Vue sur la mer Égée depuis l'île de Rhodes en Grèce. Crédit : Google Street View
Vue sur la mer Égée depuis l'île de Rhodes en Grèce. Crédit : Google Street View

Après deux tentatives ratées, Mickaël a fini par atteindre, à bord d'une embarcation pneumatique, l'île grecque de Rhodes. Depuis son débarquement qui l'a traumatisé, le jeune homme originaire de Centrafrique se terre dans une maison abandonnée, au milieu des champs.

Mickaël*, 22 ans, voulait être médecin. Ou électricien, "cela dépendait des jours". Mais à cause de graves problèmes personnels et des violences toujours en cours en Centrafrique, ses projets d’avenir ont été avortés. La seule issue qui s’est alors offerte à lui, "c'était Europe", pense-t-il.

Il y a près de quatre mois, il a donc quitté, seul, Bangui, pour la Turquie. C’est depuis une plage de l'ouest du pays que le jeune homme a ensuite poursuivi sa route, direction l’île grecque de Rhodes. Par deux fois, le bateau dans lequel il avait pris place avec d’autres migrants africains a été violemment refoulé. À chaque fois, les garde-côtes grecs ont pointé leurs armes sur les passagers, et leur ont volé leurs affaires.

Le 17 juillet, pour la troisième fois, Mickaël est monté dans une embarcation de fortune avec d'autres exilés.

"Ma troisième tentative remonte à quelques jours. Je suis monté dans un bateau pneumatique vert avec une trentaine de personnes, à 5h du matin. Il y avait avec nous une femme enceinte, un petit garçon de 5 ans et un nourrisson. Les nationalités étaient nombreuses : il y avait des Congolais, un Angolais, des Camerounais et aussi des Guinéens.

La mer était très agitée. La route a été longue. Nous sommes arrivés près de la ville de Lindos vers 17h. On a accosté entre deux plages, sur des rochers. On est tous descendu rapidement du bateau et on s’est dispersé. Moi j’ai grimpé sur des pierres pour m’éloigner le plus possible, et je me suis caché. J’avais trop peur que la police vienne nous chercher.

Le 2 juillet, une autre embarcation de migrants a débarqué sur la plage de Tsambika, bondée de touristes. Sur une vidéo postée sur Internet et diffusée dans la presse grecque, on peut voir les passagers accoster sur le sable et, pour certains d’entre eux, partir en courant. Un mois plus tôt, un débarquement similaire avait été observé. Une quinzaine de personnes avaient accosté sur cette même plage.


Mickaël a débarqué à Rhodes avec une trentaine d'exilés. Crédit : capture d'écran/vidéo amateur
Mickaël a débarqué à Rhodes avec une trentaine d'exilés. Crédit : capture d'écran/vidéo amateur


Au bout de deux heures, j’ai entendu un bruit bizarre. J’ai levé les yeux au ciel, et j’ai vu un drone passer au-dessus de moi. J’ai alors quitté cet endroit mais je me suis retrouvé nez-à-nez avec un gendarme. Je suis parti en courant, car il m’a immédiatement menacé avec son arme. J’ai tenté tant bien que mal de redescendre vers la plage.

Mais quand je suis arrivé sur le sable, il y avait plein de policiers, y compris celui qui pilotait le drone. L’entrée principale de la plage était bloquée par une voiture de police. Alors j’ai pris un autre chemin, une sorte de piste, avec une jeune fille qui était dans le bateau.

"Je ne comprends pas toute cette violence"

On a couru, couru. Longtemps. On a fini par atteindre des champs. Elle, elle a rebroussé chemin, car elle culpabilisait de laisser son frère handicapé derrière elle. Je me suis retrouvé seul. Je me suis caché dans un buisson car j’avais toujours peur de la police. Je me sentais mal, à cause de l’angoisse et du stress, mais aussi parce que je n’avais pas bu d’eau depuis que j’avais quitté la Turquie. Il était 20h30.

Rhodes n’est pas une destination habituelle pour les migrants, qui se dirigent habituellement vers les îles de Lesbos, Samos ou Chios. Mais face à des politiques européenne et grecque de plus en plus dures sur les migrations, et des refoulements violents, passeurs et migrants cherchent des routes alternatives. Depuis le début de l’année, 230 personnes ont débarqué sur l'île de Rhodes, contre 26 l’année dernière, à la même période. Pour toute l’année 2021, le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) a comptabilisé 109 arrivées d’exilés.


L'île grecque de Rhodes est proche des côtes turques. Crédit : Google maps
L'île grecque de Rhodes est proche des côtes turques. Crédit : Google maps


Au bout d’un moment, j’ai fini par sortir de ma cachette. On m’avait donné une adresse avant de partir. J’ai appelé un taxi qui m’a emmené là-bas. C’est une petite maison isolée, dans la campagne. Je m’y suis réfugié, et j'y suis toujours. Il y a trois autres migrants avec moi. Je n’ose pas sortir car j’ai trop peur de me faire arrêter et de retourner en Turquie. J’ai eu des nouvelles des autres passagers : beaucoup ont été ramenés dans le pays. Je ne veux pas, il n’y a rien pour moi là-bas. Et surtout, je ne veux pas retourner en Centrafrique.

Malgré une baisse des violences observées depuis la signature d'un accord de paix en 2019, la population centrafricaine souffre encore durement des conséquences de la guerre civile entamée en 2013. Près de 3 millions de personnes ont actuellement besoin d'une aide humanitaire, et un enfant sur trois est forcé de travailler pour survivre, d'après l'ONU.

>> À (re)lire : "Ni canot, ni gilet de sauvetage" : deux migrants morts noyés après avoir été jetés à la mer par des garde-côtes grecs

Je ne comprends pas toute cette violence, c’est de la barbarie. Les Grecs traitent vraiment très mal les exilés comme moi. Pour les femmes enceintes et les enfants, c’est exactement pareil. Avant mon départ, on m’avait dit que les policiers étaient violents. Mais je ne m’attendais pas à ça quand même.

Je me sens constamment en danger, je suis fatigué. Mais je veux toujours rejoindre la France, la Belgique ou la Suisse et reprendre des études ou une formation. Je veux aller dans un endroit où je pourrais parler librement, où on me respectera."

*Le prénom a été modifié

 

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