Des migrants comoriens réfugiés dans le centre-ville de Mamoudzou à Mayotte. Crédit : France 24
Des migrants comoriens réfugiés dans le centre-ville de Mamoudzou à Mayotte. Crédit : France 24

À Mayotte, dans l’archipel des Comores où plus de 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté, la crise migratoire s’enfonce depuis des années. Plus de 50% des étrangers s’y trouvent en situation irrégulière et les promesses du gouvernement français de "sortir les migrants des rues" ne convainquent personne.

"Zéro migrant dans les rues de France d’ici fin 2017" ? À Mayotte, l’engagement pris par le président français Emmanuel Macron fin juillet ne convainc pas les foules. Cette île devenue le 101e département français en 2011 fait face à une crise migratoire qui dépasse largement les chiffres enregistrés à Calais ou en Guyane : 41% des Mahorais sont étrangers et plus de la moitié d’entre eux – la plupart Comoriens - se trouve en situation administrative irrégulière, selon les chiffres de l'Insee datant de 2015. Les centres d’accueil étant quasi-inexistants sur l’île, c’est dans des habitations de fortune aux conditions sanitaires déplorables qu’ils tentent de survivre.

"Pour arriver à l’objectif zéro migrant dans les rues, il faudrait commencer par Mayotte. Mais on a toujours été traités à part, alors qu’en tant que département, on devrait nous considérer comme le Lot et Garonne ou l’Hérault", regrette Gauthier Dupraz, rédacteur en chef du magazine Mayotte Hebdo, joint par InfoMigrants. Selon lui, la promesse élyséenne "n’a guère fait réagir sur place", notamment parce qu’à Mayotte la crise migratoire est ingérable et le drame des naufrages mortels ne datent pas d’hier.

3000 à 6000 enfants des rues

C’est dans de fragiles embarcations nommées kwassa-kwassa que les migrants venant ou transitant  par les Comores – cet archipel où se trouve Mayotte mais qui n’a jamais été rattaché à la France - tentent la traversée vers l’enclave française. Il y a les kwassa-kwassa "classiques" débordants de familles en quête d’une vie meilleure, mais il y a aussi les kwassa-kwassa sanitaires. À leur bord : des personnes malades ou blessées voulant se faire soigner, mais aussi des femmes enceintes espérant mettre au monde un enfant français grâce au droit du sol. 

Avec plus de 10 000 naissances en 2016, Mayotte a même été surnommée "la première maternité d’Europe". "Depuis 10 ou 20 ans, nous voyons des kwassa-kwassa qui débarquent tous les jours. Pas plus tard que la semaine dernière, un kwassa sanitaire est arrivé dans la commune de Sada, mais le temps que les secours arrivent, une personne était déjà décédée sur la plage. Elle avait eu un grave accident de la route avant d'embarquer", raconte Gauthier Dupraz.

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"On se demande si l’annonce du président sera suivi d’effet ici"

Bien que quelques organismes d’aide aux migrants soient présents, la demande est trop démesurée pour être pleinement satisfaite, selon le journaliste : "Il y a quelques chambres proposées par Solidarité Mayotte. Ils offrent principalement, tout comme la Cimade, un accompagnement juridique et administratif. Donc il est vrai qu’on se demande si l’annonce du président sera suivie de faits à Mayotte, au vu de la quasi inexistence des logements sociaux et des centres d’hébergement dans l’île".

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Mêmes doutes chez Médecins du Monde : présents sur place depuis 2009, l'ONG fait état d’une situation migratoire "ancestrale et inextricable", selon Yannick Le Bihan, directeur des opérations France. "Il n’y a pas de structure, pas assez de personnel, pas de CMU pour les demandeurs d’asile. Les femmes et les enfants ne sont pris en charge que depuis deux ans", déplore-t-il, ajoutant que l’organisme est particulièrement inquiet quant aux 3000 à 6000 mineurs non accompagnés présents sur l’île : "Souvent, ce sont leurs parents qui ont été renvoyés, ils sont presque comme des enfants des rues". Et de poursuivre, peu optimiste pour les mois à venir : "Le Plan migrants annoncé par le gouvernement ne dispose d’aucun élément spécifique à Mayotte, pourtant l’île est dans une situation inédite. Nous n’avons pas vraiment d’espoir à court terme. La question de l’immigration doit être posée de façon sereine, pragmatique et doit faire l’objet d’une réflexion globale. Aujourd’hui, elle est plutôt abordée au coup par coup et on ne voit pas comment ça peut s’arranger à Mayotte".

"On n’est pas à l’abri" de nouveaux raids anti-migrants

Tandis que des mesures concrètes de Paris se font désespérément attendre sur l’île située à plus de 8 000 km de là, les tensions communautaires sont montées d’un cran depuis un an, notamment avec une vague de "décasages". Il s’agit de raids menés par des collectifs de villageois visant à déloger manu militari les migrants - principalement comoriens - de leurs modestes logis. Médecins du monde explique que "l’immigration est considérée comme le seul facteur responsable des problèmes de l’île, dans un contexte social et économique extrêmement dégradé". Ainsi, les Comoriens sont accusés de vols et de violences, mais aussi d’être responsables de la saturation invivable des écoles et des hôpitaux de l’île.

"Malgré les rumeurs d’une nouvelle crise imminente ces dernières semaines, les 'décasages' n’ont pas repris", souligne toutefois Gauthier Dupraz. Reste que l’atmosphère est lourde et qu’il suffirait de peu, selon lui, pour remettre le feu aux poudres. "Certains Mahorais ont été condamnés pour leur participation aux 'décasages', donc les gens sont refroidis, mais on n’est pas à l’abri d’un nouvel accès de fièvre", conclut-il.

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