Les spécialistes de l'éducation suggèrent que les enfants ukrainiens rejoignent les classes ordinaires des écoles allemandes dès que possible. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS
Les spécialistes de l'éducation suggèrent que les enfants ukrainiens rejoignent les classes ordinaires des écoles allemandes dès que possible. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS

La manière dont les enfants réfugiés sont scolarisés en Allemagne dépend de leur lieu de résidence. Et cela peut avoir de lourdes conséquences.

L’Ukrainienne Anna Bobrakova a de quoi se réjouir. "Maman, tu peux être fière de moi, je n'ai eu presque que des 1 à l’école", se félicite l’un de se fils. En Allemagne, le 1 est l’équivalent d’un 20 sur 20, soit la meilleure note possible. Anna Bobrakova a deux fils, de 15 et 12 ans, qui fréquentent actuellement un lycée de Berlin. Ils suivent des cours dans des "classes d'accueil", qui sont destinés à ceux qui ne maîtrisent pas encore l’allemand. 

Selon Anna Bobrakova, qui a fui l'Ukraine avec ses enfants au début de l'invasion russe, le système fonctionne bien. "Je n'ai pas encore eu à lui demander de faire des efforts", dit-elle de son fils cadet. "Il aime aller à l'école tous les jours." Son frère n'est pas toujours aussi enthousiaste, même s'il a de très bonnes notes. "Je dis souvent à mes enfants que s'ils ne se donnent pas de mal à l'école allemande, nous devrons retourner en Ukraine. Cela aide."

Un nombre croissant d'Ukrainiens veulent rester

Après neuf mois à Berlin, les deux adolescents ne veulent plus retourner en Ukraine. Et ils ne sont pas les seuls. "Nous savons que 50% des réfugiés de guerre veulent désormais rester en Allemagne", explique Natalia Roesler, du BBT, un réseau allemand de parents de migrants. 

Les réfugiés ukrainiens en Allemagne ont droit à une "protection temporaire". Leur statut de résident est initialement valable un an, mais peut facilement être prolongé deux fois de six mois.

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D’après Natalia Roesler, beaucoup de familles souhaitent rester au-delà de ces deux ans de résidence.

En Allemagne, un peu plus d’un million de réfugiés ukrainiens se sont enregistrés auprès des autorités allemandes depuis le début de la guerre fin février. Environ 35% d'entre eux ont moins de 18 ans, la plupart étant en âge de fréquenter l'école primaire. Comme tous les enfants en Allemagne, ils sont tenus par la loi d'aller à l'école.

Natalia Roesler se réjouit de cette obligation scolaire. Au départ, la plupart des réfugiés espéraient pouvoir rapidement retourner chez eux. "Ils étaient en quelque sorte assis sur leur valises et on ne voyait pas beaucoup de volonté à envoyer leurs enfants dans une école allemande", explique-t-elle. Cette réticence était favorisée par la possibilité pour les enfants de poursuivre en ligne leur scolarité en Ukraine.


Kamila et Sophia assistent à "Classroom for Ukraine", un projet d'école primaire à Berlin. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS
Kamila et Sophia assistent à "Classroom for Ukraine", un projet d'école primaire à Berlin. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS

Les régions compétentes en matière d'éducation

Quelque 201 000 enfants et adolescents ukrainiens sont inscrits dans des écoles allemandes. Karin Prien, ministre de l’Education de la région de Schleswig-Holstein, dans le nord de l'Allemagne, a qualifié ce chiffre de "grande réussite de l'intégration".

En Allemagne, l'éducation relève de la compétence des 16 gouvernements des régions fédérées, les Länder. Même si un mécanisme de coordination existe entre les régions pour harmoniser les règles et exigences, il n'existe actuellement aucune directive nationale sur la scolarisation des enfants réfugiés.

Ainsi, les règles varient selon les régions. 

Dans certains Länder, les enfants réfugiés peuvent rejoindre des classes ordinaires dès qu’ils ont acquis des bases d’allemand. Dans d’autres régions, les élèves ukrainiens suivent un enseignement séparé dans des classes préparatoires pendant une période pouvant aller jusqu'à un an.

Ces procédures sont difficiles à comprendre pour de nombreux Ukrainiens, selon Natalia Roesler. "Certains parents sont choqués d'apprendre qu'il existe 16 systèmes différents en Allemagne."


Plus de 200 000 élèves ukrainiens ont déjà rejoint les écoles allemandes. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS
Plus de 200 000 élèves ukrainiens ont déjà rejoint les écoles allemandes. Crédit : Lisi Niesner/REUTERS

Les classes d'accueil critiquées

En Ukraine, l'allemand fait partie des langues étrangères enseignées à l’école. Mais peu d'élèves arrivés en Allemagne ont déjà atteint un niveau de langue leur permettant de s’intégrer directement dans les écoles allemandes ordinaires.

Juliane Karakayali, professeure de sociologie dans une université de Berlin, milite toutefois pour une intégration immédiate des élèves réfugiés. "Dans la pratique, la séparation des migrants dans les écoles a plus d'effets négatifs que positifs", assure-t-elle. 

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Les classes d'accueil constituent un système parallèle qui n'est pas intégré au système scolaire ordinaire. En effet, dans ces classes il n’existe pas de programme clairement défini pour les élèves et dépend de chaque enseignant.

D’après Juliane Karakayali, qui fait des recherches sur le sujet depuis la vague migratoire de 2015-2016, les écoles allemandes manquaient déjà d’enseignants et de moyens avant l’arrivée de réfugiés. 

"Souvent, ces élèves sont simplement placés quelque part et personne ne se soucie de leur avenir", dit-elle. "Les écoles ne veulent tout simplement pas qu'ils soient un fardeau supplémentaire pour la vie scolaire."


Par manque de moyens, des enfants réfugiés d'âges et de pays différents peuvent se retrouver dans la même classe d'accueil. Crédit : Robert Michael/dpa/picture alliance
Par manque de moyens, des enfants réfugiés d'âges et de pays différents peuvent se retrouver dans la même classe d'accueil. Crédit : Robert Michael/dpa/picture alliance


Une étude de l'Institut pour la recherche économique RWI confirme cette analyse. Le rapport a révélé que la réussite scolaire des enfants réfugiés en âge d’aller à l'école primaire se détériore considérablement s'ils fréquentent une classe d’accueil plutôt qu’une classe ordinaire. Les enfants issus des classes d’accueil ont également moins de chances d’accéder à l’enseignement secondaire.

"Nous n'avons aucune directive sur ce que nous devons leur enseigner et à la manière dont nous devons le faire", confie une professeure d'école primaire de 27 ans du Bade-Wurtemberg, dans le sud-ouest de l'Allemagne.

Elle enseigne dans une classe d’accueil à des enfants ukrainiens âgés de 6 à 12 ans. "Dans notre école, nous avions une deuxième classe d’accueil avec des enfants qui parlaient arabe et turc. Malheureusement, comme nous n'avions pas assez d’enseignants, nous avons dû fusionner les classes."

Les cours sont éloignés du programme scolaire habituel. "Je communique en faisant des gestes et en utilisant le traducteur de Google", explique l'enseignante, qui souhaite rester anonyme. "Il y a des cours de langue élémentaire en allemand et de mathématiques, mais l'âge des enfants diffère trop." 

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L’enseignante tente ainsi de proposer des exercices individualisés pour s’adapter à chaque élève. Selon elle, les enfants gagneraient à être intégrés dans des classes ordinaires après une courte période de préparation de deux à trois semaines. La présence de professeurs ukrainiens pourrait également faciliter le travail.

"Autrement, les enfants restent entre eux et ne communiquent que dans leur propre langue", dit-elle. 

Deux poids, deux mesures

L'Allemagne manque de près de 30 000 enseignants. Un groupe de travail fédéral planche sur des idées pour former les enseignants ukrainiens, notamment à travers des cours intensifs d’allemand.

La reconnaissance des diplômes reste toutefois un obstacle. En Ukraine, le niveau licence permet déjà de travailler comme enseignant. Mais en Allemagne, les enseignants doivent être titulaires d'un master et avoir effectué un stage de 18 mois.

Selon la professeure de sociologie Juliane Karakayali, les 3 000 enseignants ukrainiens actuellement employés par les écoles allemandes le sont principalement en tant que "personnel éducatif extérieur". Ils touchent notamment un salaire inférieur aux enseignants allemands. 


Auteure : Sabine Kinkartz

Source : dw.com

 

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