Des centaines d'exilés se trouvaient toujours, mardi, à bord de plusieurs navires humanitaires en mer, ou à quai dans des ports italiens. Après près de deux semaines passées en mer, la santé mentale des rescapés se dégrade et le désespoir se fait de plus en plus ressentir. Les ONG réclament de pouvoir débarquer les personnes au plus vite, sans quoi la situation à bord risque de devenir ingérable pour les équipages.
C'est un signe de désespoir sans équivoque. Lundi 7 novembre, après plus de 10 jours passés en mer, trois rescapés du Geo Barents se sont jetés à l'eau. Les trois personnes ont pu être ramenées rapidement à bord mais, peu de temps après, une douzaine d'autres migrants sur le pont du bateau ont scandé "Aidez-nous", a constaté un journaliste de l'AFP.
"Après des jours et des jours à bord du navire, je devenais fou. J'avais l'impression que, à la fois, mon corps et mes rêves étaient en train de se briser. Je suis reconnaissant à l'équipage pour toute l'aide qu'ils nous procure mais je ne supportais plus cette situation", a déclaré Youssouf, l'un des hommes qui s'est jeté à la mer, à MSF.
Le navire affrété par Médecins sans frontières (MSF) se trouve à quai, en Sicile, depuis dimanche soir, mais seuls 357 des 572 migrants secourus par le navire ont été autorisés à débarquer. Une dernière personne a ensuite été évacuée pour raisons médicales. Il reste donc encore, mardi, 214 personnes à bord du navire et leur santé mentale est de plus en plus préoccupante, alerte l'équipage.
Notamment parce que le débarquement partiel de dimanche a été organisé dans de mauvaises conditions et n'a pas permis d'identifier toutes les personnes en détresse psychologique, déplore Claudia Lodesani, responsable des projets Libye et migration en Europe pour MSF.
"Pendant le filtrage de 572 personnes à bord d'un bateau, on ne peut détecter que des pathologies évidentes. Toute la partie de santé mentale liée aux conditions de vie en Libye, à la traversée en mer et à l'attente. Ça crée du stress post traumatique, mais c'est très difficile à détecter en 5 minutes", souligne-t-elle.
"Beaucoup de tensions" à bord
À bord du navire, l'équipage tente d'organiser des activités pour tenir les personnes occupées. Mais les démonstrations de détresse psychique se multiplient. "Il y a des personnes qui pleurent, qui tombent par terre, qui se jettent à l'eau ou encore des gens qui arrêtent de manger, ou se mettent dans un coin et ne parlent plus à personne", décrit Claudia Lodesani.
La situation devient également plus compliquée à gérer pour l'équipage qui, lui aussi, commence à souffrir de la fatigue. "L'équipe médicale est surtout là pour répondre aux urgences vitales. Mais, normalement, la partie santé mentale on ne la traite pas, car on peut pas gérer la santé mentale de plus de 500 personnes sur un bateau", souligne encore la responsable de MSF.
À bord de l'Ocean Viking, de SOS Méditerranée, la situation devient également de jour en jour plus inquiétante, avec 234 rescapés à bord. "On a de plus en plus d'altercations, il y a beaucoup de tensions", expliquait, lundi, à InfoMigrants Carla Melki, directrice adjointe des opérations pour SOS Méditerranée.
Sur le navire, qui se trouve au sud de la Sicile, les migrants sont contraints de dormir sur le pont dans une promiscuité totale. "Plus de 140 personnes ont dû être traitées pour mal de mer après deux jours passés à essuyer des tempêtes avec des vents extrêmement forts. Il y a aussi de nombreuses personnes qui souffrent d'infection des voies respiratoires", précisait la responsable.
Peur d'être renvoyés en Libye
Alors que le gouvernement italien a refusé au Geo Barents, à l'Ocean Viking et à l'Humanity 1 l'autorisation de débarquer tous leurs rescapés, la peur se répand parmi les exilés restés à bord d'être renvoyés en Libye. "On les rassure là-dessus, mais ils ont vraiment cette crainte", a constaté Claudia Lodesani.
Till Rummenhohl, chef des opérations à bord de l'Humanity 1, décrit lui aussi des personnes "terrifiées à l'idée d'être renvoyées" en Libye. "Ce sont des demandeurs d'asile, ils sont à la recherche d'une protection. Ils sont en totale insécurité et ils ne savent pas ce qu'il va leur arriver", a-t-il déclaré alors que 35 personnes se trouvent encore à bord du navire qui bat pavillon allemand.
Le nouveau gouvernement d'extrême droite italien, qui a prêté serment le mois dernier, s'est engagé à durcir sa politique vis à vis des migrants arrivant par bateaux d'Afrique du Nord. Plus de 87 000 personnes ont débarqué en Italie cette année, selon le ministère de l'Intérieur, dont 14 % ont été secourues par des navires humanitaires.
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Rome n'a autorisé le débarquement que des rescapés les plus fragiles du Geo Barents et du Humanity 1, obligeant les autres passagers à rester à bord des navires.
Les 89 exilés qui se trouvaient à bord du Rise Above, de l'ONG allemande Mission Lifeline, ont, eux, été autorisés à débarquer sur la terre ferme, mardi, au port de Reggio de Calabre, dans le sud de l'Italie. Ils avaient passé une semaine en mer.
"Ceux qui restent dans le navire recevront l'assistance nécessaire pour quitter les eaux territoriales" italiennes, ont affirmé, dimanche, des sources proches du ministre des Transports, dont dépendent les ports.
Le ministère norvégien des Affaires étrangères a déclaré, jeudi, qu'il n'assumait "aucune responsabilité" pour les personnes secourues par des navires privés battant pavillon norvégien en Méditerranée. L'Allemagne, de son côté, a insisté, dans une "note" diplomatique adressée à l'Italie, sur le fait que les organisations caritatives "apportaient une contribution importante au sauvetage de vies humaines". Berlin a demandé à Rome "de les aider dès que possible".