Les préfectures du Rhône et de la Loire devront proposer une solution alternative à la dématérialisation des procédures, a ordonné le tribunal administratif de Lyon jeudi. Une victoire pour les associations requérantes, qui pointaient les difficultés pour les personnes étrangères dans l'utilisation des télé-services.
Demandes de rendez-vous en préfecture pour renouveler les titres de séjour, délivrance de documents, demandes de naturalisation... Les préfectures du Rhône et de la Loire imposaient jusqu'ici aux usagers étrangers des procédures dématérialisées pour ces démarches. Tout se passait sur le site "demarches-simplifiees.fr".
Mais ce jeudi, le tribunal administratif de Lyon a mis un coup d'arrêt à ce fonctionnement tout numérique. Suite à une audience qui s'est tenue mardi, il a déclaré "l'illégalité des décisions, dans le Rhône et la Loire, de mettre en place de tels télé-services de manière exclusive".
>> À (re)lire : En Seine-Saint-Denis, les demandes de titres de séjour toujours soumises à la dématérialisation
Cette décision fait suite à deux requêtes enclenchées le 30 mars et le 29 juin 2021 par plusieurs associations dont La Cimade, le Gisti, la Ligue des droits de l'Homme et l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE). Celle du 29 juin concernait pas moins de 17 préfectures, dont celles de la Loire et du Rhône. Ces procédures s'ajoutent à toutes celles lancées par des personnes étrangères elles-mêmes, notamment en Ile-de-France, pour faire valoir leurs droits face à la dématérialisation de plus en plus importante dans les préfectures.
Une "politique sciemment organisée pour restreindre l’accès au séjour"
La Cimade "dénonce depuis plusieurs années l’utilisation de procédures numériques imposée aux usagers du service public (...). Cette marche forcée vers le numérique ne s’accompagne d’aucun accès alternatif permettant aux personnes en difficulté avec l’informatique d’accéder aux services des préfecture", écrit l'association dans son communiqué à propos de l'audience de cette semaine.
"Quand je suis allé à la Préfecture, ils m’ont dit d’envoyer un message sur mon espace Internet. J’ai envoyé beaucoup de messages. Mais je n’ai obtenu aucune réponse. On se sent vraiment abandonnés", déplorait Aurélien en mars 2021 auprès de La Cimade, au milieu de plusieurs témoignages similaires. "Mon épouse, elle, n’arrive même pas à renouveler son récépissé de titre de séjour. Quand on va sur le site de la préfecture, il est impossible de sélectionner un rendez-vous."
>> À (re)lire : "Préfets, ouvrez vos guichets !" : des travailleurs sans-papiers mobilisés contre une préfecture inaccessible
"La fermeture des guichets fabrique des sans-papiers : des milliers de personnes perdent le bénéfice d’un titre de séjour du fait de l’incapacité du service public à respecter ses obligations légales", écrivaient plusieurs organisations à l'occasion de la procédure enclenchée en juin 2021. "Le manque de moyens alloués aux services "Étrangers" des préfectures, est un alibi commode pour justifier ces dysfonctionnements et camoufler une politique sciemment organisée pour restreindre l’accès au séjour."
L'application d'une décision du Conseil d'État
Dans son communiqué paru hier, le tribunal administratif de Lyon se réfère à une décision antérieure du Conseil d'État. Le 3 juin, la plus haute juridiction administrative avait rendu un avis majeur, en annulant un décret et un arrêté datant du printemps 2021 qui imposaient aux étrangers de prendre rendez-vous en ligne. Il avait été demandé au gouvernement de prévoir une "solution de substitution" à cette pratique, partout où elle est appliquée dans ses services.
>> À (re)lire : "Un système qui devient fou" : un rapport du Sénat étrille l'État français sur sa gestion de l'immigration
"Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences" d’un blocage administratif sur les usagers, "il incombe au pouvoir réglementaire, lorsqu’il impose le recours à un téléservice pour l’obtention de certains titres de séjour, de prévoir (…) un accompagnement", écrivait le Conseil d’État dans sa décision.
Pour l'heure, ce sont souvent les associations qui font ce travail d'accompagnement dans les démarches numériques. "Dans nos permanences, la plupart des gens viennent avec un pauvre smartphone. Quelques fois, ils ne savent pas s'en servir pour télécharger des documents. Ils l'utilisent simplement pour WhatsApp, ils ne se servent même pas des emails", expliquait Jean-Michel Delarbre, secrétaire fédéral de Seine-Saint-Denis pour la Ligue des droits de l'Homme, fin octobre à InfoMigrants.
Les préfectures du Rhône et de la Loire, elles, sont désormais enjointes par le tribunal administratif de Lyon à mettre en place d’autres modalités d’accès. Et ce, dans un délai de quatre mois.