Seuls trois des quatre navires humanitaires ayant secouru des migrants en Méditerranée ces dernières semaines ont pu débarquer la totalité de leurs passagers. Ignoré par l’Italie, l’Ocean Viking reste à la recherche d’un port sûr. Le bateau de SOS Méditerranée, qui a lancé une nouvelle demande à la France, se dirige vers les eaux internationales à proximité de la Corse.
Le cauchemar des 234 migrants à bord de l'Ocean Viking se prolonge. Les rescapés ont vu, mercredi 9 novembre, les côtes de la Sicile s’éloigner sans rien pouvoir faire. Le bateau de SOS Méditerranée, qui se trouvait dans les eaux internationales proches de l’Italie, a dû changer de cap "face au silence de l’Italie" et "parce que la situation devenait critique à bord".
Le navire, qui a fait une demande à la France lundi soir, était en route, mardi, vers la Corse, bien que les autorités françaises n’aient donné aucune réponse. "Nous allons longer la Sardaigne en chemin, il reste un espoir que l’Italie se manifeste", explique à InfoMigrants, Sophie Beau, la vice-présidente de SOS Méditerranée.
La France, l’Espagne et la Grèce avaient déjà été contactées dès jeudi soir par l'ONG dans l'espoir de pouvoir débarquer les plus de 200 migrants à bord, dont la santé se dégrade de jour en jour. Seul Madrid a répondu négativement. Silence radio du côté de Paris et d’Athènes.
Quant à l’Italie, "le nouveau gouvernement élu (…) n’a pas attribué de lieu sûr malgré nos nombreuses demandes officielles", indique l’ONG qui a lancé plus 20 demandes aux pays précédemment cités, sans compter Malte, alors même que trois des six sauvetages de l'Ocean Viking ont eu lieu entre le 22 et le 26 octobre dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise.
"L’équipe médicale observe un stress psychologique aigu"
"Il est inexplicable qu’aucune solution n’ait pu être trouvée à ce jour", s’indigne SOS Méditerranée. "Après avoir attendu si longtemps une réponse aux multiples demandes de lieu sûr, les rescapés perdent les dernières lueurs d’espoir et l’incroyable résilience dont ils ont fait preuve jusqu’à présent", s'inquiète Sophie Beau. Certains migrants sont à bord depuis presque trois semaines.
Sur le navire, la situation sanitaire s'est très nettement dégradée depuis quelques jours. "L’équipe médicale observe un stress psychologique aigu, avec des signes croissants d’anxiété, de dépression, d’insomnie et de perte d’appétit. (…) Certains ont commencé à exprimer leur intention de sauter par-dessus bord de désespoir. Des incidents graves peuvent survenir à tout moment, mettant en péril la sécurité des rescapés et de nos équipes à bord", alerte l’ONG dans un communiqué.
Ping-pong diplomatique entre la France et l'Italie
Pendant ce temps, la France et l’Italie se renvoient la balle. Les services de la nouvelle Première ministre italienne d'extrême droite Giorgia Meloni ont fait savoir, mardi, qu'elle remerciait la France, qui, selon elle, acceptait d'accueillir le bateau humanitaire dans un de ses ports, ce qui est faux. Paris, qui a démenti dans la foulée, a dénoncé le refus "inacceptable" de Rome de laisser accoster l’Ocean Viking.
"Il nous reste encore quelques heures de discussions", avant l'arrivée possible du bateau dans les eaux françaises "et, en tout état de cause, nous en sommes encore à cette étape-là", a fait savoir, mercredi matin, le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran, promettant néanmoins que "personne ne laissera ce bateau courir le moindre risque, à l'évidence pour les personnes qui sont à bord".
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En attendant, des élus français se sont dits prêts à laisser débarquer les passagers du bateau humanitaire. Ainsi, le président de l'exécutif corse Gilles Simeoni a affirmé, mardi soir, que l'île était "prête, si nécessaire, à accueillir temporairement l'Ocean Viking dans l'un de ses ports". Le maire de Marseille Benoît Payan a, de son côté, affirmé à l'AFP mercredi avoir "interpellé le gouvernement français disant qu'il était de notre honneur, de l'honneur de la France de les accueillir".
Trois bateaux autorisés à débarquer le reste de leur passagers
Au-delà des passagers de l'Ocean Viking, plusieurs navires humanitaires ont dû mener ces derniers jours d'âpres négociations avec le gouvernement italien d’extrême-droite, qui s'est engagé à observer une ligne dure vis-à-vis des migrants.
Car Rome n'a d'abord autorisé qu'une partie des rescapés qui tentaient la traversée entre les côtes nord-africaines et l'Europe à descendre à quai, au grand dam des organisations humanitaires.
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Trois bateaux ambulances ont finalement été autorisés à faire débarquer l'ensemble de leurs passagers mardi. Parmi eux, le "Rise Above", navire de l'ONG allemande Lifeline, a pu faire descendre à Reggio Calabria, dans la pointe sud de la botte italienne, la totalité des 89 migrants à son bord. Six migrants en avaient été évacués dimanche pour raisons médicales.
Il a été suivi mardi soir, du navire battant pavillon allemand Humanity 1, de l'ONG SOS Humanity, et du Geo Barents, de Médecins sans frontières (MSF). Les deux navires ont pu débarquer quelque 250 personnes au port de Catane, après le feu vert des Italiens.
Ocean Viking dans le collimateur de l'Italie ?
Pourquoi l'Ocean Viking n'a pas été autorisé, au même titre que les autres, à débarquer ses passagers ? "Le Humanity 1 et le Geo Barents ont eu besoin de s'abriter dans les eaux italiennes au moment d'une tempête sur la zone vendredi et samedi. Ils ont fait une demande aux autorités italiennes qui ont accepté l'entrée dans leurs eaux", affirme SOS Méditerranée.
L'ONG estime toutefois que les deux navires ont été "piégés" par l'Italie et craint que ces navires ne soient bloqués à quai par Rome.
Pendant ce temps, l'Ocean Viking est resté dans les eaux internationales. "Notre bateau est capable d'abriter les personnes à l'intérieur, donc nous avons pu tenir en dehors des eaux italiennes malgré la tempête", précise Sophie Beau, qui espéraient un dénouement diplomatique. "Notre changement de cap pour la France doit rester exceptionnel face à une situation d'urgence", insiste-elle.
L'Italie constate cette année une forte augmentation des entrées sur son territoire par la mer. Sur près de 86 000 exilés arrivés par la mer en Italie entre le 1er janvier et le 2 novembre, seuls 112 ont été accueillis par deux autres pays de l’Union européenne, a récemment indiqué la Commission européenne : 74 personnes en Allemagne et 38 en France.