Samedi 2 juillet, Resf a organisé un pique-nique dans le parc de Sceaux pour soutenir les jeunes apprentis étrangers qui ont reçu une OQTF. Crédit : InfoMigrants
Samedi 2 juillet, Resf a organisé un pique-nique dans le parc de Sceaux pour soutenir les jeunes apprentis étrangers qui ont reçu une OQTF. Crédit : InfoMigrants

Dans le département des Hauts-de-Seine, de plus en plus de jeunes majeurs étrangers, arrivés mineurs en France, reçoivent des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) malgré leur scolarisation et même, souvent, des promesses d'embauche. Les associations dénoncent un acharnement des autorités.

L'heure du déjeuner approche ce samedi 1er juillet et les pelouses du parc de Sceaux sont constellées de nappes de pique-nique. La section des Hauts-de-Seine du Réseau éducation sans frontière (Resf) a profité de cette journée ensoleillée pour convier bénévoles et jeunes étrangers à un grand pique-nique.

Ce moment de "convivialité militante" est le bienvenu car l'ambiance est plutôt morose ces derniers mois. Depuis 2020, les cas de jeunes étrangers majeurs, arrivés mineurs en France, et visés par une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès leur majorité, explosent. Entre 70 et 80 jeunes sont concernés depuis un an et demi dans ce riche département de l'ouest parisien, selon RESF. Tous sont pourtant protégés d'une expulsion, en théorie : ils ont signé un contrat "jeune majeur" avec l'Aide sociale à l'enfance (ASE), leur permettant de prolonger leur prise en charge par le département jusqu'à leurs 21 ans.

La situation n'a pas toujours été celle-là. "Avant octobre 2020, pour les jeunes de l'ASE, on avait que deux ou trois OQTF par an", se souvient Armelle Gardien, membre de Resf 92.

Malgré la protection supposée des contrats jeunes majeurs, les bénévoles de Resf estiment que l'ASE et la préfecture agissent souvent de concert pour que les jeunes restent dans l'illégalité, et n'obtiennent pas de titre de séjour à leurs 18 ans. Notamment en utilisant la circulaire dite Darmanin, du 21 septembre 2020 sur l'"examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l'Aide sociale à l'enfance".

Le texte donne la possibilité aux préfectures de prendre contact avec un jeune étranger pris en charge par l'ASE dans le but d'établir, avant même sa majorité, son droit au séjour. "Cet examen anticipé doit être présenté au mineur comme une possibilité qui lui est offerte par l'administration et non comme une obligation", précise la circulaire.

"On ne m'a pas laissé ma chance"

Mais, selon Armelle Gardien, les jeunes étrangers de l'ASE subissent "des convocations forcées". "L'ASE a imposé à ces jeunes, avant leurs 18 ans, de faire examiner leur situation en préfecture. Or, ils n'avaient pas, à ce moment-là, les six mois de formation professionnelle qualifiante nécessaire à l'obtention d'un titre de séjour", déplore la militante.

Résultat : malgré des signatures de contrats d’apprentissage, des jeunes se sont vus remettre une OQTF.

C'est le cas de Samassa. Ce jeune Guinéen de 19 ans a débuté, à la rentré scolaire de 2020, un CAP en boulangerie. "Quand je me suis inscrit, l'ASE m'a dit de passer à la préfecture pour avoir un récépissé et l'autorisation de travailler", raconte-t-il assis sur l'herbe.


Grâce au soutien de son patron, Samassa a pu poursuivre son apprentissage en boulangerie malgré l'OQTF reçue en novembre 2020. Crédit : InfoMigrants
Grâce au soutien de son patron, Samassa a pu poursuivre son apprentissage en boulangerie malgré l'OQTF reçue en novembre 2020. Crédit : InfoMigrants


En novembre 2020, le jeune homme reçoit une OQTF au motif qu'il ne peut pas justifier de six mois de formation professionnelle qualifiante. "Je venais de commencer. Il fallait me laisser le temps, je n'avais qu'une fiche de paie, s'indigne Samassa qui estime que la préfecture "ne [lui] a pas laissé [sa] chance". Son patron l'a soutenu et lui a permis de poursuivre son apprentissage bien qu'il n'ait pas obtenu d'autorisation de travail. "L'année dernière, il m'a accompagné pour tenter d'aller rencontrer le préfet. J'avais même préparé des croissants. Finalement, il n'a pas voulu nous recevoir sans rendez-vous", raconte Samassa.

Moussa, lui, voulait se lancer dans un troisième CAP de plâtrier, après deux formations en peinture et couverture. Mais l'apprentissage de ce grand jeune homme au visage encore adolescent est remis en question par l'OQTF qu'il a reçu en janvier. Motif évoqué par l'administration : ses parents vivent encore au Mali. La circulaire Darmanin invite bien les préfets à prendre en compte la "nature [des liens du jeune] avec la famille restée dans le pays d'origine", mais ne précise rien de plus sur cet aspect.

Partenariat entre la préfecture et le conseil départemental

Interrogée par InfoMigrants, la préfecture des Hauts-de-Seine reconnaît avoir mis en place un partenariat avec le conseil départemental, en 2021, "pour permettre un examen anticipé des situations administratives des jeunes approchant la majorité et pour les protéger" mais conteste le caractère obligatoire des rendez-vous. "Les jeunes qui le souhaitent sont reçus par des effectifs dédiés à ces examens", assurent les services de la préfecture.

Néanmoins, en un an, le nombre de mineurs non accompagnés reçus en préfecture est passé de 97 en 2020, à 399 en 2021. La préfecture affirme que "le taux d'OQTF délivrées suite à ces examens n'a pas évolué".

Les bénévoles de Resf ont assisté à cette hausse et dénoncent une préfecture qui multiplie les arguments pour donner des OQTF aux jeunes. "La préfecture exige les bulletins scolaires des jeunes et les épluche, donne comme exemple Armelle Gardien. Une fois, on a eu un jeune qui avait validé son CAP. La préfecture a dit qu'il avait eu son CAP avec une moyenne trop juste..."

Autre argument souvent invoqué : le jeune est "défavorablement connu des services de police". "Il y a tout et n'importe quoi derrière cette mention", s'agace Hervé Lecomte, lui aussi membre de Resf 92. Le militant raconte qu'un jeune s'est vu refuser un titre de séjour à ce motif pour avoir prêté son passe Navigo à un ami.


Moussa voulait se lancer dans un 3e CAP mais son OQTF l'empêche de signer un contrat d'apprentissage. Crédit : InfoMigrants
Moussa voulait se lancer dans un 3e CAP mais son OQTF l'empêche de signer un contrat d'apprentissage. Crédit : InfoMigrants


Un "vivier à OQTF"

Au milieu des jeunes qui jouent au football sous les platanes, Hervé Lecomte, large tee-shirt gris et jean, se remémore avec nostalgie "l'ancienne grande époque". Celle de la "bienveillance des circulaires" vis-à-vis des jeunes étrangers. "On rencontrait les responsables [à la préfecture], on mettait de l'humain dans les dossiers et ça passait."

Il raconte avoir vu un durcissement des méthodes, tant de la préfecture que de l'ASE, depuis 2020.

Cette année-là, un nouveau préfet est nommé. Laurent Hottiaux prend ses fonctions en juillet après avoir occupé, en 2017, le poste de conseiller pour les Affaires intérieures et la sécurité au cabinet d'Emmanuel Macron.

En 2019, plus de 400 mineurs étrangers non accompagnés avaient été pris en charge par l'ASE des Hauts-de-Seine. Un nombre exceptionnel dans un département généralement habitué à en recevoir autour de 200.


Les jeunes ont préparé, lors du pique-nique, une banderole sur laquelle ils ont indiqué des mots importants pour eux. Crédit : InfoMigrants
Les jeunes ont préparé, lors du pique-nique, une banderole sur laquelle ils ont indiqué des mots importants pour eux. Crédit : InfoMigrants


Environ un an plus tard, alors que les premiers jeunes étrangers de cette vague atteignent la majorité, les OQTF commencent à tomber. Pour Hervé Lecomte, "la préfecture s'est dit qu'ils avaient là un vivier à OQTF pour faire du chiffre avec les jeunes".

Ne pas "baisser la tête"

Depuis les mesures hostiles aux jeunes étrangers se multiplient. "Maintenant, l'ASE fait toujours appel après une décision positive d'un juge sur le recours d'un jeune pour la reconnaissance de sa minorité", souligne Hervé Lecomte. Interrogée par InfoMigrants, l'ASE dément et assure qu'"un appel est formulé quand un autre département a précédemment évalué la majorité du jeune ou bien quand le département des Hauts-de-Seine a jugé que le mineur n’est pas isolé".

Au fil des mois, les relations se sont dégradées entre la préfecture et les associations. "Depuis son arrivée, le préfet ne reçoit pas, il ne répond pas [aux courriers]. Même quand la Cimade lui envoie un cahier de doléances, il n'accuse pas réception", déplore Armelle Gardien.

Du côté de l'ASE, la relation est également loin d'être au beau fixe. Selon Hervé Lecomte, "l'ASE fait pression sur les jeunes en leur disant 'Si vous allez voir Resf, on vous laisse tomber'".

Face à cette situation, Resf a décidé de rendre le plus visibles possibles ces jeunes apprentis. Sur la pelouse du parc de Sceaux, alors que le pique-nique touche à sa fin, les bénévoles les ont rassemblés devant eux pour quelques photos et le mot de la fin. "Il faut montrer que vous ne correspondez pas à la description que l'on fait de vous, en jeunes délinquants, les encourage Hervé Lecomte. Vous n'êtes pas obligés de baisser la tête quand le préfet vous met des OQTF".

 

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