L’acheminement de blé depuis l’Ukraine est fortement perturbé et cela inquiète à des milliers de kilomètres de Kiev. En Tunisie, la pénurie de farine avait débuté avant la guerre. Étranglé financièrement, l’État peinait déjà à payer ses commandes de blé. Maintenant que le prix des céréales explose, les craintes redoublent dans un pays qui a connu par le passé des émeutes du pain.
La priorité de l’État est de de continuer à fournir les boulangeries en farine où 80% du blé tendre qui sert à la confection des baguettes est importé. Dans cette boulangerie tunisoise, la dernière fournée est prête. Mohamed, le boulanger, sait déjà que ses clients n’en feront qu’une bouchée. "Là, il y a 220 baguettes. Le Tunisien aime le pain bien chaud (rires). Aux heures de pointe, les 220 baguettes partent en 5 à 10 minutes ! "
Dans cette boulangerie du Kram, quartier populaire de Tunis, le ballet des clients est incessant. Ici, on vend 5 000 baguettes par jour, devant nos yeux, certains repartent avec cinq, huit et même 25 baguettes ! Sofiane, vendeur aux allures de robot, ne s’en étonne même plus.
"C’est comme ça, les clients me demandent quatre, cinq, six, sept baguettes alors qu’ils n’ont en besoin que de deux en réalité. Il y a une peur de manquer chez les Tunisiens."
Belgacem, un voisin acquiesce : "On fait pareil pour la farine, on va être tentés d’acheter quatre paquets pour les stocker. Pareil pour la semoule, on en met cinq de côté au cas où. Tout le monde fait cela surtout que le ramadan arrive et ce comportement aggrave les pénuries."
Le pain est subventionné par l'État
Alors que les petits pains partent à la vitesse de l’éclair, dans l’arrière-boutique, Mohamed regarde ses stocks avec un peu d’appréhension : "Là en face de nous, il y a soixante sacs de cent kilos de farine. Avec ça, je peux tenir jusqu’au 27 du mois. Il arrive désormais qu’on nous livre nos commandes de farine en deux fois au lieu d’une, ajoute Mohammed. La peur de ne plus avoir de farine et de devoir fermer boutique est bien là."
À l’inconnu des ravitaillements en farine, Mohamed doit aussi faire avec les retards de paiements. En Tunisie, le pain est très largement subventionné. Les boulangers vendent leur pain à un prix cassé, à charge de l’État de leur verser par la suite une compensation. Voilà pour la théorie.
"Cela fait un moment que l’on ne nous a plus versé les compensations. Cela devient compliqué pour nous. Les fabriques de farine étaient conciliantes jusqu’il y a peu. Elles nous permettaient de payer un ou deux mois plus tard, le temps que l’État nous paye les compensations. Là, s’inquiète Mohammed, au bout de onze mois d’impayés, les montants s’accumulent."
La guerre en Ukraine vient aggraver une situation déjà très délicate en Tunisie. Engluées dans une crise économique sévère, les autorités tunisiennes rejettent pour le moment la responsabilité de la crise des céréales sur de prétendus spéculateurs.
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Texte initialement publié sur : RFI