En 2021, seules 1 662 personnes ont pu quitter la Libye via les mécanismes de réinstallation du HCR, sur environ 40 000 personnes inscrites. Crédit : OIM
En 2021, seules 1 662 personnes ont pu quitter la Libye via les mécanismes de réinstallation du HCR, sur environ 40 000 personnes inscrites. Crédit : OIM

En 2021, sur 40 000 inscrits, seulement 1 662 personnes ont pu quitter la Libye via les mécanismes de réinstallation du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés. Des chiffres très préoccupants pour Médecins sans frontières, qui déplore des critères d'éligibilité trop restrictifs. Seuls les ressortissants de neuf nationalités sont concernés par les vols retours organisés par le HCR. Ces restrictions poussent les migrants à prendre la Méditerranée sur des canots de fortune pour trouver la sécurité, au péril de leur vie.

"Un gardien nous a tiré dessus. Six personnes sont mortes et par chance j’ai survécu". "Tous les jours, les gardes viennent chercher des femmes dans les cellules, et les emmènent à l’extérieur. Ils nous violent devant les autres hommes". "En prison, les migrants sont frappés tous les jours par les gardiens, pour tout et n'importe quoi. Des gens meurent régulièrement à l'intérieur". Les témoignages d’Amadi*, Aminata* et Mahdi* recueillis par InfoMigrants ces derniers mois rendent compte des épreuves épouvantables qui attendent les migrants en Libye. Dans ce pays, traversé par des milliers d'exilés chaque année, le danger est partout. Et surtout dans les geôles, où ils subissent tortures en tout genre, extorsions et viols.

Pour fuir définitivement la violence - qui s'applique aussi dans les rues du pays - les migrants disposent d’une solution : les vols de rapatriement organisés par les Nations unies.

Le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) propose pour sa part des vols humanitaires et de réinstallation à destination de pays européens ou du Canada. Des évacuations sont également planifiées dans des pays transit comme le Niger et le Rwanda, qui permettent la mise à l'abri "des demandeurs d'asile et des réfugiés les plus vulnérables qui courent un risque imminent en Libye", explique Caroline Gluck, porte-parole du HCR en Libye.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) organise, elle, des vols dits "de retour volontaire" dans le pays d’origine. Entre deux et trois avions quittent la Libye toutes les semaines pour les pays d'origine des migrants, d'après l'agence. Depuis le début de l'année, 5 100 personnes sont rentrées chez elle de cette manière.


Le HCR et l'OIM proposent différents mécanismes d'évacuation depuis la Libye.
Le HCR et l'OIM proposent différents mécanismes d'évacuation depuis la Libye.


Des programmes en théorie salutaires pour les migrants en danger en Libye. Mais en réalité, très peu accessibles. C’est ce que déplore dans son dernier rapport Médecins sans frontières (MSF). Intitulé "Out of Libya", le document dénonce la "faiblesse" de ces mécanismes de protection, et en premier lieu le caractère beaucoup trop sélectif de ces programmes. Seules neuf nationalités sont par exemple, à ce jour, éligibles à un enregistrement pour un vol auprès du HCR. Et le dossier d'inscription n’est accessible qu’à un seul endroit dans tout le pays, Tripoli. Des conditions qui excluent une très grande partie des migrants installés en Libye.

Seules neuf nationalités concernées par les programmes de l'ONU

Ainsi, en 2021, "seules 1 662 personnes ont pu quitter la Libye via les mécanismes de réinstallation du HCR sur environ 40 000 personnes inscrites", indique MSF. En cinq ans, l'organisation onusienne a évacué ou réinstallé près de 8 000 réfugiés et demandeurs d’asile hors de Libye, la plupart au Niger ou au Rwanda. Un peu plus de 960 personnes ont été admises en Italie, précise MSF.

Une situation qu’impute Djamal Zamoum, chef de mission adjoint du HCR en Libye, aux autorités libyennes. "Tripoli n’est pas signataire de la Convention de Genève et considère les réfugiés sur son sol comme des migrants illégaux, explique-t-il. C’est pourquoi ils ne nous autorisent pas à inclure dans nos programmes plus que les neuf nationalités qu’ils considèrent comme 'vulnérables'". Ainsi, seuls les ressortissants palestiniens, yéménites, syriens, somaliens, érythréens ou soudanais ont une chance d’embarquer un jour dans les avions humanitaires ou de réinstallation.

Néanmoins, bien qu'il ne soit autorisé à traiter qu'avec neuf nationalités, "le HCR procède, à titre exceptionnel, à l'enregistrement d'un nombre très limité de réfugiés d'autres nationalités lorsqu'il s'avère que ceux-ci sont extrêmement vulnérables et exposés à des risques de violations accrus, ajoute Caroline Gluck. Le HCR continue de plaider pour que toutes les personnes demandant une protection internationale soient autorisées à s'enregistrer auprès de l'organisation en Libye".

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"Il faut aussi savoir que les vols humanitaires au départ de la Libye - y compris les vols de réinstallation - ont été bloqués pendant une grande partie de 2021 par la Direction libyenne de lutte contre la migration illégale (DCIM) qui relève du ministère de l'Intérieur, tient à souligner la porte-parole. Ils n'ont été autorisés à reprendre qu'en novembre, à la suite de multiples efforts de la part de hauts fonctionnaires de l'ONU et d'ambassadeurs étrangers". Un blocage auquel a également été forcé l'OIM. Jusqu'aux rafles perpétrées dans le quartier de Gargaresh en octobre dernier, les avions de l'organisation ont été cloués au sol plusieurs mois, sous couvert de crise sanitaire.

"Il n'y a pas de places pour tout le monde"

Contraint par les directives libyennes, le HCR l’est aussi par les pays d’accueil, pour la plupart européens. "Nous plaidons auprès de ces États pour qu’ils augmentent leurs quotas, assurent de concert Caroline Gluck et Djamal Zamoum. Car c’est aussi à eux de faire le nécessaire, de donner un signal clair en ce sens. Mais depuis quelques mois, à cause de la guerre en Ukraine, la situation s'est compliquée", regrette le chef de mission adjoint.

D’après lui, les pays européens se disent aujourd’hui "débordés" par l’afflux de déplacés ukrainiens. Jusqu’ici, un seul pays a donné son feu vert au HCR pour la réinstallation de 350 personnes, sur les 1 000 places disponibles au total en Europe : la Suède. "Le nombre de réinstallations possible est donc très limité, il n’y a pas de places pour tout le monde. Cela nous oblige à appliquer des critères de ciblage encore plus rigoureux".

Une attitude dénoncée également par MSF, qui exhorte les pays d’asile tiers à justement "accroître le nombre de places". "Nous pensons que les pays sûrs, notamment au sein de l’Union européenne, qui financent depuis des années les garde-côtes libyens et encouragent le retour forcé des migrants vers la Libye ont, au contraire, le devoir de faciliter la sortie et la protection, sur leur sol, de ces personnes victimes de violences", soutient Claudia Lodesani, responsable des programmes en Libye pour MSF.

>> À (re)lire : Libye : 93 exilés évacués vers l'Italie par un vol humanitaire

"En Italie, un corridor humanitaire a déjà été ouvert et permet la sortie d'un certain nombre de personnes en situation de grande vulnérabilité et ayant besoin de protection, notamment des patients de MSF en Libye. Ce type de mécanisme doit pouvoir être dupliqué dans d’autres pays sûrs", affirme-t-elle.

La Méditerranée comme seule échappatoire

En attendant, pour des dizaines de milliers de migrants présents en Libye, la seule échappatoire qui s'offre à eux reste la mer Méditerranée. Une option qu'envisage souvent Sarah, une exilée ivoirienne installée en Libye. Peu de temps après son arrivée dans le pays, la jeune femme a été emprisonnée dans une prison en banlieue de Tripoli. C'est la naissance de son fils, issu d'un viol dans ce même centre de détention, qui lui a rendu sa liberté. Depuis, elle survit mais n'ose plus sortir de chez elle, de peur d'une arrestation et d'un "nouvel enfer". "Je veux vraiment quitter ce pays et partir ailleurs, en Italie ou au Canada, avec mon enfant, affirme-t-elle. C'est une certitude. Mais pour l'instant ce n'est pas possible. Je n'ai pas assez d'argent pour prendre la mer".

De janvier à juin 2022, plus de 21 800 personnes sont arrivées en Italie par voie maritime, d’après l’OIM, et plus de 8 000 migrants ont été interceptés par les garde-côtes libyens et renvoyés dans le pays. L'an dernier, ils étaient plus de 32 000 à être contraints de retourner en Libye.

La Méditerranée centrale reste une des routes migratoires les plus meurtrières au monde : déjà 715 morts en essayant de rejoindre l’Europe par la mer depuis le début de l'année. En 2021, 1 552 personnes ont péri ou disparu dans cette zone, soit le nombre le plus important jamais enregistré depuis 2017.

*Les prénoms ont été modifiés.

 

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