Le navire Humanity 1 dans le port de Catane, en Sicile, le 7 novembre 2022. Crédit : Reuters
Le navire Humanity 1 dans le port de Catane, en Sicile, le 7 novembre 2022. Crédit : Reuters

Pour avoir interdit pendant plusieurs jours le débarquement de la totalité des migrants à bord de bateaux humanitaires et pour avoir refusé que l'Ocean Viking n'accoste dans ses ports, l'Italie s'est attirée les foudres de ses voisins. Certains l'accusent de ne pas avoir respecté "les traités internationaux" qui lient les États en ce qui concerne le sauvetage des migrants en mer. Ces traités ne sont toutefois pas contraignants. InfoMigrants fait le point.

Depuis plusieurs jours, l'Italie crée la polémique pour son traitement des migrants sauvés en mer. Les autorités italiennes, sous la coupe de la nouvelle Première ministre d'extrême droite Giorgia Meloni, ont fait la sourde oreille à l'Ocean Viking, navire humanitaire affrété par SOS Méditerranée, qui cherchait à débarquer 234 rescapés exténués dans un port sûr. Faute de mieux, le bateau, jusque-là au large de la Sicile, a repris la mer mercredi 9 novembre, cette fois-ci vers la France. Après des jours de blocage, les bateaux Geo Barents et Humanity 1 ont, quant à eux, finalement reçu l'autorisation de débarquer les derniers naufragés retenus à bord, dans le port de Catane, en Sicile.

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Rome avait auparavant appliqué des décrets interdisant à ces deux navires de "s'arrêter dans les eaux territoriales italiennes, au-delà du délai nécessaire pour assurer les opérations de secours et d'assistance aux personnes en situation d'urgence et de santé précaire". Les migrants considérés comme vulnérables avaient pu mettre le pied à terre, mais des centaines d'autres étaient restés à bord, à quai.

"Inacceptable"

En Italie, cette situation a suscité la polémique. "Ces décrets sont manifestement illégitimes car ils violent de nombreuses normes du droit international et national", a estimé, dans un communiqué publié mardi, l'association d'études juridiques sur l'immigration (ASGI). Enrico Letta, le patron du Parti démocrate (principale formation de gauche), a de son côté accusé le gouvernement de violer les traités internationaux.

Mais les pays européens ont, eux aussi, réagi à ce qui est considéré comme une attitude "inacceptable" de l'Italie. En France, notamment, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a demandé, mercredi, à Rome de "jouer son rôle" et de "respecter ses engagements européens", en accueillant le navire Ocean Viking. Mais de quels engagements parle-t-on concrètement ?

Plusieurs conventions maritimes régissent les opérations de sauvetage en mer et les procédures de débarquement des rescapés qui s'en suivent. Sauver les vies de personnes en détresse en mer est d'ailleurs une obligation, selon la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, dite SOLAS.

La convention sur la recherche et le sauvetage maritimes (SAR), adoptée en 1979 et entrée en vigueur en 1985, grave, pour sa part, dans le marbre le fait que toute personne en détresse doit recevoir une assistance, sans considération de sa nationalité ou de son statut. Pour ce faire, tous les États parties, c'est-à-dire signataires - dont l'Italie -, doivent coordonner leurs services de recherche et de sauvetage. Or, selon l'ASGI et les ONG concernées, un sauvetage ne peut être considéré comme terminé avant que tous les rescapés n'aient été débarqués dans un port sûr.

La convention SAR prévoit par ailleurs que "les parties assurent la coordination et la coopération nécessaires pour que les capitaines de navires (…) s’écartent le moins possible de la route prévue". Des amendements aux conventions SOLAS et SAR prévoient, eux, qu'un débarquement soit organisé dans les délais les plus rapides possibles. C'est-à-dire, dans le port sûr le plus proche. En l'occurence, en Italie.

"À peu près aucune chance que l'Italie soit sanctionnée"

Mais au-delà de l'aspect théorique de ces accords, violer ces conventions n'a que peu de conséquence dans les faits, explique Romain Maréchal, avocat spécialisé en droit international de la mer, contacté par InfoMigrants. "Il n'y a à peu près aucune chance que l'Italie soit sanctionnée pour ce genre de comportement, explique-t-il. Seul l'État est souverain. C'est lui qui décide de la norme et de l'application de la norme. Il peut y avoir des pressions politiques de la part de partenaires européens mais on ne peut pas obliger un État à respecter ces conventions."

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L'expert pointe ainsi la logique "contractuelle" de ces conventions et l'absence d'organe régulateur. "En matière de droit international, il n'y a pas d'organisme supra-étatique qui soit en mesure de sanctionner un État." Et d'expliquer : "Il y aurait éventuellement la Cour internationale de justice, mais il faudrait qu'elle soit saisie par un autre État. Et les autres États n'ont aucun intérêt à le faire et à établir un précédent car il se pourrait qu'ils soient, eux-mêmes, remis en cause pour leurs turpitudes dans ce domaine."

Au-delà du droit maritime, l'ASGI estime que l'Italie - en gardant des personnes à bord à quai - a violé d'autres traités, notamment la Convention de Genève. "Le devoir de secourir les survivants à bord du navire et leur séjour à bord ne peut pas être considéré comme rempli, puisque ces personnes ont, parmi de nombreux autres droits, celui de demander la protection internationale conformément à la convention de Genève de 1951. Une opération qui ne peut certainement pas être effectuée sur le navire", explique l'association.

Condamnation de la CEDH

L'ASGI fait également référence à une résolution du Conseil de l'Europe datée de 2011 selon laquelle "la notion de 'lieu sûr' ne peut se limiter à la seule protection physique des personnes mais inclut nécessairement le respect de leurs droits fondamentaux". La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) interdisent, pour leur part, les expulsions collectives, pointe encore l'ASGI, estimant que c'est ce que l'Italie a tenté de faire en demandant notamment au Humanity 1 de reprendre la mer avec 35 migrants encore à bord.

L'Italie avait déjà été condamnée en 2012 par la CEDH pour une "forme de rejet collectif", rappelle l'ASGI, dans l'affaire dite "Hirsi Jamaa contre Italie". La Cour s'était à l'époque penchée sur le sort réservé, deux ans plus tôt, à 24 personnes originaires d’Érythrée et de Somalie qui avaient été interceptées par les autorités italiennes et forcées à retourner en Libye, leur point de départ. Dans son jugement, la juridiction avait estimé que Rome avait bafoué des principes relatifs aux droits humains. À l'époque, cet arrêt avait été qualifié d’historique par Amnesty International.

 

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