Un migrant sur le navire humanitaire Océan Viking, le 9 novembre 2022. Crédits : Reuters.
Un migrant sur le navire humanitaire Océan Viking, le 9 novembre 2022. Crédits : Reuters.

Les services d’interprétariat téléphonique auxquels les autorités françaises font appel sont saturés. Le préfet du département du Var, où se situe la "zone d'attente" des migrants de l'Océan Viking, évoque un véritable "handicap" pour s'occuper des rescapés.

Plusieurs associations d’aide aux migrants, mais aussi des élus et le préfet du Var, Evence Richard, ont alerté sur le manque d'interprètes dans la "zone d'attente" fermée où ont été placés les migrants rescapés du navire humanitaire Ocean Viking.

"L'interprétation téléphonique est une véritable bénédiction mais pour la vie quotidienne et pour la notification des procédures, ça reste très compliqué", a expliqué mercredi 16 novembre le préfet du Var, estimant que le manque d’interprète était "un vrai handicap".

Depuis leur arrivée dans le port militaire de Toulon vendredi, les personnes secourues au large de la Libye par l'Ocean Viking ont été placées dans un centre de vacances de la presqu'île de Giens, dans le Var, transformé en "zone d'attente internationale" fermée.

Ils y ont été soumis à des contrôles de sécurité avec la police, puis à de premiers entretiens avec des agents de l'Office français de protection des réfugiés (Ofpra), dépêchés sur place pour évaluer si leur demande d’asile était fondée. Si le personnel de l’Ofpra était bien là physiquement, la traduction s'est faite via un interprète d’une agence de prestataires, contacté par téléphone.

"Comme le prévoient les textes applicables, les demandeurs sont entendus dans la langue de leur choix, avec le concours d’un interprète lorsque cette langue n’est pas le français" avait indiqué l’Ofpra à InfoMigrants lors de l’arrivée des rescapés dans la "zone d’attente". "Comme c’est le cas habituellement dans le contexte de l’asile à la frontière (compte tenu de la diversité des langues susceptibles d’être mobilisées dans un bref laps de temps), l’interprétariat est assuré par téléphone".

Une diversité de nationalités et des langues rares

Parmi les migrants de l’Océan Viking figurent des Soudanais, des Maliens, des Syriens ou encore des Erythréens ou Bangladais, qui ne parlent souvent ni français, ni anglais. Certains parlent des langues rares, dont les interprètes sont peu nombreux et "pas toujours disponibles", a constaté Evence Richard.

Quelques policiers et bénévoles parlant l'arabe font office d'interprètes, mais les autorités doivent faire appel à un service téléphonique pour les autres langues et dialectes, indique l’AFP. Or l’interprétation téléphonique a ses limites, comme le souligne le préfet du Var : "L'interprétation téléphonique est une véritable bénédiction mais pour la vie quotidienne et pour la notification des procédures, ça reste très compliqué".

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Pour sa part, l’Anafé, qui défend les étrangers aux frontières, a pu se rendre à plusieurs reprises dans cette "zone d’attente" fermée. L’association a observé les difficultés de la police aux frontières pour contacter un interprète, faisant parfois appel à une personne maintenue en zone d’attente.

Les risques d’une erreur d’interprétation

Une pratique pour pallier l’urgence, mais qui n’est pas sans conséquence. L’appel à un tiers ne permet pas le respect de la confidentialité des échanges. Enfin l’interprétariat est un travail en soi, les erreurs et approximations de traductions peuvent influer sur les prises de décisions des autorités, et sur la compréhension par les migrants des démarches administratives complexes.

"Dès lors, les personnes ne sont pas en mesure de comprendre la procédure de maintien en zone d’attente, leurs droits, la procédure spécifique d’asile à la frontière et ses tenants et aboutissants", alertait l’Anafé dans un communiqué publié mardi.

Par ailleurs, sans communication dans la langue comprise par les exilés, impossible d’assurer un suivi psychologique efficace de la part des infirmiers envoyés dans la "zone d’attente". Or nombre des rescapés de l’Ocean Viking ont besoin de soins.

Ces personnes sont arrivées à Toulon après 20 jours en mer à la recherche d'un port. Les jours précédents l’arrivée, l'état de santé mentale des rescapés était devenu inquiétant sur le bateau, plusieurs personnes menaçant même de se jeter par-dessus bord.

Une partie du travail de soignants consiste à identifier les personnes souffrant de détresse psychologique, liée aux expériences vécues sur la route migratoire et notamment aux conditions de vie en Libye, où les violences envers les migrants sont courantes.

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InfoMigrants a recueilli ces dernières années nombre de témoignages d’exilés racontant les sévices subis dans les prisons clandestines ou des abus sexuels alors qu’ils étaient captifs de personnes malveillantes.

"Les personnes sont perdues, voire apeurées"

La fin de la première phase d'audition par de l'Ofpra lundi soir, a été suivie par l’annonce de l’expulsion prochaine de 44 des passagers de l’Océan Viking, dont la demande d’asile a été considérée comme infondée.

Quelque 44 autres rescapés ont été reconnus mineurs et une soixantaine, qui vont pouvoir demander l'asile, ont été redirigés vers d'autres structures, a précisé mercredi soir la préfecture.

"Les personnes sont perdues, voire apeurées parce qu'elles ne comprennent pas ce qu'il se passe", a déclaré mercredi Amélie Blanchot, chargée de mission à l'Anafé.

La députée Renaissance Stella Dupont, également rapporteure spéciale de la mission "Immigration-Asile-Intégration" à l'Assemblée nationale, qui a visité mercredi la zone d'attente, a, elle aussi, constaté "une inquiétude" des migrants liée notamment à "des difficultés par rapport à la langue".

Trois autres parlementaires - le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche, la sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti et le député écologiste du Rhône Hubert Julien-Laferrière avaient déjà dénoncé le manque d'interprètes après une visite du centre dimanche.

 

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