Un centre de détention pour migrants en Libye. Crédit : Euro-Med Monitor
Un centre de détention pour migrants en Libye. Crédit : Euro-Med Monitor

En Libye, les abus envers les migrants sont monnaie courante mais, depuis quelques mois, cette violence a un nouveau nom : l'Autorité de soutien à la stabilité. Cette nouvelle milice très organisée se distingue par des méthodes particulièrement brutales et un fonctionnement à l'abri des regards.

Plus violente, plus dangereuse, plus opaque… En Libye, l’Autorité de soutien à la stabilité (ASS), une nouvelle milice très organisée, sème la peur parmi la population migrante, pourtant habituée aux abus dans ce pays. 

Cette organisation, créée en janvier 2021 et répondant directement aux ordres du gouvernement de Tripoli - désormais dirigé par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah -, se distingue par des méthodes particulièrement brutales. Passages à tabac, coups de fouet à l'aide de tuyaux d'arrosage, humiliations… Les accusations d'exactions perpétrées par cette milice sont nombreuses.

Et pour cause : à sa tête trône Abdel-Ghani al-Kikli, alias “Gheniwa”, un seigneur de guerre déjà accusé par Amnesty International de crimes de guerre et d'autres violations graves ces dix dernières années.

Très présente sur les côtes, la milice est désormais impliquée dans les opérations d'interceptions de migrants en mer, au même titre que les garde-côtes. Par ailleurs, plusieurs centres de détention du pays sont dirigés par l'ASS. Parmi eux, figure la prison de Maya, ville de la banlieue ouest de Tripoli où ont été enfermés plusieurs migrants interrogés par l'Associated Press (AP). Tous racontent avoir été brutalisés par des membres de l'ASS.

"À la fin, tout ce que tu souhaites, c'est mourir"

Rabei, un Égyptien de 32 ans, a expliqué avoir été témoin à maintes reprises, pendant sa détention dans ce centre, de passages à tabac de migrants de la part des gardiens. Ces derniers les frappaient jusqu'à ce qu'ils perdent connaissance, puis ils les emmenaient "ailleurs" en traînant leur corps au sol. Rabei ne sait pas si ces personnes sont toujours en vie. 

"Ils nous battent pendant des heures, avec tout ce qui leur passe sous la main - des bâtons, des crosses de fusil, des barres de fer. Ou quelques-uns d'entre eux te martèlent de coups de poings et de pieds et te frappent avec des crosses de fusils", se souvient encore Rabei. "À la fin, tout ce que tu souhaites, c'est mourir sous ces coups." Après trois mois de détention, Rabei a réussi a quitter ce centre, après avoir payé une rançon de 650 dollars.

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Un autre Égyptien, Ramadan, lui aussi interrogé par l'AP, se souvient d'un jeune Marocain détenu comme lui à Maya. Après une tentative d'évasion, celui-ci avait été lourdement battu par des gardes puis laissé pour mort dans sa cellule pendant une semaine, sans qu'aucun soin ne lui soit apporté. Ses plaies, causées par les coups, suppuraient, se souvient Ramadan, qui ajoute que plusieurs migrants enfermés avaient alors supplié les gardes d'emmener le jeune homme à l'hôpital. Un jour, les Libyens l'ont finalement emmené. "Il était toujours vivant à ce moment-là. Mais on ne sait pas ce qui lui est arrivé."

"Ni le HCR, ni l'ONU n'ont accès aux centres de détention dirigés par l'ASS"

En Libye, passages à tabac et humiliations sont monnaie courante pour les migrants retenus dans des centres de détention après avoir été interceptés en mer. Mais cette nouvelle milice a ceci de spécial que ses agissements, tout comme les lieux où elle opère sont tenus à l'abri des regards. Contrairement aux autres prisons du pays, contrôlées par le ministère de l'Intérieur, qui sont régulièrement visitées par l'ONU, celles ci restent secrètes.

Selon des sources officielles, citées par l'AP, l'ASS, organe du gouvernement, profiterait pourtant indirectement du soutien financier de l'Union européenne (UE). Depuis 2015, l'UE a donné plus de 500 millions de dollars au gouvernement de Tripoli pour l'aider à freiner les départs de migrants vers l'Europe.

En somme, le gouvernement libyen détournerait ces fonds pour financer cette milice sur laquelle ni l'Europe ni l'ONU n'ont de droit de regard, précise un ancien responsable des garde-côtes libyens.

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Contacté par InfoMigrants, le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) a confirmé l'existence de cette milice ainsi que son fonctionnement en totale opacité. "Ni le HCR, ni les autres agences de l'ONU ou d'autres organisations internationales n'ont accès aux centres de détention dirigés par l'ASS", indique Caroline Gluck, porte-parole de l'agence onusienne en Libye. "Nous n'avons pas non plus accès aux personnes durant les activités de débarquement [après des interceptions de bateaux de migrants en mer, ndlr] et ne pouvons mener des opérations de premiers secours [auprès d'elles]."

Les exactions dans la prison de Maya sont bien connues. L'organisation Libya Crimes Watch ainsi qu'Amnesty International ont toutes deux alerté ces dernières années sur des cas de tortures, de travail forcé, de prostitution forcée ainsi que sur une suroccupation des lieux assortie d'un manque d'eau et de nourriture.

D'après des migrants et des militants des droits de l'Homme, deux exilés égyptiens sont morts plus tôt cette année dans ce centre de détention. Cette structure a par ailleurs fait l'objet d'une enquête d'experts de l'ONU, établissant que des actes de torture et d'abus s'y sont produits. Au moins trois personnes auraient succombé aux traitements qui leur ont été infligés dans cette enceinte en décembre 2021.

 

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