Capture d'écran d'une séquence du film Flee.
Capture d'écran d'une séquence du film Flee.

Récemment nominé dans trois catégories aux Oscars et acclamé par la critique internationale, Flee (La fuite, en français) est un documentaire d'animation du réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen. Le film raconte le parcours de son ami Amin Nawabi, un réfugié afghan que le cinéaste a rencontré, adolescent, au Danemark. Plus de vingt ans après son arrivée en Europe, Amin a finalement raconté à Rasmussen son parcours, ses traumatismes, son homosexualité et accepté de voir sa vie portée à l'écran.

"Tout le monde à des secrets, grands ou petits, mais tout le monde en a. Un jour vient où le poids du secret doit être divulgué, pour avoir le cœur plus léger". C'est cette phrase qui a changé le cours de la vie de Jonas Poher Rasmussen, le réalisateur du documentaire danois d'animation Fleesorti en salle fin 2021.

Ce secret, c'est celui d'un ami de longue date, Amin Nawabi (nom d'emprunt). Un secret lié à son départ brutal d'Afghanistan, en 1995, et son arrivée au Danemark, seul.

"Nous nous sommes rencontrés adolescents et la connexion s'est faite de manière très naturelle. Il venait d'arriver dans mon village et avait été placé dans une famille d'accueil, où il a rapidement appris le danois", se rappelle Jonas Rasmussen. "On a vite commencé à passer du temps ensemble, mais je sentais que lorsque je voulais en savoir un peu plus sur son histoire et comment il avait débarqué ici, il se renfermait et me disait que c'était trop personnel. J'ai respecté son choix par amitié".

Le lien entre Amin et Jonas devient de plus en plus fort, et le futur réalisateur est l'un des premiers auprès duquel le jeune Afghan fait son coming out.

"J'ai toujours été très sensible à la question des migrants, à leurs parcours, leurs histoires de vie et au fait d'en parler, de les faire parler de cela. C'est une question importante de société. Il est très important pour les gens de savoir que leurs voisins, leurs amis ou les gens avec lesquels ils travaillent ou voient dans la rue chaque jour sont des gens qui ont parfois des passés traumatiques, afin que les gens aient de l'empathie et soutiennent les migrants"précise Rasmussen.

En 2013, Amin appelle Jonas et lui dit "qu'il veut parler de [son] histoire". Flee prendra sept ans à être préparé. Amin, lui, n'a qu'une demande : rester dans l'anonymat le plus complet. "Il m'a fallu beaucoup de temps pour m'ouvrir à l'idée de parler de mon histoire, mais je devais le faire un jour et Jonas m'a mis en confiance", souligne-t-il. Les deux hommes se mettent à écrire un scénario. Ils y racontent l'histoire de la vie de réfugié, le départ du pays natal, les traumatismes et l'homosexualité d'Amin, son histoire d'amour avec Kaspar, dans son pays d'accueil. 

Libérer la parole des réfugiés, et donner de la voix à la cause

S'en suivent de longues nuits de discussions et d'échanges, mais aussi d'écritures. Les deux amis se passionnent pour ce projet. "Je ne sais pas combien d'heures nous avons passé au total sur ce film, mais je pense que plus d'un aurait abandonné. Nous avons été portés par une envie énorme de donner à Amin la plus grande liberté qui soit pour raconter son histoire", souligne Rasmussen.

L'idée du documentaire d'animation surgit rapidement. "Après discussion avec Jonas, je souhaitais que le film soit accessible au plus grand nombre, et que le format soit original. L'animation donne une autre perspective, une autre manière de voir les choses, et je pense que les émotions, les paroles, les étapes racontées dans le film ont plus d'impact via les images d'animation que par un jeu d'acteurs. L'animation me permet aussi de garder complètement mon anonymat", précise Amin.

Dans le documentaire, toutes les étapes de la vie d'Amin sont racontées. De son départ de Kaboul en 1995, après la prise de la ville par les Moudjahidines, à son arrivée, après des semaines de voyage et de craintes d'être sous l'emprise de passeurs. "Des gens sans humanité, qui traitent les êtres humains comme du bétail", précise-t-il. "Toutes ces étapes, c'est beaucoup trop d'émotions, de traumatismes, de blessures profondes pour un seul être humain, encore plus pour un adolescent", dit-il. "Faire ce documentaire d'animation m'a permis de trouver une certaine paix intérieure. Je témoigne aussi pour libérer la parole des migrants et des personnes qui ont vécu la même chose que moi".

Pour Rasmussen, "Amin vit cette expérience de création cinématographique comme une sorte de thérapie, comme un moyen de se libérer de ses fantômes". Mais, le jeune homme "veut surtout que l'on parle de la cause des réfugiés" face à la xénophobie actuelle. "Même au Danemark qui était reconnu jusque là comme une terre d'accueil pour les migrants. Il faut tirer une sonnette d'alarme, redevenir humain en ayant de l'empathie et s'entraider, c'est le plus grand message de ce documentaire".

Aujourd'hui devenu professeur universitaire au Danemark, après un doctorat obtenu à l'université de Princeton, aux États-Unis, Amin se veut aussi une voix de la cause LGBT et ainsi briser un tabou. Car "le sujet est encore très sensible dans la société", précise le réalisateur. "Amin fait avancer le débat et pousse à ce que l'être humain fasse preuve de compréhension et de respect de l'homme, quelle que soit son origine, sa croyance, et ses orientations sexuelles. Il est anonyme, mais malgré cela, beaucoup de gens se reconnaissent en lui".

 

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