Capture d'écran - Vidéo prise par Nawal (militante) à Moria en mai 2017.
Capture d'écran - Vidéo prise par Nawal (militante) à Moria en mai 2017.

En mai dernier, une mère syrienne qui se plaignait des conditions de vie endurées par sa famille a été agressée par des policiers à Lesbos, en grèce. La scène a été filmée. Pour la première fois, la victime revient sur cet incident, symbole des problèmes que rencontrent les familles de réfugiés dans les camps de l’île grecque.

Cette vidéo a été tournée dans le camp de Moria, à Lesbos, au mois de mai 2017. Sur ces images, on découvre Rym*, une jeune mère de 26 ans, partie de Syrie avec son mari et ses deux enfants, dont l’aîné a quatre ans. La vidéo est montée en plusieurs séquences. Au début, on voit la femme sangloter en tenant ses deux enfants dans les bras et crier : "Nous avons fui l’injustice pour la subir à nouveau ici. Nous pensions trouver ici des organisations humanitaires qui nous viendraient en aide. […] On a jeté nos affaires dehors pour nous obliger à partir [au camp de Moria]. Mon fils a attrapé la gale. Il n’a pas pris une douche pendant 10 jours." 

Puis, la situation devient confuse. Un groupe d'hommes surgit à l'écran et tentent de s'opposer à des policiers grecs - ce qui crée un mouvement de panique. Au milieu des cris, on entend un homme dire : "S’il-vous-plaît, il y a un bébé !"

Dans la séquence suivante, Rym est allongée par terre, elle est prise de convulsions. Une fois remise, elle explique les violences dont elle vient d'être victime (voir témoignage ci-dessous). La vidéo est soudainement interrompue quand la personne qui filme - Nawel, une militante d'aide aux réfugiés - raconte avoir été, elle aussi, violentée par la police. Dans les dernières secondes de la séquence, on entend Nawel crier à un de ses camarades : "Prends le portable avec toi !" 

Pour protéger les personnes à l'écran, InfoMigrants a flouté les visages sur cette vidéo

"La situation a empiré depuis, et personne ne nous écoute"

Rym est originaire de la ville de Khan Cheikhoun, région d’Idlib, dans le nord ouest de la Syrie. Suite aux massacres et à l’attaque chimique qu’a connus la ville en février et avril 2017, Rym et son mari ont décidé de quitter le pays pour mettre leurs enfants à l’abri.

Nous avons d’abord passé la frontière vers la Turquie puis nous sommes passés illégalement en Grèce, après avoir connu l’enfer et l’exploitation des passeurs clandestins. Ces derniers ont retardé à plusieurs reprises notre départ vers l’Europe. Ils nous faisaient du chantage pour obtenir davantage d’argent. Au bout de la quatrième tentative, nous avons enfin réussi à accoster à Mytilène, sur l’île de Lesbos, le 5 mai.

Là-bas, nous avons été transférés vers le camp de réfugiés de Moria où nous avons été placés dans une 'grande tente', qui était plutôt une grande prison. Nous étions environ 75 personnes à l'intérieur et les conditions de vie étaient très mauvaises : nos lits étaient collés les uns aux autres, les toilettes et les douches étaient très sales et nous n’avions pas le droit de sortir du camp. Aucun suivi médical n’était assuré non plus, à tel point que mon fils de trois ans a attrapé la gale.

"J’ai perdu mon bébé dans le nouveau camp"

Dix jours plus tard, nous avons été transférés dans une autre tente, dont la superficie ne dépasse pas les 12 mètres carrés. Nous y vivions avec 3 autres familles. A côté de nous, il y avait d’autres tentes occupées par de jeunes hommes qui consommaient souvent de l’alcool. Mon mari et moi avions peur pour nos enfants, avions peur de ce qu'ils pouvaient faire en état d’ébriété et nous avons demandé à être transféré dans un lieu plus tranquille, où il n’y a que des familles.

J’étais tellement désespérée que je me suis assise à côté de l’entrée du camp, pour avoir une réponse à notre demande de transfert. Un agent de sécurité, en civil, m’a violentée. Ensuite, quatre autres s’en sont pris à mon mari et l’ont frappé. J’avais très peur pour lui, car il souffrait encore d’une blessure au ventre, conséquence de la guerre en Syrie. Tout ça a eu lieu devant mes enfants. J’étais très affectée, au point de perdre connaissance et d’avoir une crise de nerfs. J’ai souffert aussi d’une chute brutale de la tension artérielle.

Depuis, la situation a empiré. Nous avons été déplacés dans le camp de Kara Tepe, sur la même île, où j’ai appris que j’étais enceinte. Je me sentais très mal. Quelques jours plus tard, j’ai eu des saignements et j’ai perdu le bébé. Là-bas, nous ne recevons aucune aide humanitaire, et personne ne nous écoute. La situation est catastrophique, les températures sont insupportables et il n’y a même pas assez de nourriture pour tout le monde.

"Le manque de moyens est flagrant alors que le nombre de réfugiés ne cesse d’augmenter"

L’ONG Médecins Sans Frontières a pointé, dans son dernier rapport, la "détérioration dangereuse des conditions de vie des demandeurs d’asile à Lesbos". Elle y déplore notamment les restrictions émises par les autorités grecques afin de réduire le personnel médical et paramédical présent dans les camps, ainsi que leurs heures d’activités. Le seuil de vulnérabilité des patients a également été revu à la baisse par l’Union européenne en accord avec le ministère grec de la santé, afin d’identifier ceux qui pourraient être renvoyés en Turquie.

Louise Roland-Gosselin est responsable des affaires humanitaires au sein de MSF. 

Le nombre de réfugiés à Lesbos ne cesse d’augmenter. On en comptait 1 200 en juillet, et aujourd’hui, on en est à 3 800, rien que dans le camp de Moria. Inutile de vous dire que leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles.

Initialement, il y avait une équipe d’aide médicale qui faisait le tour des tentes afin de s’occuper des personnes dites 'vulnérables', c’est-à-dire, les femmes enceintes, les handicapés, les blessés, les amputés... Ces personnes sont aussi censées bénéficier d’une procédure accélérée afin que leurs dossiers soient étudiés rapidement et qu’ils soient transférés de l’île à l’une des villes grecques du continent.

Malheureusement, à cause des nouvelles directives européennes et de la réduction des effectifs, la situation de ces personnes va de mal en pire et elles ont de moins en moins accès à l’aide médicale. La situation est très alarmante sur place.

Depuis les accords sur l’immigration entre l’Union européenne et la Turquie (en mars 2016), les autorités grecques, en accord avec Bruxelles, placent les réfugiés qui arrivent sur les îles de Lesbos et Chios dans des camps, le temps de statuer sur leurs demandes d’asile. Mais ces centres s'apparentent à de véritables prisons à ciel ouvert. Le rapport de Human Rights Watch (HRW), publié en avril 2016, rappelle que le parlement grec a adopté une loi autorisant la "restriction des déplacements" pour les nouveaux arrivants, c'est-à dire l'interdiction de sortir des centres d'enregistrement tant que les dossiers des demandeurs d'asile n'ont pas été examinés.

*Le prénom a été changé

 

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