Les portraits de Iryna (gauche) et Irisha par le photographe Martin Thaulow. Crédit : Martin Thaulow
Les portraits de Iryna (gauche) et Irisha par le photographe Martin Thaulow. Crédit : Martin Thaulow

Près de 8 millions de personnes ont fui la guerre en Ukraine. En Lettonie, Irisha et Iryna s'emploient à aider leurs compatriotes en exil ou de retour au pays. Elles participent également à une exposition de photos sur les réfugiés à Riga.

"Bienvenue à Tavi Draugi. Voici notre entrepôt", explique Irisha, postée au milieu de centaines de cartons dans un hangar situé dans la banlieue de Riga, la capitale de la Lettonie. "Nous avons de la nourriture, des médicaments, des produits d'hygiène, des vêtements, quelques articles ménagers, et un magasin où les réfugiés peuvent venir se servir gratuitement."

Cette Ukrainienne de 31 ans travaille pour une ONG locale appelée Tavi Draugi, "Vos amis" en letton.

"La moitié de cet entrepôt est destinée aux réfugiés qui vivent ici à Riga. Dans l’autre moitié, nous préparons des colis d’aide humanitaire pour que les familles aient de quoi manger pendant environ un mois. Nous trions également des vêtements. Chaque réfugié d'Ukraine peut venir ici pour obtenir de l'aide, des informations, des vêtements ou de la nourriture", raconte Irisha.

L’équipe de Tavi Drag prépare des colis de vêtements pour les envoyer en Ukraine| Photo : Martin Thaulow
L’équipe de Tavi Drag prépare des colis de vêtements pour les envoyer en Ukraine| Photo : Martin Thaulow
Sur cette carte de l’Ukraine, des punaises indiquent les localités vers lesquelles Tavi Draugi a envoyé de l’aide humanitaire | Photo : Martin Thaulow
Sur cette carte de l’Ukraine, des punaises indiquent les localités vers lesquelles Tavi Draugi a envoyé de l’aide humanitaire | Photo : Martin Thaulow
L’entrepôt de l’ONG Tavi Draugi à Riga | Photo : Martin Thaulow
L’entrepôt de l’ONG Tavi Draugi à Riga | Photo : Martin Thaulow
Les réfugiés ukrainiens peuvent trouver des vêtements chez Tavi Draugi | Photo : Martin Thaulow
Les réfugiés ukrainiens peuvent trouver des vêtements chez Tavi Draugi | Photo : Martin Thaulow
Irisha (à gauche) dans l’entrepôt de Tavi Draugi à Rig | Photo : Martin Thaulow
Irisha (à gauche) dans l’entrepôt de Tavi Draugi à Rig | Photo : Martin Thaulow
Des béquilles font également des biens collectés et redistribués aux réfugiés. | Photo : Martin Thaulow
Des béquilles font également des biens collectés et redistribués aux réfugiés. | Photo : Martin Thaulow
L’entrepôt de l’ONG Tavi Draugi à Riga | Photo : Martin Thaulow
L’entrepôt de l’ONG Tavi Draugi à Riga | Photo : Martin Thaulow


A l’origine, Irisha, son mari et leur fils de quatre ans étaient venus en Lettonie pour y passer des vacances. La famille était censée prendre l'avion pour rentrer à Kiev le 24 février dernier, soit au moment du lancement de l’invasion russe.

"Lorsque la guerre a commencé, je ne savais pas quoi faire. Si j'avais vécu en Ukraine sans enfant ni mari, j’aurais été en première ligne. J’aurais pris une arme, quitte à mourir au combat", a-t-elle confié à InfoMigrants.

Irisha est née et a grandi dans la ville ukrainienne de Vinnytsia, dans le centre-ouest du pays, avant de déménager à Riga lorsqu'elle avait 16 ans. En 2020, elle est repartie en Ukraine avec son mari et leur bébé pour lancer une entreprise de décoration intérieure à Kiev. Puis la guerre a tout changé.

Sept jours sur sept

Bloquée en Lettonie, Irisha a commencé par proposer ses services de traduction aux réfugiés arrivant à Riga.

Puis elle a rejoint l’ONG Tavi Draugi. Pendant les trois premiers mois de la guerre, elle se souvient y avoir travaillé sept jours sur sept, à passer des nuits entières au bureau.

"Quand vous comprenez qu'en Ukraine, les gens ne mangent pas, et que vous êtes assise ici dans un pays sûr et que vous mangez à votre faim, vous avez le sentiment que ce n'est pas normal. Pour moi, il était inimaginable de faire la fête ou d’aller voir mes amis. Alors j’ai travaillé sans relâche."

Au début du conflit, Irisha travaillé tous les jours pendant trois mois | Photo : Martin Thaulow
Au début du conflit, Irisha travaillé tous les jours pendant trois mois | Photo : Martin Thaulow
Le bureau d’Irisha au premier étage de l’entrepôt de Tavi Draugi | Photo : Martin Thaulow
Le bureau d’Irisha au premier étage de l’entrepôt de Tavi Draugi | Photo : Martin Thaulow
Des habitants de Riga ont fabriqué des chaussettes d’hiver pour les soldats ukrainiens | Photo : Martin Thaulow
Des habitants de Riga ont fabriqué des chaussettes d’hiver pour les soldats ukrainiens | Photo : Martin Thaulow


Depuis son bureau au premier étage, Irisha coordonne les demandes d'aide en provenance d'Ukraine - qu'elles proviennent d'autres ONG, de militaires ou de familles restées dans le pays. Parmi les articles les plus demandés figurent les caméras de vision nocturne, les sacs de couchage, les médicaments et les vêtements chauds.

"Pour certaines ONG, nous organisons le transport vers l'Ukraine. D'autres ONG vont chercher elles-mêmes les articles à Riga. Pour les articles utilisés par les militaires, nous nous rendons à Lviv, où des volontaires les récupèrent et les apportent sur les lignes de front", explique-t-elle.

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Irisha a également parcouru plusieurs fois le millier de kilomètres qui la séparent de l'Ukraine pour livrer elle-même des colis à Kharkiv et dans d'autres localités ukrainiennes.

Cet été, elle a reçu un certificat de l'ambassade d'Ukraine à Riga saluant son implication.

"Quand quelqu'un vous remercie, c'est très motivant. Quand je regarde ce certificat sur mon bureau, je comprends que j'ai fait quelque chose de bien pour l'Ukraine. Cela me rappelle à quel point je me bats pour ce pays", raconte Irisha.

Des drapeaux ukrainiens trônent sur la "Place de la solidarité" à Riga | Photo : Martin Thaulow
Des drapeaux ukrainiens trônent sur la "Place de la solidarité" à Riga | Photo : Martin Thaulow
Le photographe danois Martin Thaulow | Photo : Benjamin Bathke/InfoMigrants
Le photographe danois Martin Thaulow | Photo : Benjamin Bathke/InfoMigrants
Une manifestation organisée sur la "Place de la solidarité" devant l’ambassade russe à Riga | Photo: Martin Thaulow
Une manifestation organisée sur la "Place de la solidarité" devant l’ambassade russe à Riga | Photo: Martin Thaulow
Des portraits de réfugiés ukrainiens sur la "Place de la solidarité" à Riga | Photo : Martin Thaulow
Des portraits de réfugiés ukrainiens sur la "Place de la solidarité" à Riga | Photo : Martin Thaulow


Irisha est psychologue de formation. Elle martèle que l’Ukraine "est un pays démocratique. Mieux vaut mourir dans une Ukraine libre que de vivre en Russie."

Quelque 38 000 personnes fuyant l'Ukraine ont obtenu des permis de séjour ou des visas de longue durée en Lettonie depuis le début de la guerre. Certains sont repartis en Ukraine depuis.

Officiellement, les Ukrainiens représentent 2 % de la population en Lettonie, ce qui en fait le pays avec la plus grande proportion de réfugiés ukrainiens par rapport à sa population dans le monde.

Au cours de l'été, Irisha a été invitée à participer à une exposition photo sur les Ukrainiens qui ont trouvé refuge à Riga. Pendant plusieurs mois, son portrait et ceux de 19 autres réfugiés ukrainiens ont été exposés dans quatre lieux différents de la capitale lettone, y compris devant l'ambassade de Russie. 



L'exposition intitulée "Brothers & Sisters" (Frères et Sœurs), a été montée à Riga par Martin Thaulow, un photographe danois de 44 ans.

Des portraits de réfugiés sont ainsi exposés sur la place proche de l'ambassade de Russie à Riga, que les habitants surnomment désormais "Place de la solidarité", puisque c’est là qu’ont lieu les manifestations de soutien aux Ukrainiens.

En décembre, la rue située entre l'ambassade et la place a même été rebaptisée "Rue de l'indépendance ukrainienne", après des mois de manifestations et d'actions comme celle de Martin Thaulow.


Rendre aux réfugiés leurs dignité

Martin Thaulow a commencé à se pencher sur le sort des réfugiés il y a une dizaine d’années, lorsqu’il a analysé des milliers de photos de réfugiés dans les médias, afin de comprendre sous quel angle étaient présentées les personnes déplacées. 

Il a ainsi observé une tendance parmi les photojournalistes qui consiste "à prendre des photos d'en haut en plongée d'une manière stigmatisante et marginalisante".

"Une photo typique montrait des barbelés et un enfant avec des larmes sur les joues, les cheveux en désordre et des trous dans ses vêtements. Avec mes photos, j'essaie de rendre aux réfugiés leur dignité et de leur montrer du respect", explique-t-il à InfoMigrants. 

>> A (re)lire : Fact-checking : les réfugiés ukrainiens sont-ils mieux traités ?

Des chercheurs ont également constaté que la représentation visuelle de grands groupes de réfugiés entraînait une déshumanisation - et que les réfugiés étaient perçus comme étant une "crise" pour les pays d'accueil.

Pour Martin Thaulow, le format du portrait permet de contrer cette déshumanisation et la réduction des réfugiés à des statistiques sans visages.

Une fausse couche à cause du froid

Le photographe s’était également rendu au poste-frontière de Medyka, entre l'Ukraine et la Pologne, pour documenter l’exil massif des Ukrainiens au début de la guerre. Il se souvient avoir été particulièrement touché par l'histoire d'une femme nommée Ivanna. "Elle était enceinte de quatre mois. Deux jours plus tard, elle a perdu l'enfant à cause de la difficile traversée de la frontière et parce qu'elle est restée debout dans le froid pendant onze heures. Son histoire n'est qu'une parmi des milliers de personnes qui ont perdu des êtres chers."

Martin Thaulow a documenté l’exil des Ukrainiens comme ici, lors de sa rencontre avec Ivanna, au poste frontière de Medyka, en mars 2022  | Photo : Martin Thaulow
Martin Thaulow a documenté l’exil des Ukrainiens comme ici, lors de sa rencontre avec Ivanna, au poste frontière de Medyka, en mars 2022 | Photo : Martin Thaulow


Martin Thaulow a également été marqué par le témoignage d’Iryna, dont le portrait est aujourd'hui accroché dans les rues de Riga et qui est, comme Irisha, très active dans l'aide aux réfugiés arrivant dans la ville lettone.

Avec sa famille, cette adolescente a fui les bombes à Odessa, la grande ville portuaire sur la mer Noire dans le sud de l’Ukraine, dans la nuit du 24 février. "Je voulais continuer à dormir. Mes parents m'ont dit de m’asseoir dans la voiture, sans savoir où nous allions. Ils m’ont dit qu’on avait des amis en Bulgarie."

Leur voyage durera trois semaines, à travers la Moldavie, la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie, la Hongrie et la Pologne pour finalement arriver en Lettonie.

Iryna s'inquiète pour ses grands-parents, restés à Odessa. "Ils ne voulaient pas partir, ils ont une maison et un chat. Ils sont vieux. Une salve de roquettes a touché un appartement à côté de leur maison. Nous avons eu très peur", a-t-elle confié à InfoMigrants.

Iryna (au milieu) aides les Ukrainiens à la gare routière de Riga | Photo : Martin Thaulow
Iryna (au milieu) aides les Ukrainiens à la gare routière de Riga | Photo : Martin Thaulow

A Riga, Iryna aide désormais d’autres Ukrainiens en exil. Depuis dix mois, elle assiste ceux qui arrivent à la gare routière de la ville. 

Vêtue d'un gilet orange vif, elle se promène entre les arrêts de bus pour expliquer aux Ukrainiens comment trouver de l'aide à Riga ou poursuivre le voyage vers d’autres villes en Europe.

Elle a commencé à aller à l'école en septembre, mais continue à faire du bénévolat quatre à cinq heures par jour.

Rester déterminée

Irisha et Iryna espèrent bientôt pouvoir rentrer pour de bon en Ukraine. Irisha veut participer à la reconstruction de son pays. Depuis le début de la guerre, elle y est retournée trois fois pour accompagner ses collègues de Tavi Draugi.

"Nous aidons ceux qui sont en première ligne. La guerre fait toujours rage en Ukraine. Nous devons être forts", conclut Irisha, déterminée.

 

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