Une vedette de Frontex au large de Lesbos, en Grèce, en 2015. Crédit : Picture alliance
Une vedette de Frontex au large de Lesbos, en Grèce, en 2015. Crédit : Picture alliance

Un rapport accablant, consulté par plusieurs médias européens, démontre que l'ancienne direction de l'agence de surveillance des frontières avait connaissance des renvois illégaux de migrants en Grèce vers la Turquie. Frontex aurait même co-financé certains de ces refoulements en mer.

Frontex avait bel et bien connaissance des renvois illégaux de migrants pratiqués en Grèce vers la Turquie. C’est ce que révèle un rapport accablant, et encore confidentiel, établi par l'Office européen de la lutte contre la fraude (Olaf), qui a enquêté sur le sujet depuis janvier 2021.

L'ancienne direction de l'agence européenne de surveillance des frontières était même au courant très tôt de ces pratiques, parfois brutales, affirme ce rapport, dont le journal allemand Der Spiegel a publié jeudi 28 juillet des extraits.

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"Au lieu d'empêcher les ‘pushbacks’, l'ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs les ont dissimulés. Ils ont menti au Parlement européen et ont masqué le fait que l'agence a soutenu certains refoulements avec de l'argent des contribuables européens", résume le magazine allemand. 

Si les conclusions des enquêteurs avaient déjà provoqué la démission de Fabrice Leggeri fin avril, ce rapport dévoile désormais de nombreux détails quant à ces pratiques illégales.

Frontex a arrêté les patrouilles aériennes "pour ne pas être témoin" 

L'Olaf affirme ainsi que, le 5 août 2020, les garde-côtes grecs ont remorqué un canot pneumatique avec 30 migrants à son bord non vers la Grèce mais vers la Turquie. Un avion de Frontex qui patrouillait a filmé la scène. 

Mais, au lieu de s'adresser aux autorités grecques, Frontex a alors arrêté de faire patrouiller des avions au-dessus de la mer Égée, au motif qu'elle en avait besoin ailleurs.

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Fabrice Leggeri aurait ainsi sciemment fermé les yeux sur ces actes illégaux, accusent des collaborateurs de Frontex cités par les enquêteurs. Ces derniers ont par ailleurs trouvé une note écrite évoquant le retrait des avions de surveillance "pour ne pas être témoin" de ce qui se passait en mer.

Plus grave encore, Frontex aurait co-financé certains de ces refoulements. L'Olaf rapporte en effet qu'au moins six bateaux grecs, cofinancés par l'agence européenne, auraient été impliqués dans plus d'une dizaine de "pushbacks" entre avril et décembre 2020, ce que l'ancien directeur a toujours rejeté.

Nombreux témoignages

La mer Égée est le théâtre de nombreux refoulements, alertent les associations et les migrants eux-mêmes depuis des années. InfoMigrants reçoit régulièrement des témoignages d'exilés allant dans ce sens.

À l'été 2021, une Congolaise avait expliqué comment les garde-côtes grecs avaient refoulé son embarcation en mer, mettant les passagers en danger. "Ils nous ont menacé avec leur armes (…) Ils ont tourné autour de nous, ce qui a fait de grandes vagues et du courant", avait-elle rapporté. 

Au mois de mai 2021, Samuel, un autre migrant d’Afrique subsaharienne, avait raconté comment son embarcation avait été renvoyée vers les côtes turques. Fin 2020, Slimane, un Guinéen avait expliqué à la rédaction comment des hommes en uniforme avaient percé le canot dans lequel il se trouvait pour l’empêcher d’atteindre les îles. 

Sur terre, la situation n'est pas meilleure : en 2021, l'ONG norvégienne Aegean Boat Report a comptabilisé pas moins de 629 cas de refoulements illégaux de migrants menés dans les îles de la mer Égée.

“Il y a des progrès sur le terrain" 

Lors d'une visite aux bureaux de Frontex, à Athènes, la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a réagi à ces révélations. "Même si je ne peux évidemment pas vérifier en détail ce qu'il en est de chaque cas individuel", "il y a eu des 'pushbacks' incompatibles avec le droit européen", a-t-elle affirmé. 

Elle a souligné que "des mesures ont été prises immédiatement (...), nous en avons tous parlé aujourd'hui, pour que davantage d'observateurs des droits de l'Homme soient sur place", a-t-elle ajouté. 

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Interrogée sur la publication, une porte-parole de la Commission européenne, Anitta Hipper, a, elle, souligné qu'"une série de mesures" avaient déjà été mises en place pour régler la question de la gouvernance de l'agence, dirigée depuis début juillet par la Lettonne Aija Kalnaja. 

"En termes de travail sur place avec les autorités grecques, il y a des progrès sur le terrain", a ajouté Anitta Hipper, pointant aussi "une nouvelle proposition de loi pour garantir un système de surveillance solide" du traitement des demandeurs d'asile en Grèce. 

Durant les sept ans passés à la tête de Frontex, Fabrice Leggeri a considérablement renforcé l'agence, dont les effectifs - avec des agents désormais armés - doivent atteindre 10 000 garde-côtes et garde-frontières d'ici 2027. 

La Grèce, de son côté, a toujours démenti tout refoulement illégal à ses frontières. Le ministre grec des Migrations Notis Mitarachi a indiqué jeudi qu'il n'avait lu que "le résumé" du rapport de l'Olaf, qui, selon lui, "ne blâme pas directement la Grèce". "Nous avons le droit de protéger nos frontières", a-t-il répondu aux médias.

 

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