Un groupe de migrants tente de traverser la Manche en novembre 2021. Crédit : Reuters.
Un groupe de migrants tente de traverser la Manche en novembre 2021. Crédit : Reuters.

Les secours britanniques et français sont intervenus en masse, mercredi matin, pour sauver des migrants dans la Manche. Un bateau de pêche a pu sortir de l'eau une trentaine de personnes. Mais d'après l'association Utopia56, qui affirme que ce nouveau drame aurait pu être évité, les secours semblent être intervenus trop tard. Au moins quatre exilés sont morts dans le naufrage.

Un nouveau drame s'est produit dans la Manche. Les secours britanniques et français sont intervenus tôt, ce mercredi 14 décembre, sous des températures très basses, mais ils ne sont pas parvenus à sauver l'ensemble des passagers d'un canot de migrants en route vers le Royaume-Uni.

Au moins quatre personnes sont mortes et 43 autres ont été secourues, dont certaines après avoir été repêchées des eaux glaciales de la Manche par des pêcheurs.

Les médias britanniques ont indiqué plus tôt dans la journée que 30 de ces 43 rescapés étaient tombés par-dessus bord, ce qui signifie qu'ils ont passé du temps dans l'eau glaciale, laissant craindre une hypothermie grave pour certains d'entre eux. Les autorités britanniques n'ont pas encore donné de bilan sur leur état de santé.

Les recherches pour retrouver d'autres personnes se poursuivaient à la mi-journée, d'après la ministre de l'Intérieur britannique, Suella Braverman. 


Les services d'ambulances britanniques ont indiqué avoir été contacté par les garde-côtes vers 3h40 GMT et heure anglaise (4h40 heure française), après des signalement suggérant qu'une embarcation était en difficulté au large de Dungeness, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Douvres dans le Kent.

Un porte-parole du gouvernement britannique a souligné que les autorités avaient été alertées à 03h05 GMT (4h05 heure française). 

Des bateaux et des équipes de sauvetage de plusieurs villes du Sud-Est de l'Angleterre ont été mobilisés ainsi que deux hélicoptères britanniques.

Il "y a des migrants autour du bateau"

Le capitaine d'un bateau de pêche en mer cette nuit a raconté sur la chaine de télévision anglaise Sky News avoir été réveillé par un collègue lui disant qu'il "y a des migrants autour du bateau". "Il y avait des gens partout dans l'eau, qui hurlaient", explique le marin, affirmant que son équipe a passé deux heures à secourir les migrants, sauvant 31 d'entre eux.

D'après le capitaine, les personnes secourues venaient d'Afghanistan, d'Irak, du Sénégal et d'Inde, et elles lui ont dit avoir payé chacune 5 000 livres (5 820 euros) à un passeur en France pour rejoindre le Royaume-Uni.

Une vidéo diffusée sur Sky News montre ces migrants, des hommes en majorité. Paniqués, ils tentent de monter sur le bateau de pêche en se hissant sur des cordes. Leur canot pneumatique noir est surchargé, dégonflé par endroit, et il prend l'eau. Certains n'ont pas de gilet de sauvetage.


Après avoir appelé les garde-côtes britanniques peu avant 3 heures du matin, l'équipage de pêche a passé deux heures à sortir les gens de l'eau, affirme Sky News. L'équipage leur a donné des vêtements secs et les a installés sous des couettes pour "faire remonter lentement leur température corporelle".

Mais alors que le navire de pêche commençait à s'éloigner, emmenant ses passagers au port, les marins ont réalisé qu'un migrant s'était attaché sur le côté du bateau et s'était noyé.

Les secours français ont envoyé des renforts

Aux côtés des secours britanniques, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a envoyé d'importants moyens. "Tôt ce matin, engagement de l'hélicoptère Dauphin et du bâtiment hydrographique Lapérouse de la Marine nationale dans le cadre d'une opération de sauvetage au large des côtes britanniques" dont la coordination est assurée par le centre de coordination des secours maritimes (MRCC, Maritime rescue coordination center) de Douvres", a signalé la préfecture sur Twitter.


Le patrouilleur des garde-côtes des douanes françaises, Kermorvan, a lui aussi été déployé en renfort, a ajouté la préfecture.


Des bateaux de pêche français étaient également mobilisés. Interrogé par la télévision locale France 3 dans la matinée, le président du comité régional des pêches des Hauts-de-France, Olivier Leprêtre, a déclaré que des pêcheurs ont aperçu "des corps qui flottent".

Un message de détresse reçu bien plus tôt dans la nuit

Un peu plus d'un an après un naufrage qui avait coûté la vie à 27 migrants, cette tragédie pose une nouvelle fois la question de la coordination et des responsabilités entre le Royaume-Uni et la France lors des incidents impliquant les migrants en mer.

>> À (re)lire : Manche : 240 migrants, dont certains déjà à l'eau, secourus en 24 heures

L'association d'aide au migrants Utopia 56, qui donne toujours un numéro à joindre en cas de naufrage en plus de celui des secours, a indiqué à l'AFP avoir été appelée bien plus tôt, à 2h53 (1h53 GMT), par un message vocal avec une localisation d'un bateau en détresse dans les eaux françaises.

"Nous sommes dans un bateau, nous avons un problème. S’il vous plait aidez-nous. Il y a des enfant et des familles dans le bateau. L’eau rentre dans le bateau par l’arrière. (…) Nous somme dans l’eau et nous avons une famille", dit le message communiqué à la presse par Utopia56.

"A 3h40 (2h40 GMT), les garde-côtes français nous ont dit que c'étaient les Anglais qui s'en chargeaient", explique Nikolaï Posner, un responsable d'Utopia 56, soulignant la dangerosité des traversées effectuées en hiver. "Le risque d'hypothermie suivi de la mort est extrêmement grand. Quand il y a ce genre de drame, on n'a pas le luxe d'attendre pour intervenir."

"S’il est impossible d’affirmer avec certitude que les messages provenaient du bateau naufragé, tous les éléments, que ce soit la localisation des bateaux de secours et les horaires d’intervention, tendent à y faire penser", précise Utopia56, qui a reçu 5 appels au secours cette nuit-là.

Une enquête judiciaire en cours sur un précédent naufrage

Il y a un peu plus d'un an, dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021, 27 personnes, âgées de 7 à 46 ans, avaient péri dans le naufrage de leur canot pneumatique, en tentant de rejoindre l'Angleterre.

Alors que l'enquête se poursuit sur les circonstances de ce drame, des documents judiciaires dévoilés par Le Monde mettent en cause les secours français et britannique : les deux services se sont renvoyés la balle sans qu'aucun ne porte secours au bateau naufragé. 

Selon le quotidien français, les passagers du bateau ont appelé à une quinzaine de reprises les autorités françaises pour leur demander de l'aide, en vain, suggérant que les secours français avaient attendu que les naufragés dérivent dans les eaux anglaises.

>> À (re)lire : Traversées vers le Royaume-Uni : "On s'attend à voir des embarcations en détresse avec des centaines de migrants à bord"

Au moins 205 migrants sont morts ou ont été portés disparus en tentant la traversée de la Manche depuis 2014, selon le Missing Migrants Project de l'organisation onusienne pour les migrations.

La traversée vers l'Angleterre reste l’une des plus dangereuses du monde en raison du trafic maritime et des conditions météorologiques dans la Manche et la mer du Nord. Plus de 400 navires de commerce y transitent par jour, les courants y sont puissants et l’eau glaciale, surtout en hiver.

Depuis le début de l'année, plus de 40 000 migrants tout de même sont arrivés au Royaume-Uni après avoir traversé la Manche à bord de petites embarcations depuis les côtes françaises en 2022. Un record.

 

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