Le documentaire "Fati’s Choice" retrace le parcours d’une Ghanéenne qui a décidé de rentrer dans son pays six mois après son arrivée en Italie. Depuis, elle doit faire face à l’incompréhension de son entourage.
Assumer ses décisions, accepter de s’être trompé et résister à ceux qui veulent vous faire culpabiliser : Fati connaît ces tourments, depuis qu’elle a choisi de quitter l’Europe et de retourner dans son pays. Le documentaire "Fati’s Choice" raconte l'histoire de la jeune Ghanéenne et vient d’être présenté au festival AFRIKAMERA de Berlin.
Après avoir mis son destin entre les mains de passeurs et avoir réussi à atteindre l'Italie, Fati choisit de retourner au Ghana après seulement six mois. Enceinte, démunie et cherchant à divorcer de son mari resté en Italie, elle est depuis son retour constamment prise à partie dans son entourage.
"Pourquoi es-tu revenue ? Je te jure, à ta place, je ne serais pas revenu", lui lance-t-on régulièrement. On l’accuse d’avoir fait "une grosse erreur", d’avoir manqué de patience, d’avoir "gâché une opportunité alors qu’elle vient d’une famille pauvre" et d’être "bizarre".
Revenir les mains vides
Pour Fati, le doute s’installe. En Europe, elle ambitionnait de gagner suffisamment sa vie pour pouvoir renvoyer de l’argent à ses quatre enfants restés au Ghana. Mais une fois en Italie, la réalité a été toute autre. Elle vivait dans un camp, sans possibilité de travailler. Lorsqu'elle a demandé son rapatriement à l'ambassade du Ghana à Rome, elle n’avait plus rien.

La réalisatrice du documentaire, Fatimah Dadzie, a connu une expérience similaire dans sa famille. Enfant, elle se souvient qu’on lui décrivait déjà l’Europe comme un paradis et un endroit associé à la réussite.
C'est ce rêve qui a poussé son cousin à abandonner l'école et à investir tout son argent pour espérer traverser la Méditerranée.
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"Ceux qui avaient voyagé à l'étranger obtenaient un certain statut. Le fait d'avoir été dans un pays occidental était associé à un bon niveau social", explique-t-elle. "Et ceux qui reviennent essaient d’idéaliser ce niveau de vie."
Mais lorsque son rêve d’Europe a échoué et qu'il s'est retrouvé coincé en Libye, le cousin de Fatimah Dadzie a fini par rentrer au Ghana les mains vides. Pris de honte, il s’est caché pendant près d’un an avant d’annoncer son retour à sa famille. "Il y avait tellement d'attentes, notamment de la part de sa mère, parce que partir à l'étranger signifie que vous devez rapporter quelque chose. Les familles ont investi en vous, ce qui fait peser une responsabilité sur vous", rappelle la réalisatrice. "Les gens se moquaient de lui, le raillaient, le traitaient comme un raté et un vaurien. C'était très embarrassant pour lui."

Pour Fati, l’expérience a sans doute été encore plus traumatisante, estime Fatimah Dadzie.
La route migratoire par la Méditerranée, de l'Afrique du Nord à l'Italie, est connue pour être l'un des itinéraires de migration les plus dangereux au monde, de surcroit pour les femmes. Selon un rapport de l'UNICEF de 2017, près de la moitié des enfants et des femmes effectuant la traversée vers l'Italie ont été violés.
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a rappelé en octobre dernier que les violences sexuelles à l'encontre des migrants en Libye étaient "généralisées, en particulier au sein des centres de détention libyens, et qu'elles étaient commises en toute impunité." Souvent, l’exploitation sexuelle se poursuit lorsque des femmes se retrouvent prises au piège des trafiquants en Italie.
Il a fallu environ un an à la réalisatrice pour installer une relation de confiance avec Fati. Aujourd'hui encore, elle ne sait pas avec certitude ce que la Ghanéenne a dû endurer.
Ce qui est certain, c’est que Fati puise sa force dans son amour pour ses enfants. C’est ce lien qui l'a poussée à revenir au Ghana et qui a particulièrement touché Fatimah Dadzie.
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"Au cours du processus (de réalisation du film), j'ai appris que certaines personnes étaient prêtes à sacrifier l'avenir de leurs enfants juste pour se rendre en Europe. Mais Fati n'était pas prête à faire cela, elle voulait à tout prix être près d’eux."
Là encore, Fati doit supporter les regards de son entourage car pour beaucoup, le souci des enfants ne peut rivaliser avec les richesses et les possibilités que l'Europe a à offrir, ni justifier qu’on y renonce.
L'Europe idéalisée
L'idée de l’eldorado européen est si puissante, note Fatimah Dadzie, que "ceux qui reviennent pour dire la vérité sont toujours considérés comme des menteurs. C'est comme si vous tentiez de dissuader les gens d’aller voir ce qu'est l'Europe, comme si vous vouliez leur refuser ce soi-disant paradis".
Au Ghana, dit-elle, l'image de l'Europe est celle d'un pays où l'on a pas besoin de travailler dur. "L’idée est que même un petit boulot vous rapportera énormément d'argent. Vous aurez une belle maison, dans de beaux quartiers, vous n'avez pas à vous battre pour vous loger et la nourriture est bon marché."
"J'ai réalisé au cours de mes recherches que beaucoup de gens croient ce qu'ils voient à la télévision", constate la réalisatrice. "On voit rarement des situations difficiles en Europe à la télévision. C'est une perception idéalisée."

La cinéaste estime toutefois que ce qu'il faut changer pour mettre fin à l'exode des Africains subsahariens, principalement des jeunes, n'est pas la perception qu'ont les gens de l'Europe, mais le système en place chez eux.
Pour elle, "cela va au-delà d'un changement de perception, car c'est à partir des difficultés que les gens créent cette vision idéalisée et qu’ils essaient de trouver des moyens d'atténuer leurs difficultés par l’imaginaire."
Dans son documentaire, une femme raconte : "Certains disent que la vie en Europe est plus difficile. Je pense qu'ils le font pour nous décourager".
Fatimah Dadzie reconnait que malgré ses efforts pour établir une conversation franche, personne ne veut la croire. "Même depuis la sortie du le film, des gens continuent à m’approcher pour me dire qu'ils veulent aller en Europe. Vous essayez de leur parler, mais ils ne changent pas d'avis. Je continue à réfléchir à des moyens de faire comprendre la réalité."