Les chefs de Lakook Casa Arabe, avec le responsable du projet, Martin Coronado Crédit : CEAR
Les chefs de Lakook Casa Arabe, avec le responsable du projet, Martin Coronado Crédit : CEAR

La Casa Arabe, l’équivalent de l’Institut du monde Arabe en Espagne, a ouvert une partie de son bâtiment à l’installation d’un restaurant saisonnier solidaire, Lakook Casa Arabe, où la cuisine et le service sont assurés par des réfugiés. Ouvert durant le printemps et l’été, ce restaurant est une réussite totale. Il permet de donner une opportunité d’emploi à des personnes aux parcours migratoires difficiles. Découverte d’un lieu où la gastronomie et l’entraide ne font qu’un.

Poulet braisé. Poisson séché. Tajine de Poulet. Le menu s’allonge encore et encore, ressemblant à un véritable tour du monde gastronomique. La découverte des saveurs et des cuisines sont des éléments qui rapprochent les gens et qui permettent de connaitre l’histoire de chacun, de ses terres d’origines, de son héritage culturel.

C’est la philosophie du restaurant saisonnier Lakook, situé dans la Casa Arabe, en plein Madrid, et qui a ouvert ses portes pour la première fois il y a quelques mois. Son succès est arrivé aussi rapidement que le sourire contagieux sur le visage des cuisiniers, serveurs, serveuses et travailleurs de cet établissement, tous réfugiés. 

À l’origine de l’initiative, la commission Espagnole pour l’aide aux réfugiés (CEAR) et l’un des responsables, Martin Coronado, qui encadre les projets liés à la mise en place d’initiatives dans le secteur tertiaire. "On avait démarré en 2015 avec un service de restauration avec pour seule fonction la livraison à domicile dans plusieurs villes d’Espagne, avec un site internet et des chefs issus de l’immigration et réfugiés aux quatre coins de l’Espagne afin qu’ils puissent travailler de leur domicile et faire connaitre leur gastronomie à la population de leur ville de résidence", souligne-t-il. "Et au bout d’un moment, on s’est posé la question suivante : mais pourquoi ne pas ouvrir un restaurant ? On est entré en contact avec la Casa Arabe, et l’aventure a démarrée", sourit-il aujourd’hui, heureux de voir que la tournure des évènements s’est avérée fructueuse.

Situé en plein centre de Madrid, la Casa Arabe est un institut qui promeut les cultures Arabes, et soutien des initiatives comme la Lakook. "On voulait ajouter des arts culinaires, la gastronomie venus des pays Arabes, mais pas seulement, pour apporter une touche liée aux cuisines, qui sont aussi une forme d’art et d’expression artistique", précise Pedro Villena, directeur de la Casa Arabe. "On souhaitait également appuyer un projet dont l’impact social est important, car nous sommes un institut qui aide à la promotion et à la valorisation de la diversité culturelle", poursuit-il. "Aider les réfugiés, c’est une cause permanente, et on a voulu soutenir et accueillir ce projet de restaurant saisonnier sur notre lieu, plus particulièrement sur une immense terrasse qui rappelle aussi les lieux de convivialité de plusieurs pays du Maghreb et du Moyen Orient", explique encore Pedro Villena.

Au printemps dernier, le restaurant ouvre ses portes et le succès est immédiat : les 120 couverts sont constamment occupés à chaque service, et les éloges pleuvent sur l’initiative et sur les travailleurs de l’établissement. Le projet est en place, et les réfugiés qui y travaillent, venus essentiellement du Maroc, du Sénégal, de Guinée, mais aussi du Pakistan et du Soudan sont au centre d’une initiative qui est là pour leur donner un emploi et faire découvrir les saveurs de leurs terres d’origines aux gourmands dans la capitale espagnole.

L'équipe de Lakook Casa Arabe. Crédit : CEAR
L'équipe de Lakook Casa Arabe. Crédit : CEAR

Retour aux sources et perspectives d'avenir

La grande majorité de ses postes sont occupés par des réfugiés, qui voient en ce projet une opportunité de se construire un présent, et de se projeter un avenir dans leur nouvelle vie, sans oublier d’où ils viennent.

Aliou Ciss, réfugié originaire de Gambie, est l’un des chefs cuisiniers. Son parcours de migrant a été semé d’embûches. "Je suis arrivé par la mer et j’ai failli perdre la vie plusieurs fois avant d’arriver en Espagne. Je n’avais aucun avenir au pays, j’étais menacé et je voulais m’en sortir coûte que coûte", raconte-t-il. "J’ai été présent illégalement sur le territoire durant plusieurs mois, avec la peur au ventre d’être renvoyé chez moi et de retrouver la misère", confie-t-il. "Mais le Lakook Casa Arabe m’a sauvé la vie, dans tous les sens du terme", murmure-t-il en mettant ses mains sur son cœur.

Très proche de sa mère durant son enfance, il est tombé amoureux de la cuisine en regardant les femmes de sa famille cuisiner et voit son travail à Lakook Casa comme "une chance de faire ce que j’aime, mais aussi de faire découvrir la gastronomie de mon pays".

Pour Bashaad Suleiman, venu du Soudan, ce métier est une quasi-nouveauté, car la cuisine était exclusivement pour les femmes. Il a grandi à Khartoum, qu’il a du quitter pour fuir la violence de son quotidien. "J’ai vécu deux ans et demi dans un camp de réfugié en Egypte. J’avais fui mon pays après avoir reçu des menaces de mort, parce que je ne voulais pas suivre les consignes de certains leaders religieux locaux ", se remémore-t-il. " Jai dû apprendre à cuisiner et à aider mon prochain durant mon parcours migratoire, et je suis tombé amoureux des saveurs, de la gastronomie", poursuit-il.

"Lorsque je suis arrivé en Espagne, j’ai tapé aux portes de plusieurs restaurants, j’ai beaucoup galéré, mais je savais que ce serait ma voie de sortie de la misère. J’ai beaucoup appris sur le tas, et lorsque le projet du restaurant est apparu j’ai vu cela comme une bénédiction : chaque légume que je prépare, chaque plat que je cuisine, j’y mets mon âme. C’est un peu de moi, de ma culture, de mon pays tant aimé que je fais connaitre, et je me sens en paix avec moi-même après autant de difficultés traversées ".

Martin Coronado s’accorde à penser la même chose, en pensant également que le projet et l’implication des acteurs réfugiés dans celui-ci est une forme de responsabilisation de chacun. " On leur fait confiance, ils peuvent être eux-mêmes et surtout se sentir responsabilisé après les galères, les doutes et les peurs qu’ils ont vécus. Quand on est un réfugié, on peut perdre confiance, on est vulnérable et l’un de nos buts est de rendre la fierté, l’amour de la vie ", suggère-t-il. Selon lui, " la gastronomie est l’un des seuls éléments de la vie qui permet aux gens qui ne vivent pas dans leur pays de naissance, et qui viennent de terres lointaines de se reconnecter. Elle permet aussi de garder un lien avec leur pays, surtout pour les réfugiés, qui ne peuvent quasiment jamais remettre les pieds chez eux ".

Le site de Madrid emploie une dizaine de personnes, mais pour le responsable de la CEAR, l’objectif est que le projet Lakook Casa Arabe fasse des petits, à Valence, Bilbao, Malaga, Barcelone et Séville, dans les prochaines années.

Alif, venu lui du Maroc, est tout sourire quant à l’avenir du projet. Il se montre enthousiaste à l’idée de continuer à faire découvrir au monde les différentes cuisines qu’il y existe. "Manger, partager et découvrir les autres cultures, c’est une expérience unique. Voir des gens qui me posent des questions sur mon pays et ses saveurs, ça me rend heureux", sourit-il. "Encore plus dans un contexte comme celui d’aujourd’hui, où beaucoup de gens se renferment sur eux-mêmes. Et ce, alors que certains partis politiques jouent sur la peur des étrangers. Nous montrons, par la cuisine, que l’humanité est riche, et que la différence et la découverte des autres n’a pas de prix ".

 

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