Alors que le pays a été traversé depuis le début de cette année par plus de 99 000 personnes, il n'enregistre que 272 demandes d'asile. Un chiffre infime, symptôme d'un système défectueux qui dissuade les candidats à l'exil d'y envisager leur avenir.
Marie* n’avait rien prévu. Ni le pays dans lequel elle fuirait, ni même son exil tout court. Née au Burundi, la jeune femme de 31 ans a dû partir précipitamment, un matin d’avril 2022. Destination la Serbie, pour une seule raison : le pays situé dans les Balkans lui était rapidement accessible. Jusqu’au 20 octobre dernier, les ressortissants burundais n’avaient pas besoin de visa pour s’y rendre. "Si j’avais eu le temps de me préparer, je n’aurais pas choisi la Serbie, confie-t-elle. Mais c’était la seule option qui me permettait de partir vite, et loin."
Après une escale à Addis Abeba en Éthiopie, elle atterrit à l’aéroport Nikola Tesla de Belgrade. La ville qui, désormais, lui servira de refuge. À son arrivée, elle se sent "perdue". "Je n’avais aucune idée de ce qu'il fallait faire, je voulais seulement me mettre à l’abri. Il m’a fallu un peu de temps pour réaliser." Au bout de quelques jours, la jeune femme a pris sa décision : elle souhaite demander l’asile en Serbie, et s’y installer.

Pays-étape de la route des Balkans, la Serbie est traversée chaque année par des milliers d’exilés. À la date du 14 novembre, plus de 99 000 personnes étaient entrées sur le territoire depuis le 1er janvier 2022, contre 63 535 pour toute l’année 2021. L’immense majorité d’entre elles cherche à gagner d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse. Et seule une infime partie reste dans l’État. Jusqu’ici cette année, 272 migrants y ont demandé l’asile, d’après Nikola Kovačević, avocat spécialiste des droits humains. En 2021, 175 dossiers ont été instruits, concernant notamment de citoyens burundais (29), afghans (22), iraniens (20) et syriens (16).
"Coups de poings" et électrocution
Des chiffres très faibles, qui montrent que la Serbie est certes "toujours considérée comme un pays de transit", affirme l’avocat, "mais aussi que de nombreuses personnes ayant besoin de protection rencontrent des obstacles pour enregistrer et déposer leur demande d'asile".
Ces difficultés d’accès à la demande elle-même commencent dès l’arrivée des exilés à l’aéroport. Un rapport rédigé par Nikola Kovačević et publié par le Conseil européen des réfugiés et des exilés (ECRE) - un réseau de 105 ONG réparties dans toute l’Europe - liste de nombreux cas de personnes ayant été retenues plusieurs heures, voire plusieurs jours, dans ses locaux, sans pouvoir demander protection.
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En décembre 2021 par exemple, un ressortissant burundais a affirmé "avoir reçu plusieurs coups de poing alors qu'il essayait d'expliquer qu'il voulait l'asile', indique le document. Arbitrairement détenu à l'aéroport pendant plus de sept jours, cet homme, qui a fui les persécutions politiques des services secrets burundais, assure également avoir été "électrocuté avec un petit appareil" par la police serbe.
Deux mois plus tôt, une jeune fille et sa mère ont elles aussi été forcées de rester dans un local de l’aéroport pendant 48h. Cette dernière, violée au Burundi par des membres des Imbonerakure, une force paramilitaire proche du gouvernement, avait écrit "Je veux l'asile" sur un mouchoir. Ce à quoi un policier lui avait répondu, en criant : "Il n'y a pas d'asile en Serbie !".
Un hébergement mais pas de permis de travail
Marie, elle, reconnaît "ne pas avoir eu de problème" à son arrivée. "Ils sont venus après", avoue-t-elle. Au bout de quelques jours en Serbie, c’est à pied ("en bus j’avais peur de me perdre") qu’elle se rend au bureau serbe du Haut-commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR) pour constituer son dossier. La demande est ensuite transmise au Bureau pour l’asile, l’organe public en charge de la question où travaillent 19 fonctionnaires.
Sa demande officiellement déposée, la jeune Burundaise est autorisée à séjourner dans un des sept centres d’hébergement pour demandeurs d’asile, en l'occurence celui de Krnjaca, à Belgrade. À l’intérieur, les conditions sont "correctes", affirme Alice*, demandeuse d’asile burundaise elle aussi. La jeune femme partage une petite chambre avec trois autres personnes. La nourriture "n’est pas mauvaise", mais le dîner est servi à 18h. "Un peu trop tôt" pour cette ancienne étudiante, qui lui préfère régulièrement un burger dans un fast-food de la capitale.

Marie, elle, est seule dans sa chambre. Cette petite pièce, elle en connaît les recoins par cœur et y passe la plupart de ses journées. Car pour les demandeurs d’asile, impossible de travailler durant les neuf premiers mois qui suivent le dépôt de leur dossier. L’État serbe ne prévoit pas non plus d’allocations. Les délais de réponse variant globalement entre neuf et 12 mois, ces exilés en quête de protection sont forcés de patienter, "sans rien faire", souffle Marie.
Pour subvenir à leurs besoins, "la majorité travaillent quand même, au noir", indique Lazar Vasović, juriste au sein de l'ONG serbe IDEAS. "Cette situation les plonge dans une situation très critique : sans permis de travail, les demandeurs d’asile sont exposés aux abus de leurs employeurs". Parfois aussi, "le besoin de travailler leur porte préjudice : certaines personnes, qui exercent un emploi dans des usines par exemple, sont parfois tellement éreintées qu’elles acceptent de dormir dans les petits logements pour ouvriers fournis par leur patron. Le problème, c’est qu’au bout de trois nuits d’absence dans le centre d’hébergement, vous êtes radiés du système d’asile. Votre demande est annulée, affirme Lazar Vasović. Cet imbroglio concerne beaucoup d’exilés que je côtoie."
Un taux de rejet de 76%
La longueur de la procédure, couplée à l’interdiction de travailler, poussent "une partie des demandeurs à abandonner la procédure, avant même que la décision en première instance ne soit rendue", indique Nikola Kovačević. En 2021, ces abandons ont concerné 45% des demandeurs.
Et pour ceux qui persévèrent, la réponse tant attendue des autorités est bien souvent celle qu’ils n’attendaient pas. En 2021, le taux de rejet en première instance des 175 demandes d’asile instruites s’élevait à 76%. Il était total pour les ressortissants du Congo-Brazzaville, et très élevé pour les Iraniens, 87,5%, ainsi que pour les Burundais, 62,5%, d’après la Commission de l’asile. Entre 2008 et 2021, 196 personnes seulement, issues de 25 pays différents ont obtenu l’asile ou une protection subsidiaire en Serbie. Seules 5,3% des demandes d'asile ont donc trouvé une issue positive. Des chiffres, pour Nikola Kovačević, qui prouvent que "le pays s’est toujours contenté d’un système d’asile inéquitable et inefficace".
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Pour les personnes déterminées à obtenir le précieux sésame, il est possible de faire appel, d’abord auprès de la Commission pour l’asile – bien que depuis 2008 l'instance n'a accordé l'asile qu'à quatre personnes – puis en cas de nouveau refus, auprès de la Cour administrative.
Marie, elle, n’a jamais envisagé cette éventualité. "J’ai déjà obtenu la reconnaissance ici de mon diplôme obtenu au Burundi, et j’apprends le serbe via des cours au centre et en ligne, plusieurs fois par semaine", indique-t-elle fièrement. Obtenir le statut de réfugié lui permettrait d’être protégée pendant cinq ans, et de pouvoir bénéficier d’allocations pendant un an. Une aide bienvenue dans une capitale où le prix de l’immobilier est "exorbitant". "Je vivrai dans mon propre appartement et je pourrai enfin commencer ma nouvelle vie."
Seul ombre au tableau, peut-être : l'impossibilité, en tant que réfugié, de faire renouveler son passeport lorsqu'il expire. "L’administration ne sait pas le faire pour l’instant, la procédure n'existe pas, déplore assure Lazar Vasović. Quand on est bénéficiaire d'une protection internationale et que l’on perd son passeport, on se retrouve alors coincé en Serbie. Beaucoup de mineurs non accompagnés, qui pendant un temps avaient envisagé de demander l'asile dans le pays, finissent par renoncer pour cette raison."
"Je me suis renseigné sur le système d’asile ici, et durant quelques semaines, j’ai hésité à rester et à m’installer ici, car je suis fatigué", racontait en octobre un migrant afghan rencontré dans le centre de réception de Subotica, dans le nord. "Mais quand j’ai compris que je pouvais rester coincé, que je ne pourrai plus aller nulle part, j’ai renoncé. Je me suis dit : ‘tant pis, j'abandonne et je continue ma route’."