Le pays manque cruellement de main d’oeuvre et veut rapidement insérer les réfugiés ukrainiens sur le marché du travail. Mais l'équation entre les besoins des entreprises et les attentes des réfugiés n'est pas évidente.
Contrairement à la Roumanie et la Hongrie, la République tchèque n’est pas considérée comme un pays de transit vers l’ouest de l’Europe par les réfugiés ukrainiens. Une fois arrivé dans le pays, nombreux sont ceux qui décident d’y rester.
De son côté, Prague espère que ces réfugiés pourront en partie contribuer à atténuer la pénurie chronique de main-d'œuvre. Pour l'instant, leur impact reste limité.
Avant la pandémie de coronavirus, la République tchèque a recruté pendant des années des travailleurs à l’étranger, notamment en Ukraine, pour faire face à la forte demande du marché. Cette course à la main d’oeuvre a repris aussitôt les restrictions liées à la pandémie levées.
Sous l'effet des bas salaires et de la faiblesse démographique, le taux de chômage tchèque est depuis des années le plus bas de l'Union européenne. En avril dernier, il n'était officiellement que de 3,3 %. Quelque 360 000 postes étaient vacants pour 250 000 chômeurs.
Avant le début de la guerre, près de 200 000 Ukrainiens vivaient et travaillaient dans le pays, sur une population d’un peu plus de 10,5 millions d’habitants. Depuis l’invasion russe, quelque 350 000 réfugiés sont arrivés dans le pays.
Le gouvernement tchèque fait tout pour faciliter leur intégration par un accès sans entraves au marché du travail et aux prestations sociales.
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Toutefois, les analystes rappellent que les Ukrainiens ne représentent qu’une goûte d’eau par rapport aux besoins immenses du marché du travail.
"Actuellement, ils pourraient tout au plus représenter environ 2 % de la population active", explique Daniel Munich, du Centre de recherche économique tchèque CERGE. "Ce ne sont pas des chiffres qui peuvent changer de manière significative la situation de l'économie tchèque."

Les hommes ukrainiens partent au combat
Selon l’Office tchèque de l’emploi, environ 50 000 réfugiés ukrainiens avaient trouvé un emploi à la mi-mai.
Dans le même temps, d’après Tomas Prouza de la Chambre de commerce tchèque, 10 % des hommes ukrainiens qui travaillaient dans le pays sont repartis en Ukraine pour combattre contre l’armée russe.
"Ces hommes étaient ici depuis des années. Ils étaient intégrés, bien qualifiés et étaient devenus des employés seniors de valeur", déploré-t-il. "Désormais, nous devons essayer de les remplacer par des novices qui doivent apprendre la langue et être formés."
Or, selon la loi ukrainienne en temps de guerre, la plupart des hommes ukrainiens sont obligés de rester dans le pays pour résister à l’invasion russe. Ainsi, la plupart des réfugiés sont des femmes et des enfants. Et selon les experts, les femmes seront davantage exclues de certains secteurs, comme l’industrie et les nombreuses usines qui exigent encore un travail physique difficile.
En revanche, d'autres secteurs de l'économie, comme les services, l'action sociale et la santé, pourraient profiter de ces nouvelles arrivées. Il en va de même pour les les hôtels et les restaurants, qui ont beaucoup de mal à trouver du personnel sous les effets de la pandémie.
Si en République tchèque les données sur ce secteur sont rares, des enquêtes menées dans des pays voisins confirment ce potentiel. En Pologne par exemple, 53 % des hotels et restaurants disent recevoir des candidatures de travailleurs en provenance d'Ukraine.

Besoin de travailleurs qualifiés
Les entreprises tchèques recherchent aussi désespérément à pourvoir des postes qualifiés.
Le groupe bancaire Moneta mène par exemple une campagne visant à recruter des Ukrainiens pour son département informatique.
Il est cependant probable que de nombreux réfugiés ne voient pas l'intérêt de passer par des processus de recrutement longs pour décrocher un emploi qualifié. Le temps de faire valider ses qualifications ukrainiennes ou encore d’atteindre un niveau avancé en tchèque peut sembler en décalage avec l’urgence de la situation.
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Olga est arrivée à Prague en mars pour rejoindre sa fille aînée après avoir fui sa maison dans l'est de l'Ukraine avec sa plus jeune fille. Comme elle ne parle pas le tchèque, cette architecte de 56 ans dit avoir eu du mal à trouver un emploi dans son domaine.
Les réfugiés "recherchent davantage des emplois à court terme, car ils pensent qu'ils rentreront bientôt chez eux", explique Viktor Najmon, directeur général du bureau tchèque du travail. "Par conséquent, même s'ils ont des qualifications spécialisées, ils sont intéressés par les professions manuelles. Et comme il faut s’occuper des enfants, ils préfèrent les possibilités d’horaires de travail en équipe."
Tomas Prouza de la Chambre de commerce, note toutefois que l’approche commence à changer à mesure que la guerre avance et que la fin du conflit semble s’éloigner. Il estime que les secteurs à la recherche d'employés qualifiés rencontreront plus de succès dans les mois à venir.

Pour Daniel Munich, du CERGE, "nous devons maintenant commencer l'intégration. Les réfugiés auront besoin d'un logement standard et d'une scolarité. Je ne suis pas sûr que le gouvernement soit prêt. Cela va devenir très difficile." Les cours de langue et de meilleurs solutions pour la garde des enfants font ainsi partie des défis que le pays doit relever.
De plus, la population tchèque risque de bientôt manifester un certain mécontentement avec le ralentissement de l'économie et l'inflation.
L'opinion potentiellement négative à l'égard des réfugiés s’est clairement vue lors de la crise des réfugiés de 2015 et les sondages suggèrent déjà que peu de Tchèques voient d’un bon oeil que les réfugiés ukrainiens puissent s’installer sur le long terme.
"Sans travail et sans école, la situation sociale et économique des réfugiés va empirer", prévient Daniel Munich. "La criminalité augmentera et les Tchèques pourraient devenir réticents à tolérer ou à financer cette situation."
Tomas Prouza voit le risque pour l’économie tchèque ailleurs, à savoir dans le chantier de reconstruction de l’Ukraine. Selon des enquêtes menées par la Chambre de commerce tchèque, un grand nombre d’Ukrainiens "qualifiés et intégrés" qui vivent et travaillent depuis longtemps en République tchèque déclarent que si un nouveau plan de reconstruction pour l'Ukraine est mis en œuvre après la guerre, ils rentreront chez eux pour y participer.
Auteur : Tim Gosling
Source : dw.com