Chaque année, des milliers de voyageurs sont bloqués durant des jours dans les aéroports, les gares et les ports français à cause de faux papiers ou tout simplement par manque de justificatifs pour entrer sur le sol français. Ils sont parqués dans des zones d’attente appelées ZAPI sans autre choix que d’attendre que leur cas soit examiné.
C’est dans une grande pièce austère avec quelques rangées de chaises scellées au sol et un écran de télévision pour seul compagnon qu’Ayssar, 40 ans, passe ses journées depuis plus d’une semaine. Cet Irakien se trouve à l’aéroport d’Orly au sud de Paris, dans une des quelque 100 Zones d'attente pour personnes en instance (ZAPI) de France - invisibles du grand public. Créés en 1992, ces lieux d’enfermement érigés en bordure de pistes d’atterrissage, mais aussi aux abords des gares et ports internationaux de l’hexagone, voient défiler chaque année des milliers de voyageurs "non admis". Ils y errent jusqu’à 20 jours, parfois dans des conditions difficiles, le temps que les autorités clarifient leur situation. Nombre d’entre eux finissent par être tout bonnement renvoyés dans leur pays de provenance, aux frais de la compagnie aérienne qui les a transportés.
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Originaire de Bassorah, en Irak, Ayssar a fui son pays en raison de menaces de mort liées à l’emploi qu’il exerçait. Il ne connaît personne en France. "Si je retourne dans mon pays, je serai tué", a-t-il affirmé sans détour lors d’un entretien téléphonique avec InfoMigrants. Muni d’un faux passeport brésilien, il est passé par la Turquie, puis la Grèce avant d’arriver à Paris par avion où ses faux papiers ont été repérés par la Police aux frontières (PAF) dès sa descente de l’avion.
"Les policiers m’ont interdit de me raser la barbe"
"Je ne peux pas dire que je sois mal traité, mais l’enfermement me rend fou. J’ai demandé du dentifrice et un déodorant - qu’ils m’ont apportés. En revanche, ils m’ont interdit de me raser, je ne comprends pas pourquoi. Je n’ai aucun idée de ce qu’il va m’arriver", confie-t-il. Si un interprète était là au premier jour de détention, Ayssar, qui ne parle ni français ni anglais, n’a ensuite eu aucun autre moyen de s’exprimer et de poser les dizaines de questions qui se bousculent dans sa tête.
À Orly, les voyageurs détenus dorment dans des chambres d’hôtels réquisitionnées par l’aéroport. Chaque matin à 7h, des agents viennent chercher les "ZAPIstes" pour les conduire dans la salle d’attente commune pour le reste de la journée. Incertitude, angoisse et sentiment d’impuissance font le quotidien de ces migrants en ZAPI où les journées sont rythmées par les trois repas et l’attente interminable d’un rendez-vous avec un agent de l’Ofpra. "À la minute où mon faux passeport a été saisi, ils m’ont dit qu’il fallait que je demande l’asile politique afin de reporter le plus possible ma déportation, ce que je compte faire. Mais je n’ai pas d’avocat, ni d’ami pour me conseiller. Je suis fatigué et démoli par la détention", raconte-t-il. Contrairement aux centres de rétention classiques présents sur le territoire français, "il n’y a pas vraiment d’assistance juridique en ZAPI", confirme Gérard Sadik, coordinateur national asile à la Cimade, "hormis à Roissy où l’Anafé tient une permanence quelques fois dans la semaine".
Ce n’est qu’au bout de sept jours qu’il a obtenu, vendredi, un entretien en visioconférence avec un interprète durant lequel il a tenté de défendre son cas et la nécessité pour lui de rester en France. Pour apporter la preuve de ce qu’il avançait, les représentants de l’Ofpra lui ont notamment demandé de répondre à des questions de culture générale sur l’Irak. Une décision doit lui être notifiée dans les 48 heures.
Près de 7 000 "ZAPIstes" à Roissy en 2016
La vaste majorité des "ZAPIstes" sont interpellés dans les deux principaux aéroports parisiens. Ils ont été 6 933 en 2016 à Roissy uniquement, selon le ministère de l’Intérieur. Des chiffres en diminution depuis une quinzaine d’années, notamment depuis les attentats du 11 septembre et l’instauration du contrôle des papiers d’identité en amont dans les aéroports, explique Gérard Sadik, de la Cimade.
Malgré des progrès constatés et un relatif désengorgement, les ZAPI, que Gérard Sadik qualifie de véritable "hotspot à la française", arrivent vite à saturation, générant des tensions et des conditions d’attente dégradées. Dans le cas d’Orly, s’ajoutent des histoires de violences policières et de discrimination qui ont notamment été dénoncées publiquement en 2012 dans l’ouvrage "Omerta dans la police" de Sihem Souid, ancienne employée de la PAF.
Bien que les ZAPI soient des établissements fermés, l’Intérieur insiste sur le fait qu’ils ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire, mais de la direction centrale de la police aux frontières ou des douanes. "Ce ne sont pas des prisons", répète-t-on, assurant que les voyageurs y sont respectés et bien traités. Le temps moyen de placement en zone d'attente est de 4 jours, durant lesquels le maintien ou non en ZAPI est uniquement du ressort de la Police aux frontières (PAF). Intervient ensuite un juge des libertés et de la détention qui est le seul habilité à prononcer une prolongation de 8 jours, renouvelable une fois.
Algérien, la nationalité la plus présente dans les ZAPI en 2016
L’Anafé, qui se bat depuis la fin des années 1980 pour assurer une présence auprès des étrangers non-admis aux frontières, demande la fin pure et simple des ZAPI, exception française non nécessaire, selon l’organisme. "Rapport après rapport, l’Anafé ne cesse de démontrer qu’on ne peut pas priver de liberté et enfermer tout en restant dans le respect de la dignité des personnes et de leurs droits. Quelle que soit la forme qu’elle prend, la privation de liberté, qui s’inscrit dans une politique de criminalisation des étrangers, est constitutive d’une violation des droits fondamentaux", martèle l’organisme qui publie régulièrement des témoignages de "ZAPIstes" de tous horizons.
Car le placement en zone d’attente ne concerne pas uniquement les futurs demandeurs d’asile et les détenteurs de faux papiers, il peut aussi toucher de simples visiteurs à qui il manquerait un justificatif comme un billet retour ou une réservation d’hôtel. Depuis 2015, les interpellations sont aussi menées contre des voyageurs en provenance de pays de l'espace Schengen, à cause du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre de l'état d'urgence instauré après les attentats du 13 novembre.
La première ville de provenance des personnes maintenues est Alger avec 600 passagers, suivie par Sao Paulo (Brésil) avec 293 passagers, Istanbul avec 278 passagers, Casablanca (Maroc) avec 253 personnes et le Panama avec 249 passagers.