Mohsen* est né et a grandi à Téhéran. À la fois étudiant à l’université et professeur d’anglais, il a commencé à penser à quitter l’Iran il y a un an. Mais ce n’est qu’en janvier dernier, après avoir récolté la somme d’argent suffisante, que le jeune homme de 25 ans a pris la route, seul. Son objectif ? Atteindre le Royaume-Uni. Aujourd’hui, Mohsen patiente à Calais, en attendant de traverser la Manche. Pour InfoMigrants, il revient avec amertume sur les quelques jours passés à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.
"Après des jours de trajet en camionnette depuis la Turquie, quand nous nous sommes enfin arrêtés, nous étions dans la forêt, en Biélorussie. Avec les quelques personnes qui étaient à l’intérieur du véhicule avec moi, nous sommes partis à pied. Au bout de quelques heures de marche, on est tombé sur les garde-frontières biélorusses. Ils savaient que nous voulions traverser la frontière pour aller en Pologne, mais ils ne nous ont rien dit. Ils nous ont laissé faire. La seule chose qu’ils nous ont proposée, c’est de partir pour Minsk, pour prendre un avion et rentrer chez nous.
Farhad, un Irakien passé lui aussi par cette zone avait raconté à InfoMigrants que les garde-frontières biélorusses n’envisageaient que deux options pour les exilés : "Soit on passe en Pologne, soit on rentre dans notre pays". D'après lui, ceux qui souhaitent continuer leur chemin vers l’exil sont rassemblés et amenés à "un endroit qui est un point faible des Polonais". Ensuite, "[les Biélorusses] coupent la clôture pour faire passer les exilés".

Nous avons passé cinq jours et cinq nuits dans les bois, en Pologne. C’était horrible. Il faisait très froid, on avait faim et soif. Heureusement, des personnes croisées sur le chemin nous ont donné du pain et un peu de chocolat. Un jour, je ne sais plus lequel, les garde-frontières polonais nous ont vus et se sont approchés. Ils nous ont donné à boire pendant que l’un d’eux filmait la scène. Mais, une fois l’enregistrement terminé, l'homme qui filmait a emmené l'un de mes amis dans une fourgonnette. Il l'a frappé et lui a projeté du gaz lacrymogène dans les yeux.
"Mon ami qui a été gazé a toujours très mal aux yeux"
Les autres gardes ont frappé des exilés, moi j'ai échappé aux coups. Ils les battaient en criant 'Go back to Belarus !' et en leur disant de se taire. C’était très difficile d’assister à ça. Je ne pouvais pas faire grand-chose, à part leur dire d’arrêter, en anglais.
Les récits de migrants qui témoignent de la brutalité et du mépris des garde-frontières polonais – comme biélorusses – sont nombreux. À cause de ces refoulements, beaucoup de familles se retrouvent à errer dans la forêt, sans savoir où aller. Ces violences s’exercent aussi dans les centres fermés, où d’après le Commissaire polonais aux droits de l'Homme, les demandeurs d’asile sont soumis à "des traitements inhumains et dégradants".
Ils ont fini par nous laisser partir et on a pris une autre camionnette pour l’Allemagne. Moi j’ai continué jusqu’en France. Le trajet entre les deux pays m’a coûté 700 euros.
J'ai eu quelques nouvelles de mon ami qui a été gazé. Il a toujours très mal aux yeux, la douleur est présente tous les jours. Il a dû aller voir un médecin pour se soigner.
>> À (re)lire : Pologne : le Parlement légalise les refoulements de migrants à la frontière avec la Biélorussie
Aujourd’hui, après plus de deux mois sur la route, je vis à Calais mais je n’ai plus du tout d’argent pour me nourrir et me loger. J’ai épuisé toutes mes ressources. Mon père a vendu sa maison en Iran pour que je puisse partir, alors je ne peux plus demander d'argent à ma famille. Mais ici, sans argent tu ne peux rien faire. Et puis la police est partout. En une semaine, j’ai beaucoup bougé. Mais je compte bien fuir tout ça, et monter dans un petit bateau pour l’Angleterre. J’y suis presque".
*Le prénom a été modifié