Le camp de Pournara est le seul centre d'enregistrement pour les demandeurs d'asile à Chypre. Crédit : Charif Bibi / InfoMigrants
Le camp de Pournara est le seul centre d'enregistrement pour les demandeurs d'asile à Chypre. Crédit : Charif Bibi / InfoMigrants

Il est le "cauchemar" de tous les demandeurs d'asile de Chypre. Créé fin 2019, le centre d'enregistrement de Pournara, le seul de l'île, accueille aujourd'hui plus de 3 000 personnes, pour une capacité de 1 000 places. Dans la structure complètement dépassée, les exilés manquent de tout : de nourriture, d'eau, d'hygiène...

Marlène Panara, envoyée spéciale à Chypre.

Devant une haute porte en fer surmontée d’un grillage, une vingtaine de personnes patientent, les yeux rivés sur l’autre côté. Il est 15h et la distribution de nourriture tarde. "Cela fait deux heures qu’on attend", soupire John, ancien employé dans une mine d’or au Libéria. Une voiture s’avance soudain au loin, à l’intérieur. Le groupe, qui grossit à mesure que les minutes passent, forme immédiatement une file d’attente compacte. Pour accéder plus vite au déjeuner, les exilés se poussent, des voix éclatent lorsque l’un d’entre eux cherche à passer devant les autres. Après un quart d'heure d’attente, la distribution commence et les sourires s’affichent sur les visages. Dont celui de John. "C’est un bon jour aujourd’hui pour les Africains : c’est du poulet !".

Ce rituel est devenu son quotidien. Depuis déjà plusieurs semaines, John vit dans le camp de Pournara, l’unique centre d’enregistrement des demandes d’asile à Chypre. Planté au milieu des champs à une dizaine de kilomètres de la capitale Nicosie, les exilés, en provenance du nord de l’île sous occupation turque, doivent s’y rendre une fois la Ligne verte franchie.


Chaque jour, les demandeurs d'asile se pressent pour la distribution de nourriture opérée par les employés du centre de Pournara, à Chypre. Crédit : InfoMigrants
Chaque jour, les demandeurs d'asile se pressent pour la distribution de nourriture opérée par les employés du centre de Pournara, à Chypre. Crédit : InfoMigrants


À l’intérieur, leur dossier est constitué, et les demandeurs d’asile sont soumis à divers examens médicaux. Mais la procédure, censée durer une quinzaine de jours maximum, prend, actuellement, plusieurs mois. En cause ? Le nombre toujours plus croissant d’arrivées. D’après le ministère de l’Intérieur, 100 personnes se présentent chaque jour devant les portes du centre. D’une capacité de 1 000 places, il accueille actuellement plus de 3 000 migrants, en majorité africains.

Une seule douche pour 300 personnes

Créé fin 2019 pour faire face à l’afflux de demandeurs d’asile, le camp de Pournara a rapidement atteint ses limites. "Sur le papier, c'était une bonne idée, admet Elizabeth Kassinis, responsable du centre pour migrants de Caritas à Nicosie. Il fallait un endroit où centraliser les dossiers de demandes d'asile, et où les personnes pouvaient, en attendant, rester quelques jours".

L'île de Chypre est divisée en deux depuis 1974. Le nord est sous occupation turque, le sud, grec, fait partie de l'Union européenne. Crédit : InfoMigrants
L'île de Chypre est divisée en deux depuis 1974. Le nord est sous occupation turque, le sud, grec, fait partie de l'Union européenne. Crédit : InfoMigrants


Mais plus de deux ans plus tard, l’endroit, surpeuplé, est devenu le "cauchemar" des exilés de l'île. En lieu et place des containers initiaux, la quasi totalité d’entre eux dorment désormais dans des tentes flanquées du logo du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), installées en urgence. Prévues pour six personnes, les migrants sont beaucoup plus à s’y entasser chaque nuit. John dort avec 18 personnes. "Je me couche en position fœtus, et je ne bouge plus". Olajide, un Nigérian de 27 ans arrivé à Pournara deux semaines plus tôt, préfère rester dehors. "Il n’y a plus de place du tout, alors je passe la nuit de l’autre côté du grillage. Nous n’avons pas de couvertures ou de sacs de couchage alors je dors à même le sol, sur la terre".

À l’intérieur, à cause de la surpopulation, les conditions d’hygiène sont déplorables. D’après le dernier rapport AIDA de l’ONG Refugee Cyprus Council, les 300 mineurs du camp "se partagent deux toilettes et une seule salle de douche". Collés au grillage, six cabinets de toilettes de chantier ont été posés à la hâte, au milieu des déchets. "C’est tellement sale, et on a si peu d’intimité qu’on préfère aller dans la brousse. Tout le monde fait ça ici", raconte John.

Fabrice, un ressortissant camerounais qui a quitté Pournara il y a quelques jours, se souvient "du froid cet hiver", "du manque de tout : intimité, nourriture, hygiène". "Le matin, pour le petit déjeuner, on avait un petit biscuit, sans eau. Pour le déjeuner, on nous distribuait enfin une petite bouteille. Les bons jours, il y avait une tartelette aux pommes, se souvient-il. Mais il n’y avait rien pour faire du thé la journée par exemple, alors qu’on n’a rien à faire, à part attendre. C’est comme une prison. Les gens deviennent fous, ils sont comme des lions en cage".

>> À (re)lire : "Une bombe prête à exploser" : à Chypre, le centre d’hébergement de Pournara sous le feu des critiques après la visite de députés

Des violences et des agressions éclatent régulièrement entre les occupants du camp, excédés. Début décembre, sept personnes ont été blessées dans des affrontements ayant impliqué quelque 300 migrants. En janvier 2021, une rixe entre des ressortissants syriens et africains avaient fait 25 blessés, admis à l'hôpital. L'affrontement avait duré près de sept heures.

"Trouver de l’eau, c’est notre obsession"

Un rapport du Commissaire aux droits de l’enfant publié en début d’année, qui dénonce les conditions de vie dans le camp pour les mineurs, a poussé le gouvernement à se rendre sur place, le 14 mars. Outre des transferts de plusieurs jeunes migrants dans des hôtels de l’île, le président Níkos Anastasiádis a promis, "à l’avenir", des conditions "plus humaines" pour tous les demandeurs d’asile. Notamment grâce à une réfection et à une expansion du centre, et à l’établissement de zones dédiées aux mineurs et aux personnes les plus vulnérables. Ces projets, d’un coût total de 20 millions d’euros, sont garantis par le mémorandum signé le 21 février entre Nicosie et l’Union européenne.


Dans le camp de Pournara, les demandeurs d'asile vivent dans des tentes surchargées. Certains préfèrent dormir dehors, à même le sol. Crédit : InfoMigrants
Dans le camp de Pournara, les demandeurs d'asile vivent dans des tentes surchargées. Certains préfèrent dormir dehors, à même le sol. Crédit : InfoMigrants


Pour les exilés actuellement dans le camp, aucun changement à court terme n’est prévu. Les déchets s’amoncellent maintenant au-delà de l’enceinte, à côté du linge étendu sur les barbelés. Et depuis deux semaines, les employés de Pournara ne distribuent plus d’eau. "Quand on a un peu d’argent, on achète une petite bouteille au camion-épicerie, posté à l’entrée. Mais sinon, on boit l’eau d’ici", explique Olajide, en pointant trois petits robinets cassés, posés à côté de l’entrée principale. "Elle n’est pas très bonne, mais on n’a que ça. En ce moment, trouver de l’eau, c’est notre obsession".

Pour Fabrice, Pournara, est désormais "une page à tourner". Mais il se souviendra toujours de ce Noël passé dans le camp. "Ce n’était pas prévu, je pensais sortir avant, souffle-t-il. Mais j’ai eu de la chance. Un ami, qui vit à Chypre, m’avait donné pour ce jour-là une bouilloire et un peu de nourriture. Surtout, il m’avait ramené un petit blouson un peu chic et des vêtements propres, pour le soir du réveillon".

 

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