Deborah (à gauche) et Mimi travaillent pour l'espace Women and Girls Safe Space à Palerme | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
Deborah (à gauche) et Mimi travaillent pour l'espace Women and Girls Safe Space à Palerme | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

L’association Centro Penc de Palerme offre un lieu sûr aux femmes migrantes et veut les aider à se construire un avenir en Italie. InfoMigrants s'est entretenu avec Deborah et Mimi, deux médiatrices culturelles du centre.

Deborah Sunday Igiebor est originaire du Nigéria, Mimi Outtara vient du Mali. Toutes deux travaillent comme médiatrices culturelles dans le centre Women and Girls Safe Space (WGSS) de Palerme depuis près de deux ans. Il s’agit d’un espace dédié aux femmes et aux filles en situation de précarité sociale "pour se parler et partager les mêmes peurs, difficultés et défis, pour trouver ensemble des solutions pratiques et un soutien émotionnel, ainsi que des rêves, des désirs et des espoirs."

"Pour faire ce type de travail, explique Mimi, il faut avoir de la passion. Et surtout une envie d'aider".

Beaucoup de femmes et de filles qui viennent au WGSS ont connu des difficultés et de expériences traumatismes. "Tant de femmes traversent tellement de choses affreuses et difficiles pendant leur voyage, dans le désert, en Libye, pendant la traversée en mer. Quand on entend les histoires des gens ici, cela me pousse à vouloir aider encore davantage", explique Mimi.

L’espace sécurisé se trouve dans le sous-sol d'une école très fréquentée, à quelques kilomètres du centre-ville de Palerme, la capitale de la Sicile, dans le sud de l’Italie. Le Centro Penc, une association fondée en 2015, a pu reprendre plusieurs anciennes salles de classe pour créer le WGSF, avec le soutien de l'UNICEF, l’agence des Nations unies pour l'enfance le Comité international de secours.

Ces dessins ont été réalisés lors des activités proposées par le Centro Penc | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
Ces dessins ont été réalisés lors des activités proposées par le Centro Penc | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

Le Centro Penc aide des migrants ayant été victimes de torture et de violences, soutient des mineurs non accompagnés, des enfants et des adolescents, ainsi que des femmes seules qui ont pu être victimes d'exploitation ou de violences.

L’espace WGSS ne veut pas à se focaliser sur le passé des femmes ou sur les raisons qui les ont poussées à venir trouver de l’aide, explique Deborah, qui est arrivée en Italie avec un visa étudiant il y a 25 ans.

L’enjeu est d’installer une relation de confiance avec les médiateurs et psychologues. 

"Ce lieu a vu le jour après avoir constaté les nombreuses difficultés rencontrées par les femmes pour obtenir un permis de séjour", raconte Deborah. "J'ai rencontré tellement de femmes et de mères nigérianes qui avaient des documents mais qui étaient bloquées par leur faible niveau en italien, ou qui n'avaient pas les compétences nécessaires pour commencer un travail. En tant que mère célibataire, il est également plus difficile de trouver du travail ici", note Deborah.

Se sentir chez soi

Le personnel du WGSS, explique Deborah, a reconnu le besoin pour beaucoup de femmes d'avoir un espace sûr qu'elles "peuvent appeler leur maison". 

Mimi souligne également l'ambiance familiale qui règne dans le centre. Les deux se font souvent appeler "tatie".

"S'il n'y avait pas un espace comme celui-ci, alors beaucoup de ces jeunes femmes, surtout celles qui sont seules et vivent dans un centre d'accueil, pourraient finir par travailler dans la rue."

La salle de jeu pour le enfants du WGSS | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
La salle de jeu pour le enfants du WGSS | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

Deborah ajoute que "les femmes nous appellent "Zia" (tante) parce que ce genre de figure leur manque peut-être ici, loin de chez elles. Elles savent qu'elles peuvent venir nous voir pour tout type de conseil, qu'il s’agisse de bureaucratie, de problèmes personnels, linguistiques ou concernant leurs relations privées. C’est vraiment important pour."

Le centre aide également les femmes à prendre des rendez-vous, que ce soit chez le gynécologue, le pédiatre ou avec un avocat.

Souvent, raconte Deborah en souriant, lorsqu'une femme arrive ici, elle regarde le mur et constate que le drapeau de son pays ne s’y trouve pas encore. On leur demande alors de le dessiner et de l’ajouter. "C’est une excellente chose pour briser la glace. Cela permet aussi aux femmes de ses sentir vues et d’être fières que leur drapeau se trouve également ici", explique Deborah.

Dessiner et ajouter son drapeau est un bon moyen pour briser la glace entre le personnel du centre et les nouveaux arrivants | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
Dessiner et ajouter son drapeau est un bon moyen pour briser la glace entre le personnel du centre et les nouveaux arrivants | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

"Nous avons des femmes du Mali, du Nigeria, d'Afghanistan, du Bangladesh, du Ghana, des Philippines, de la Côte d'Ivoire, d'Ukraine, d'Érythrée, de la Tunisie, du Brésil, de la Colombie, d'Angola, de la Somalie… La liste est longue", se réjouit Mimi.

Chaque pièce du WGSS est prévue pour une activité différente. L’une d’entre elles est équipée pour apprendre à tresser les cheveux ou à faire des manucures, une compétence qui peut être utile plus tard pour commencer à gagner de l’argent.

"Nous, les Africaines, savons que se faire coiffer peut coûter très cher", explique Mimi. "Nous leur offrons un espace où elles peuvent se faire coiffer gratuitement, mais aussi acquérir des compétences et apprendre à tresser les cheveux de quelqu'un d'autre. Nous proposons également des cours d'informatique, de yoga ou encore de pilates."

Apprendre le métier de coiffeuse peut ouvrir la voie à un emploi en Italie Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
Apprendre le métier de coiffeuse peut ouvrir la voie à un emploi en Italie Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

Dans une autre salle de classe, les femmes peuvent apprendre l'italien, mais aussi suivre des cours de remise à niveau en anglais ou en français. "Certaines femmes se rendent compte, comme moi, qu'une fois que vous vivez ici en Italie, vous risquez d’oublier les langues que vous avez apportées avec vous. Elles veulent s'assurer que leur anglais ou leur français reste également suffisamment bon et ont demandé à suivre des cours de remise à niveau."

Soutien aux enfants

La plupart des femmes fréquentant le centre ont des enfants. Une puéricultrice qualifiée les aide à s’en occuper, pour qu’elles puissent s'adonner à d'autres activités. 

Le WGSS leur fournit aussi les connaissances et les outils nécessaires pour accéder aux soins de santé publics gratuits, mais aussi pour trouver un pédiatre, être informées sur les vaccinations et les bilans de santé que doivent passer les nouveau-nés.

"Vous pouvez venir ici pour suivre des activités, ou simplement pour prendre un café, vous détendre ou réfléchir", assure Déborah.

Aide psychologique

Une aide psychologique est également proposée, afin d’aider les femmes à "surmonter les blessures invisibles qu'elles portent en elles", explique Mimi.

"Les femmes sont souvent exploitées dans les pays arabes, comme en Libye. Elles sont vendues, certaines sont forcées de se prostituer. Elles sont traumatisées à leur arrivée après avoir dû affronter tant de dangers."

Selon Mimi, "tout dépend de la façon dont vous êtes accueilli en Italie. Si vous êtes dans un centre et que vous êtes laissé à vous-même, vous pouvez retomber dans ces cercles d'exploitation".

La salle de classe du WGSS | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants
La salle de classe du WGSS | Photo : Emma Wallis / InfoMigrants

Selon Deborah, de nombreux Africains pensent que seuls les fous ont besoin de psychologues, ce qui explique la méfiance à l'égard de l'idée de suivre une thérapie.

"Nous essayons de leur dire qu'il est important de prendre soin de notre esprit comme de notre corps. Mais il faut être prudents avec les femmes. Si vous dites directement à une mère qu'un psychologue pourrait l'aider, elle répondra probablement qu’elle n’est pas folle. Mais en permettant au psychologue d'être simplement dans cet espace, elles réalisent à quel point il est utile et commencent à leur faire confiance. A la fin, lorsque le psychologue est contraint de reporter un rendez-vous et que vous l’annoncez aux patientes, vous recevez des tas de messages vous disant "non, je dois lui parler demain, c'est très important". 

Puiser du courage

"Nous essayons de faire en sorte que leurs rêves deviennent réalité", sourit Deborah, qui se souvient d’une femme lui parlant de son envie d’aller se baigner. "Je lui ai répondu, que je ne peux pas creuser un trou et construire une piscine, mais que nous avons la plage à notre porte. Alors nous avons organisé des sorties à la plage, pour se détendre, pour apprendre à nager. Elles n'ont souvent pas le courage d'y aller seules mais avec nous, elles viennent et découvrent un nouvel endroit."

"Parmi les premières femmes qui sont venues dans notre centre il y a deux ans, certaines passent encore nous voir", raconte Deborah, avec fierté. "Elles viennent pour d’autres conseils ou pour nous dire qu'elles ont trouvé un emploi et qu'elles ont besoin d'un jardin pour enfants. C'est un succès pour nous, de voir qu'une femme qui n'avait pas de permis de travail, qui ne parlait pas un mot d'italien, a fini par trouver un travail et cherche différents types de conseils."

"Deux d'entre elles ont trouvé un emploi dans une école, l'une comme cuisinière et l'autre dans l'administration. Nous avons pu soutenir quelqu'un à 360 degrés. Lorsqu'une femme trouve sa propre voie, on se dit que notre travail en vaut la peine. Une autre femme était graphiste, elle savait ce qu'elle voulait, et elle a fini par trouver des contacts."

Chaque samedi, le groupe cuisine et mange ensemble. "Chacun peut goûter à quelque chose d'un autre pays", raconte Mimi. Le samedi est aussi le jour pour fêter les anniversaires de la semaine. "Etre utile à quelqu'un n'a pas de prix, surtout pour nous, les femmes. Nous voulons être appréciées, pas seulement en tant que mères ou femmes, mais pour toutes nos compétences. C'est ce que nous essayons d'enseigner aux femmes qui viennent ici. Lorsqu'une femme se sent appréciée, elle parvient à réaliser son potentiel."


Pour plus d'informations sur le Centro Penc, vous pouvez visiter ce site web, ou contacter l’association au numéro de portable italien suivant : +39 3471580224. Le Centro Penc est sont également présent sur Facebook.

 

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