Une nouvelle opération réquisition d'un bâtiment inoccupé a été menée à Gentilly, en région parisienne, ce week-end pour y loger entre 300 à 400 migrants, dont plusieurs familles. Les forces de l'ordre ont évacué les lieux en quelques heures, séparant au passage certains hommes de leurs familles, dénonce Médecins du Monde.
La tentative de formation de squat aura été de courte durée. Dans la nuit de samedi 3 à dimanche 4 septembre, entre 300 et 400 personnes sont entrées dans un bâtiment inoccupé de la ville de Gentilly, dans le Val-de-Marne, en banlieue parisienne. Les lieux, d'anciens locaux de la société SFR voués à la destruction, offraient 8 000 m² d'espoirs pour ces migrants, dont une centaine de femmes et enfants, qui étaient jusque-là à la rue.
Ces personnes, essentiellement originaires d'Afrique, notamment de Côte d'Ivoire, du Soudan et du Tchad, et d'Afghanistan, ont tenté "une réquisition citoyenne", selon les termes d'United Migrants, association qui les soutient. Elles "sont sans domicile. Elles ont déjà épuisé les solutions temporaires de logement (...) Afin d'éviter de dormir une énième fois à la rue avec tous les dangers et difficultés que cela entraîne, elles ont décidé d'occuper ce lieu", avait expliqué l'association dans un communiqué, précisant qu'elles s'engageaient "à maintenir la propreté des lieux et à assurer une occupation calme dans le respect du voisinage".
Mais quelques heures plus tard, il en était déjà fini de cette "réquisition". Les forces de l'ordre, arrivées sur place dimanche, "ont stoppé les entrées puis invité les personnes à quitter les lieux, ce qu'elles ont refusé", a rapporté à l'AFP la préfecture de police (PP). "La constitution de ce squat est illégale et n'est pas adaptée pour héberger des personnes au regard de l'état du bâtiment et de l'absence d'électricité."
La grande majorité des occupants a été évacuée dans la journée mais quelques uns se sont réfugiés sur le toit du bâtiment, "pour protester pacifiquement contre l'évacuation", indique-t-on du côté des associations. En fin d'après-midi, dimanche, les dernières personnes encore présentes sont parties d'elles-mêmes, a précisé une source policière.
"Les hommes ont été séparés de leurs familles sciemment"
La situation de ces exilés met en lumière la situation précaire de nombreux migrants, dont des familles, dans la capitale française. Malgré des mises à l'abri, des dizaines de personnes dorment toujours à la rue faute de solution.
"On les connaît, ces personnes", commente Paul Alauzy, chargé de projet pour la mission Migrants de Médecins du Monde (MdM) Paris, qui était sur place dimanche mais n'a pas pu entrer dans les locaux. "Ce sont des gens qui appellent le 115 tous les jours depuis des mois, sans succès. Le soir, ils vont devant l'Hôtel de Ville de Paris [devenu un point de rassemblement pour certains migrants désespérés, ndlr] pour demander des solutions d'hébergements."
>> À (re)lire : Après une manifestation devant la mairie de Paris, des familles africaines à la rue obtiennent un hébergement temporaire
Suite à l'évacuation, des logements provisoires ont été proposés à certains d'entre eux uniquement. "Une adjointe à la mairie a affirmé que les policiers allaient amener des personnes au gymnase de Gentilly qui a été ouvert de manière temporaire", explique Paul Alauzy, pas convaincu par ce dispositif éphémère. "Quelques personnes auraient également été dirigées vers des hôtels sociaux. Mais c'est difficile d'en savoir plus."
Comble de la situation pour des personnes cherchant de la stabilité : lors de l'évacuation, des familles auraient été séparées intentionnellement par les forces de l'ordre, selon Paul Alauzy.
"Les hommes n'ont pas eu accès au gymnase. Il y a notamment un monsieur qui se trouvait à l'extérieur du bâtiment lorsque les policiers sont intervenus. Ils l'ont empêché d'entrer, bien que sa femme et ses deux enfants se trouvaient à l'intérieur. Ils ont été évacués via une autre sortie du bâtiment, de telle sorte que cet homme n'a pas pu entrer en contact avec eux et ne sait pas où ils ont été emmenés", colère Paul Alauzy.
L'homme en question, s'est résolu à aller dormir près de l'arrêt de tramway Delphine Seyrig, dans le 18e arrondissement de Paris, dans le nord de la capitale, l'un des secteurs où atterrissent nombre de migrants à court d'options. Comme lui, la majorité des autres hommes qui étaient présents à Gentilly ont été contraints de passer la nuit sur les trottoirs parisiens, selon MdM.
>> À (re)lire : "J’ai l’impression que tout le monde est de la police" : l’infernal quotidien des migrants à la rue au nord de Paris
"Criminalisation" des exilés à la rue et des membres associatifs
Un responsable de l'association United Migrants a de son côté été interpellé suite à cette occupation, a précisé la préfecture de police. Sollicité par l'AFP, le parquet de Créteil a indiqué qu'il était en garde à vue pour "dégradation en réunion". "C'est un militant bien connu des services de police pour de nombreuses actions de ce type dans des locaux désaffectés impropres à l'habitation", selon une source proche du dossier. Deux autres militants auraient connu le même sort, selon les associations.
"Les autorités criminalisent les exilés à la rue et les membres associatifs", dénonce encore le responsable de MdM, selon qui ces hommes et ces femmes subissent un abandon des pouvoirs publics. "On ne voit aucun réfugié ukrainien entrer dans un logement vétuste pour l'occuper, souligne-t-il. Et la raison pour laquelle ils ne le font pas, c'est parce qu'on leur propose des solutions. C’est formidable pour eux, mais une partie des places mises à leur disposition restent vides malgré les besoins, et ça c’est désespérant."
Au cours de l'été, les associations d'aide aux migrants ont bruyamment dénoncé la sous-occupation d'un centre d’accueil pour déplacés ukrainiens situé porte de Versailles, à Paris, arguant que, dans le même temps, des centaines de personnes restaient à la rue. Le 28 juillet, le tribunal administratif de Paris, saisi de ce sujet, a pourtant refusé d'ouvrir "les centres d’hébergement d’urgence dédiés aux déplacés ukrainiens à Paris à l’ensemble des personnes" dans le besoin. Les déplacés ukrainiens, eux, ont depuis été redirigés vers un centre d'accueil de capacité plus modeste, dans le 19e arrondissement de la capitale.