenant, la majorité des personnes sont logées par la société civile.

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Pendant des années, le gouvernement hongrois a délibérément fermé les centres d’accueil, les uns après les autres. Il n'en reste aujourd’hui que deux, situés vers la frontière avec la Slovaquie, mais ils ne sont pas utilisés actuellement pour accueillir les gens d'Ukraine.

Tout récemment, le gouvernement a fini par agir pour loger les personnes arrivées d'Ukraine. C'est l’organisme hongrois en charge des catastrophes qui héberge les réfugiés dans certains endroits. Ça peut être des logements pour étudiants, des salles de sport, des logements pour les ouvriers… Tout ce qu'ils trouvent de libre.

Les gens qui vont s’enregistrer à l'office de l'immigration et demandent la protection temporaire sont référés à cet organisme s’ils ont besoin d'un logement. Ils peuvent aller faire ces démarches dans n'importe quel bureau d'immigration.

IM : La population hongroise réagit-elle différemment à l’arrivée des personnes venant d’Ukraine par rapport à l'arrivée des personnes originaires du Moyen-Orient en 2015-2016 ?

GM : Je ne vois pas vraiment de différence parce que, déjà en 2015, la population hongroise s'est mobilisée vraiment vite. Il y avait eu beaucoup d'aide et de volontaires à la gare de Budapest-Keleti (dans l’est de la ville). C'est à ce moment-là que la plupart des groupes d'aide, comme Migration aid, se sont formés.

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La différence entre avant et maintenant, c'est que pendant sept ans, le gouvernement a mis en place une propagande anti-migrants, avec des affiches, des spots télévisés à la tv etc. sur les dangers de l'immigration, comment les migrants prennent le travail des Hongrois et arrivent avec d'autres valeurs et d’autres religions. Malgré ce discours public très négatif sur immigration, les gens sont là, ils aident. Tout l'argent que le gouvernement a dépensé pour cette propagande négative n'a pas vraiment influencé la mentalité des gens.

IM : Le gouvernement fait-il une différence entre l’accueil des Ukrainiens et celui des personnes non-ukrainiennes qui vivaient dans le pays ?

GM : Jusqu’au 8 mars, les résidents étrangers qui vivaient en Ukraine avec un permis de résidence avaient droit à la protection temporaire en Hongrie. Mais un nouveau décret est entré en vigueur et exclut désormais ces profils de la protection temporaire.

Donc ce sont les règles générales de protection des étrangers qui s'appliquent et c'est un problème car, depuis mai 2020, il n'est plus possible de demander l'asile en Hongrie. Cela veut dire que ces personnes, même si elles ont peur de rentrer dans leur pays d'origine, ne pourront pas demander l'asile en Hongrie.

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Dans ce cas, la seule option, pour elles, est de se voir appliquer [la protection liée au] principe de non-refoulement. Mais ça ne donne pas beaucoup de droits, ce n'est pas comme l’asile ou la protection subsidiaire.

Ce qui est aussi problématique, c'est que [le décret] s'applique rétroactivement donc même les ressortissants des pays tiers qui ont déjà commencé la procédure d’obtention de la protection temporaire n'auront pas le droit de l'obtenir.

Je pense que les personnes non-ukrainiennes vont néanmoins continuer à être acceptées en Hongrie parce que le respect du non-refoulement s'applique à la frontière aussi. Les autorités ne peuvent pas refuser quelqu’un qui fuit la guerre en Ukraine. 

 

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