Dans une décision rendue mardi, le Conseil d'État a validé le refus du gouvernement français d'accorder aux étrangers ayant fui l'Ukraine la même protection temporaire qu'aux réfugiés ukrainiens. L'administration estime que l'exécutif aurait pu étendre cette protection aux personnes non-ukrainiennes à condition d'avoir adopté un texte spécifique.
Il n'y aura pas d'élargissement de la protection temporaire aux étrangers non-ukrainiens ayant fui la guerre et aujourd'hui installés en France. Le Conseil d'État a pris, mardi 27 décembre, une décision validant le refus d'accorder aux étrangers ayant fui l'Ukraine la même "protection temporaire" octroyée aux réfugiés ukrainiens. Le Conseil justifie sa décision par l'absence d'arrêté spécifique des autorités françaises pour étendre ce mécanisme.
La protection temporaire permet aux réfugiés ukrainiens, pendant six mois renouvelables, de percevoir une allocation en France et d'y travailler.
Le 10 mars, dans une instruction adressée aux préfets, le gouvernement indiquait que la protection temporaire pouvait être étendue aux "ressortissants de pays tiers ou apatrides qui établissent qu'ils résidaient régulièrement en Ukraine sur la base d'un titre de séjour permanent […] et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables".
Mais cette disposition excluait de la protection temporaire la plupart des étudiants étrangers, africains notamment, qui vivaient en Ukraine, ainsi que de nombreux autres étrangers installés dans le pays. Dans un communiqué publié en juin dernier, la Coordination française pour le droit d'asile, un collectif d'associations en aide aux exilés, avait exprimé son inquiétude au sujet des "personnes étrangères (arméniennes, algériennes, congolaises, ivoiriennes ou russes), qui travaillaient, étudiaient ou étaient en cours de demande d’asile en Ukraine".
"Après un séjour toléré d’un mois, si elles n’ont pas formulé de demande d’asile - demande dont le sort est incertain - ces personnes commencent à recevoir des obligations de quitter le territoire français", alertait le collectif.
"Conditions sûres et durables"
Dans sa décision du 27 décembre, le Conseil d'État se penche sur le sort d'une femme arménienne qui vivait en Ukraine avant le conflit et a quitté le pays pour la France, où elle a sollicité cette "protection temporaire".
Fin avril, le préfet de Seine-Maritime lui a opposé un refus et lui a délivré une autorisation de séjour d'un mois le temps d'examiner sa situation. Cette décision a été ensuite infirmée par le juge des référés, conduisant le ministère de l'Intérieur à saisir le Conseil d'État.
Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative note que les textes européens pris après l'invasion russe réservent en principe la "protection temporaire" aux étrangers qui résidaient en Ukraine en vertu "d'un titre de séjour permanent" et n'étaient pas en mesure de regagner leur pays d'origine "dans des conditions sûres et durables".
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Cette dernière condition ne figurait pas dans la première mouture du texte établi par le Conseil européen, a révélé, en octobre, Le Monde dans une enquête en collaboration avec Lighthouse report.
La première version prévoyait que la protection s'applique à toutes les personnes vivant en Ukraine avec un titre de séjour permanent, "quelle que soit leur origine". "Mais le texte est ensuite modifié : seuls ceux qui ne peuvent pas retourner dans leur pays dans des conditions 'sûres et durables' sont concernés […] Selon un texte diplomatique allemand confidentiel, consulté par Le Monde, la Pologne, l’Autriche et, dans une moindre mesure, la Slovaquie se sont fermement opposées à une extension de la protection aux ressortissants de pays tiers", affirme le quotidien.
Selon le Conseil d'État, les États membres ont certes la possibilité "d'étendre" ce mécanisme aux étrangers détenteurs d'un titre temporaire - comme celui de la requérante arménienne - mais doivent pour cela avoir adopté un arrêté spécifique "désignant les catégories de personnes concernées".
Or, relève la juridiction, l'exécutif n'a pris "aucun arrêté" de ce type pour élargir ce mécanisme et l'administration disposait donc des bases légales pour opposer un refus à la requérante arménienne.
Des étudiants toujours en difficultés
Fin septembre, la France avait accueilli environ 106 000 personnes ayant fui l'Ukraine depuis le début de la guerre le 24 février, selon un récent rapport parlementaire. Parmi elles, de nombreux étudiants africains qui souhaitent poursuivre leurs études en France.
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Depuis juillet 2022, une circulaire du ministère de l'Intérieur leur a donné le feu vert pour qu'ils s'inscrivent dans les universités françaises, et a "gelé", le 17 juin, les Obligations de quitter le territoire (OQTF) pendant l'été.
Les étudiants disposaient alors d'un petit peu moins de trois mois pour s'inscrire à l'université et demander un visa étudiant. Dans une interview accordée au Monde en juillet, le préfet Joseph Zimet, qui pilote la cellule interministérielle de crise sur l’accueil des Ukrainiens, estimait à 200 le nombre de personnes éligibles au visa étudiant - sans préciser comment les autorités avaient réussi à dégager ce chiffre.
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Mais de nombreux étudiants ont rencontré beaucoup de difficultés à s'inscrire dans un cursus, les universités indiquant bien souvent que leurs effectifs étaient complets. Une situation d'autant plus stressante que certains avaient déjà reçu des OQTF avant le début du moratoire et ont été empêchés à cause de cela d'obtenir un titre de séjour.