Trois passeurs kurdes irakiens, considérés comme les "têtes" d'un vaste réseau, ont été condamnés à des peines de prison ferme, vendredi. Ils acheminaient des bateaux et faisaient la navette entre les camps de migrants et les plages du nord de la France. Le groupe a organisé une vingtaine de traversées de la Manche par "small boats".
Ils étaient devenus des professionnels des traversées clandestines vers l'Angleterre. Trois Kurdes irakiens ont écopé de peines de prison ferme, vendredi 11 mars, à Dunkerque. Rizgar Hamed Amin, 35 ans, Saywan Yasin, alias "tonton Star", 39 ans, et Goran Tofiq, 27 ans, ont été reconnus coupables d'"aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'un étranger" en "bande organisée".
Pour mise "en danger de la vie d'autrui", les deux premiers - décrits par le ministère public comme "deux des têtes les plus importantes" d'un vaste réseau - ont été condamnés respectivement à 5 et 3 ans de prison, assortis d'une interdiction définitive du territoire français. Le troisième a écopé de 30 mois ferme.
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Les trois comparses acheminaient des bateaux et faisaient la navette entre les camps de migrants et les plages du littoral, dans le nord de la France. Entre le 5 mai 2021 et le 24 janvier 2022, le groupe a organisé une vingtaine de traversées à bord de "small boats", dont quatre passages dans la nuit du 4 août.
"Il y a eu trois naufrages"
Ces condamnations mettent à mal ce réseau aux membres d'ordinaire insaisissables. La police a d'abord été mise sur la piste de Rizgar Hamed Amin à la fin du mois d'avril. À l'époque, un vigile d'Auchan Grande-Synthe signale à la police qu'une Volkswagen Sharan - au nom d'Amin - semble embarquer des migrants et des jerricanes d'essence sur le parking.
Le véhicule est retrouvé sur le parking d'un hôtel Première Classe de Saint-Pol-sur-Mer, où l'intéressé loue une chambre en liquide. La voiture est tracée avec un GPS, des micros y sont installés, ainsi que dans ses chambres d'hôtel - il en change régulièrement.
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Dunkerque, Grande-Synthe, Wimereux, Equihen-Plage, Loon-Plage, Ambleteuse... Pendant huit mois, les enquêteurs suivent les balais des voitures entre les campements et les plages.
La surveillance "révèle que Rizgar Hamed Amin est la tête d'un réseau de passeurs", résume la présidente Muriel Marquet. "Il gère l'approvisionnement en bateaux" et "prend entre 1 500 et 2 000 [euros] par personne".
"Il est organisateur de traversées mais aussi commercial, puisqu'il recense et démarche de potentiels clients, échange avec des vendeurs de matériel nautique", ajoute-t-elle. En garde à vue, il avait reconnu avoir organisé 14 passages, mais n'être qu'une petite main.
Sarcastique à l'audience, Rizgar Hamed Amin a affirmé n'avoir "pas fait grand-chose" et être victime de "trous de mémoire". "Ca le fait rire, visiblement. Moi pas, car il y a eu trois naufrages", a asséné la représentante du ministère public, Pauline Abry.
L'un d'eux s'est produit quelques jours avant celui qui a causé, le 24 novembre, la mort d'au moins 27 migrants, dont un adolescent et 3 enfants, et suscité une vague d'indignation.
"On s'est posé la question de savoir si ce n'était pas ce réseau-là qui était à l'initiative de ce bateau", a relevé Pauline Abry.
"Ce ne sont pas forcément des 'salauds de passeurs'"
S'il n'a pas contesté les faits et même reconnu le "travail colossal et minutieux des enquêteurs", l'avocat d'Amin, Me Julien Delarue, a de son côté estimé que les accusés "ne sont pas la cause du malheur des migrants".
"L'Angleterre, des gens en rêvent. Pour ces gens-là, [les accusés] sont indispensables. Ce ne sont pas forcément des 'salauds de passeurs'", a-t-il défendu.
Goran Tofiq, déjà condamné deux fois pour des faits similaires, a d'ailleurs expliqué qu'il faisait "ça pour un ami", mais qu'il n'a "jamais touché un euro".
L'argent, c'est pourtant le nerf de la guerre, reprend Pauline Abry : "Le bateau coûte environ 6 000 euros. Chargé, il rapporte environ 50 000 euros, dont 35 000 euros de bénéfices. Un ou deux bateaux qui passent, c'est le jackpot !"
"Parfois tu gagnes, parfois tu perds"
Ces derniers temps, la taille des bateaux utilisés pour les traversées de la Manche a augmenté, les passeurs voulant maximiser chaque passage. Alors qu'elles ne transportaient auparavant qu'une dizaine de personnes, certaines de ces embarcations ont maintenant plus d'une vingtaine de migrants à bord, avait expliqué David Fairclough, membre de l'équipe d'enquête criminelle et financière du Home office (équivalent du ministère de l'Intérieur britannique) au Royaume-Uni, à la presse britannique, fin février.
Et ce changement s'est accompagné d'une hausse des prix des traversées, "passés de 2 000 livres à 4 500 ou 5 000 livres [soit d'environ 5 300 ou 5 900 euros]" par personne.
Un business juteux assimilé, ni plus ni moins, à un jeu de hasard. Lors d'une virée à Lyon pour aller acheter de la cocaïne, le micro caché dans la voiture d'Amin avait capté cette confidence à un passager : "J'ai déjà fait passer quelques groupes mais j'ai déjà tout dépensé parce qu'une voiture a été arrêtée", le matériel saisi. "Ce travail, c'est comme le casino. Parfois tu gagnes, parfois tu perds", avait rétorqué son passager.