Mo a une image positive de l’Allemagne. Un pays où il a trouvé un emploi solide dans une entreprise florissante | Photo : Kate Hairsine/DW
Mo a une image positive de l’Allemagne. Un pays où il a trouvé un emploi solide dans une entreprise florissante | Photo : Kate Hairsine/DW

Alors que Berlin prévoit d'assouplir les lois sur l'immigration, des migrants africains racontent à la DW leur expérience en matière de préjugés et de bureaucratie. Ils attendent avec impatience les réformes annoncées. Celles-ci pourraient en effet leur permettre d’obtenir la double nationalité.

Une demi-douzaine de clients vont et viennent dans les allées du supermarché afro-caribéen M&D de Karlsruhe, une ville moyenne du sud-ouest de l'Allemagne. Ici, outre du foufou et des ignames, on trouve une quantité de produits d'Afrique de l’Ouest.  

Pour Mohammed, 42 ans, le magasin constitue une activité secondaire. Originaire d’Accra au Ghana, il préfère ne pas voir son nom de famille apparaitre en ligne. Son emploi à plein temps, il l’exerce dans une usine Daimler implantée dans la région et qui produit des voitures de luxe de la marque Mercedes. La véritable gestionnaire du magasin c’est Faustina, sa femme, également originaire du Ghana. C’est elle aussi qui s’occupe de leurs quatre enfants. 

"C'est très agréable de vivre en Allemagne", affirme celui qui aime se faire appeler Mo. Il apprécie particulièrement l’excellent système de sécurité sociale et d'assurance maladie sans oublier la discipline et l'ordre qui règnent, selon lui, dans son pays d’adoption. "Pour une vie en Europe, je pense que l'Allemagne est le meilleur choix". 

Pourtant, la vie en Allemagne n’a as toujours été facile. Mo est arrivé en Allemagne, où son oncle vivait déjà, il y a plus de 20 ans, en tant que réfugié politique. Au début, il a dû affronter la bureaucratie pour obtenir ses papiers et un permis de travail, un aspect qui, selon lui, peut vraiment être encore amélioré en Allemagne. L'apprentissage de l'allemand a également été "très, très difficile", souligne-t-il. Il faut dire qu’à l'époque, la ville ne proposait pas de cours de langue gratuit comme c’est le cas aujourd’hui.   

Marqué par les stéréotypes 

Mo estime aussi que les Allemands ont certaines idées préconçues sur les Africains, dit-il, en particulier sur les hommes. 

"Dès qu'ils voient un homme noir, ils [les Allemands] pensent que vous devez être stupide", dit-il à DW. "Désolé mais la plupart d'entre eux, quand ils voient un homme noir, ils pensent automatiquement que c’est soit un réfugié, soit un dealer". 

En réalité, l'Allemagne, un pays de près de 84 millions d'habitants, compte peu d'immigrants africains. En 2021, seules 450.000 personnes originaires d'Afrique subsaharienne étaient enregistrées ici - sans compter celles qui ont acquis la nationalité allemande. Il y a deux décennies, à l’époque où Mo est arrivé en Allemagne, ils n'étaient que 164.000 à vivre officiellement dans le pays. 

A l’époque où Mo habitait dans un village des environs de Karlsruhe, la police l'arrêtait souvent pour voir ses papiers ou vérifier qu'il avait bien payé ses courses. Une fois, il a même été contraint de se déshabiller lors d'un contrôle antidrogue. Un moment "très, très embarrassant", se souvient-il.  

Plus récemment, raconte-t-il, la police est venue dans son supermarché parce que quelqu'un trouvait suspect que des Noirs se tiennent dehors, sur le trottoir, en étant "bruyants et en parlant au téléphone". 

"Ils ont un mauvais état d'esprit vis-à-vis des Noirs", déclare Mo. "Ils les voient comme de mauvaises personnes". 

En 2018, une étude a révélé qu'un tiers des Africains vivant en Allemagne ont déclaré avoir été maltraités ou abusés. C'est un taux beaucoup plus élevé que celui déclaré par les Africains dans la plupart des autres États membres de l'UE. Beaucoup ont également dit qu'ils se sentaient discriminés, en tant qu’Africains, dans la recherche d'un emploi ou d'un appartement

Dans le cadre de son travail, Mo n’a lui fait que des expériences positives. Il n’a pas non plus l’impression de sortir du lot vu le nombre de nationalités représentées dans son usine. Et le fait d'avoir un contrat avec Daimler, l'une des plus grandes entreprises allemandes, lui vaut d'être apprécié par les agences immobilières, qui voient en lui un locataire fiable.  

Une diversité croissante 

A deux pas de la boutique afro-caribéenne de Mo vit Delicia Hofmann, originaire d'Afrique du Sud. En 1996, deux ans seulement après l’accession au pouvoir de Nelson Mandela à l’issue des premières élections post-apartheid du pays, elle rencontre son mari, un Allemand en déplacement en Afrique du Sud. A cette époque, raconte-t-elle, vivre en tant que couple interracial dans mon pays était "très compliqué". Elle décide alors de s’installer en Allemagne où ils se marient. 

Diplômée de l'université et ayant heureusement appris l'allemand à l'école, chez elle, à Stellenbosch, elle trouve rapidement un emploi auprès d’un fonds de pension, service clientèle. Delicia Hofmann est alors la première personne noire parmi 800 employés. 

"Les gens me regardaient d'une manière étrange. Je le remarquais mais je ne me sentais pas pour autant bizarre ou ridicule", dit-elle, ajoutant que cela a probablement été plus facile pour elle en tant que femme en Allemagne; les hommes noirs sont traités de manière très différente. "Je me sentais bien accueillie dans la plupart des endroits, mais après plusieurs années, j'ai réalisé que c'était parce que je maîtrisais la langue." 

Il lui a fallu un certain temps pour acquérir la confiance nécessaire et "mettre en valeur" son africanité en portant certains vêtements spécifiques ou un foulard. 

Aujourd’hui, à mesure que Karlsruhe et l'Allemagne s'internationalisent et s'ouvrent, elle est de plus en plus "confiante" à l'idée de vivre ici. Un peu plus d'un cinquième des 306.000 habitants de Karlsruhe sont aujourd'hui nés à l'étranger. "J'ai l'impression que la plupart des gens ici sont ouverts à cela", dit Delicia Hofmann. "Et ils voient aussi la nécessité d'un changement". 

Pour Delicia Hofmann, l'un des plus grands avantages de sa vie en Allemagne est assurément la liberté de mouvement dont elle ne bénéficierait pas en tant que femme en Afrique du Sud. "J'apprécie vraiment de sortir et de pouvoir être dans la rue en sachant que je suis réellement en sécurité, même si je rentre tard à la maison sur mon vélo", dit-elle. 

"En fait, se déplacer à vélo est un luxe pour moi". 

Conflit sur la double nationalité  

Mais que ce soit Delicia Hofmann ou Mo, du magasin afro-caribéen, tous deux partagent un gros problème : l'Allemagne n'autorise pas la double nationalité avec les pays non-membres de l'UE, à l'exception de la Suisse, voisine. 

Or, ni l’un ni l’autre ne veulent abandonner le passeport de leur pays de naissance pour un passeport allemand. "Je sais que ce n'est qu'un morceau de papier, mais c'est un morceau de papier qui est lié à mon héritage", dit Delicia Hofmann. 

Dans le cadre d'un vaste remaniement des lois allemandes sur l'immigration, le gouvernement actuel a promis d'autoriser les citoyennetés multiples, ce dont elle se réjouit. Je pourrai alors dire : "Je suis maintenant une citoyenne allemande. Et c’est une bonne chose "parce que je me sens chez moi en Allemagne, et je voudrais aussi avoir le droit de vote." 

En attente de papiers 

À trois pâtés de maisons du supermarché afro-caribéen, quelques hommes sont assis sur un canapé et attendent une coupe de cheveux au One-Love Afro Barber Shop. L'un d'eux s’appelle Waham. Il a 24 ans et originaire d'Érythrée. Il vit en Allemagne depuis sept ans, après avoir fui le service militaire obligatoire draconien dans son pays. 

Avant l’Allemagne, il a vécu en Italie mais il se sent mieux ici parce qu'il y a plus de possibilités pour travailler et acquérir des compétences. De plus, il peut suivre des cours d'allemand dispensés par la ville. 

Le salon de coiffure One-Love Afro à Karlsruhe est un lieu de rencontre populaire pour les jeunes hommes africains | Photo : Kate Hairsine/DW
Le salon de coiffure One-Love Afro à Karlsruhe est un lieu de rencontre populaire pour les jeunes hommes africains | Photo : Kate Hairsine/DW

S’il y a une chose cependant qu’il ne comprend pas c'est à quel point l'Allemagne rend tortueuse les procédures de demande d’asile, notamment pour les Érythréens. Selon lui, le pays gaspille des compétences, car tant qu’ils ne sont pas sortis des limbes bureaucratiques, ils ne peuvent pas travailler. 

Pourtant, la moitié des entreprises allemandes déclarent avoir dû réduire leurs activités cette année parce qu'elles ne parviennent pas à recruter du personnel

"Il y a beaucoup, beaucoup de travail en Allemagne," observe Waham. "Mais ceux qui n'ont pas les papiers nécessaires ne peuvent pas travailler. Cela n'a pas de sens." 

Vivre sans famille 

Dans le cadre de sa réforme sur l'immigration, le Parlement allemand a aussi adopté un projet de loi visant à réduire les obstacles bureaucratiques du système d'asile. Ce projet permet aux personnes qui ont vécu en Allemagne pendant au moins cinq ans avec un permis de "séjour toléré" d'obtenir la résidence permanente. 

Mais même s'il devient alors plus facile pour ceux qui sont déjà ici de travailler, Waham met en garde contre le fait de demander l'asile en Allemagne. Le système de regroupement familial ne fonctionne pas ici, dit-il, ajoutant qu'il connaît de nombreux Érythréens qui attendent depuis des années que leur femme ou leurs enfants soient autorisés à les rejoindre. 

La loi allemande autorise certes les réfugiés reconnus comme tels à faire venir leur partenaire et leurs enfants en Allemagne. Mais les Érythréens sont souvent incapables d'obtenir les documents de leur propre gouvernement pour prouver ces liens familiaux. Et "sans votre femme, vos enfants, sans votre famille, la vie ici est clairement plus difficile", soupire Waham. 

Auteure : Kate Hairsine 

Source: dw.com 

 

 

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