Des migrants au port de Roccella Ionica, dans la région italienne de la Calabre, le 16 mars 2022. Crédit : ANSA
Des migrants au port de Roccella Ionica, dans la région italienne de la Calabre, le 16 mars 2022. Crédit : ANSA

De nombreux migrants désireux de rejoindre l'Union européenne optent désormais pour la route calabraise, qui mène des côtes turques à l'extrême-sud de l'Italie. Mais cette traversée à bord de voiliers, souvent qualifiée de "traversée de première classe", reste en réalité très dangereuse pour les exilés.

Cet été, les côtes italiennes ont vu débarquer chaque jour ou presque des exilés. Si la plupart des arrivées se concentrent sur les îles de Lampedusa ou de la Sicile, de nombreuses personnes posent aussi le pied dans l’extrême-sud du pays, en Calabre. Dans la soirée du mardi 16 août, un bateau de pêche avec 490 migrants à bord a été secouru dans la mer Ionienne par les garde-côtes, au large de la ville de Roccella Ionica.

Deux opérations de sauvetage ont été nécessaires pour secourir les passagers, en provenance de Libye : la première a permis de transférer 240 migrants au port de Roccella Ionica, la seconde, les 250 restants à Messine, en Sicile.

Entre vendredi 12 et samedi 13 août, 660 autres personnes ont été secourues dans la même zone. Les passagers, originaires d’Afghanistan, d'Iran, de Syrie et d'Égypte, avaient, eux, quitté les côtes turques entre le 7 et le 8 août, indique Rai News. Une fois débarqués sur la terre ferme, ils ont été emmenés au centre d'accueil d'Isola Capo Rizzuto, dans la région de Crotone.


Deux jours plus tôt, le 10 août, un énième débarquement avait été opéré par les autorités à Roccella Ionica. Soit le troisième en six jours, un record. Les 59 migrants secourus, dont des mineurs non accompagnés, étaient tous pakistanais. Ils avaient été repérés en détresse sur un voilier, au large de Monasterace.

Au 10 août 2022, plus de 7 000 personnes avaient de cette façon débarqué sur les côtes calabraises. Elles étaient 9 700 au cours de toute l’année 2021, et 2 500 en 2020.

"Un nouveau Lampedusa"

La situation a poussé, mi-juillet, Médecins sans frontières (MSF) à constituer pour la première fois une équipe d’urgence à Roccella Ionica. Composée de médecins, d'infirmiers, de psychologues et de médiateurs interculturels, celle-ci est postée dans une clinique à l’extérieur du port, à quelques mètres d’un centre géré par la Croix-Rouge italienne.

Bien que certains bateaux en provenance de Libye soient parfois secourus, d’après Giovanni Perna, chef de projet MSF dans la ville, "une nouvelle route s'est véritablement ouverte depuis la Turquie". "La plupart des migrants arrivés sont des Syriens et des Afghans, explique-t-il au journal L’Espresso. Mais il y a aussi des Irakiens, des Libanais […] des Bangladais et quelques Égyptiens."

"Nous nous tenons toujours prêts, car ces derniers temps, les moments d’accalmie ne dépassent pas deux heures", assure pour sa part Concetta Giuffré, coordinatrice de la Croix-Rouge locale.

En octobre déjà, le maire de Rocella Ionica, Vittorio Zito, dénonçait une "situation intenable". L’édile s’inquiétait que sa commune de 6 000 âmes ne devienne "un nouveau Lampedusa". "On n’a pas la force, les compétences, les moyens financiers, les pouvoirs […] de gérer seuls ce type d’urgence", déplorait-il auprès de La Repubblica.

Sept jours de navigation

Les embarcations qui empruntent cette route depuis les côtes turques sont essentiellement des voiliers. D’après les témoignages recueillis par la Croix-Rouge, certains migrants embarqueraient d'abord sur ces bateaux avant d'être transférés - en cours de route - par groupe d'une cinquantaine de personnes sur des embarcations plus petites, en bois ou pneumatiques.

Ce procédé est parfois qualifié de "traversée de première classe", en raison du type de bateaux utilisé et de la somme déboursée par les exilés : autour de 10 000 dollars pour un adulte, et 4 500 dollars pour un enfant.

La route qui mène des côtes turques à la Calabre est très longue, et périlleuse pour les exilés. Crédit : Google Map
La route qui mène des côtes turques à la Calabre est très longue, et périlleuse pour les exilés. Crédit : Google Map


Cette route n'en reste pas moins très périlleuse. Car le trajet depuis les côtes turques jusqu’en Calabre est bien plus long que celui qui relie, par exemple, la Libye à la Sicile. Pour atteindre la région, il faut compter sept jours de navigation. En novembre 2021, Hamid, un jeune homme fuyant l’Afghanistan avait assuré à l’agence de presse AP que cette traversée avait été "la pire expérience de sa vie". De nombreux cas de déshydratation ont ainsi été rapportés, certains passagers expliquant qu’ils ont été obligés de boire de l’eau de mer mélangée à du sucre.

"Il y a toujours des hommes et des femmes avec des soucis intestinaux, parce qu'ils ont bu de l'eau de mer. On soigne aussi des femmes qui ont développé des problèmes rénaux, raconte à l’Espresso Valentina, l'une des volontaires de la Croix-Rouge. Certaines personnes sont tellement déshydratées qu'elles se disputent parfois un jus de fruit distribué par les sauveteurs."

>> À (re)lire : Italie : la route calabraise, la nouvelle route migratoire en Méditerranée

Sur cette route migratoire longue et dangereuse, il arrive que les migrants ne survivent pas au voyage. Le 1er juillet, un migrant pakistanais a été retrouvé mort dans un voilier de 57 personnes, qui s’était échoué sur une plage de Caulonia, indique Reggio Today.

Des drames ont également lieu plus en amont sur la route, en pleine mer. Le 24 décembre 2021, un naufrage près de l’île grecque de Paros, dans les Cyclades, a fait 31 morts, dont trois femmes et un bébé. Parti des côtes occidentales turques, le navire avait pour destination l'Italie. La veille, un voilier s’était brisé sur un îlot rocheux, non loin de la Crète. Au moins 11 personnes, dont cinq hommes et deux femmes, avaient péri dans l’accident.

À savoir que cette partie de la mer située entre les côtes turques et la mer Ionienne, jusqu'ici peu fréquentée, n'est pas surveillée par les ONG. Il est donc plus difficile d’y détecter les naufrages qui, de fait, pourraient être plus nombreux.

 

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