La Première ministre italienne Giorgia Meloni (au centre) a effectué une visite en Libye le 28 janvier 2023. Crédit : Reuters
La Première ministre italienne Giorgia Meloni (au centre) a effectué une visite en Libye le 28 janvier 2023. Crédit : Reuters

En visite à Tripoli, en Libye, le 28 janvier, la Première ministre italienne d'extrême-droite Giorgia Meloni a signé deux accords de coopération avec son homologue libyen Abdel Hamid Dbeibah pour lutter contre l'immigration clandestine. L'un d'eux prévoit la livraison de cinq navires aux garde-côtes libyens, régulièrement accusés de maltraitance envers les migrants.

"La Libye est une priorité pour l'Italie." Et c’est pour assurer "la stabilité de la Méditerranée", "la sécurité", et répondre à "certains des grands défis auxquels l'Europe est confrontée en ce moment, comme la crise énergétique" que Giorgia Meloni s’est rendue à Tripoli, le 28 janvier. Dans la capitale où siège le gouvernement d’union nationale reconnu par l’ONU, la Première ministre italienne d’extrême-droite a rencontré son homologue libyen Abdel Hamid Dbeibah, au lendemain d’un voyage en Algérie.


Au menu de la visite, la signature d’un contrat gazier "historique" entre les compagnies pétrolières libyenne et italienne, d’une valeur de 8 milliards de dollars, s’est félicité Claudio Descalzi, le PDG du géant ENI. Mais surtout, la mise en œuvre prochaine de deux accords de coopération entre Rome et Tripoli autour de la lutte contre l’immigration clandestine. En 2022, plus de 105 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes. Et d’après Giorgia Meloni, 50% d’entre eux ont pris la mer depuis la Libye.

Pour freiner les arrivées, l’Italie compte sur les interceptions d'exilés en mer. Dans cette logique, le premier accord promet de "renforcer les capacités et la coopération avec les autorités libyennes en ce qui concerne les services de garde-côtes", via la livraison prochaine de cinq bateaux "entièrement équipés", a fait savoir Abdel Hamid Dbeibah en conférence de presse.

Le second accord, quant à lui, jette les bases d’une "force opérationnelle conjointe" chargée des flux migratoires, mais aussi de la lutte contre le terrorisme et les stupéfiants. Les travaux pour la mise en place de cette "task force" italo-libyenne débuteront dans quelques jours, avec une première réunion à Rome. Les ministres de l'Intérieur, Matteo Piantedosi et Imad Mustafa Trabelsi "maintiendront des contacts continus pour suivre le développement de ses activités", indique la Rai.

Plus de 32 millions d’euros pour les garde-côtes libyens

Ces nouveaux traités renforcent encore un peu plus la coopération italo-libyenne autour de l'immigration clandestine, six ans après la signature du protocole d'accord sur la migration. Celui-ci, soutenu par l’Union européenne (UE), régit l’aide matérielle et financière fournie par Rome et Bruxelles aux garde-côtes libyens, afin de renforcer leur capacité de surveillance maritime. Depuis, l'Italie a alloué 32,6 millions d'euros pour des missions de soutien aux garde-côtes libyens, dont 10,5 millions d'euros au cours de la seule année 2021. Cette année-là, le contrat a d'ailleurs été renouvelé pour trois années supplémentaires.

Pour Michaël Neuman, directeur d’étude du Centre de réflexion et d’action sur les savoirs humanitaires, "cet accord fait partie de la stratégie de refoulement et de criminalisation des migrations mise en place par les États européens", avait-il fustigé dans un article publié par Médecins sans frontières en février 2022 à l’occasion du 5e anniversaire de l’accord.

>> À (re)lire : Après quatre ans d'accord avec la Libye, des ONG dénoncent une Italie "alliée" d'un pays où souffrent les migrants

L’aide supplémentaire accordée ce week-end aux garde-côtes libyens par l’Italie renforce donc d'autant plus l’inquiétude des ONG. "Bien que ce ne soit pas nouveau, c'est inquiétant", a déploré Alarm Phone, une plateforme de secours des migrants en mer à Associated Press. "Cela conduira inévitablement à davantage de personnes enlevées en mer et forcées de retourner dans des endroits dont elles avaient cherché à s'échapper."

"Leurs sourires, ensemble, constituent la peine capitale pour nous les habitants de la Libye, déplore de son côté, sur Twitter, le compte Refugees in Libya. La visite de Giorgia Meloni apporte plus de morts, et de graves violations des droits de l'homme".


"Usage excessif de la force"

L’action des garde-côtes libyens est très controversée. Si ces derniers affirment "secourir" les migrants en détresse en mer Méditerranée, les interceptions se font le plus souvent, dans une grande violence. En janvier 2022, ces exactions et "l’usage excessif de force" envers les migrants ont été reconnus par l’UE elle-même dans un rapport confidentiel.

Quelques jours auparavant, le navire humanitaire Louise Michel a rapporté avoir vu un patrouilleur libyen tirer sur un migrant qui avait sauté à l’eau pour leur échapper. Et en juillet 2021, les garde-côtes avaient tiré à balles réelles sur un canot en bois près de Lampedusa, selon une vidéo diffusée par Sea-Watch via son avion de surveillance.


Depuis le 1er janvier 2023, 1 434 migrants, dont 75 femmes et 45 enfants, ont été interceptés en mer et ramenés en Libye, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Tout au long de l’année 2022, 24 684 exilés au total ont été arrêtés au large de côtes libyennes. 

Samedi, Giorgia Meloni a balayé les critiques à venir en "garantissant un traitement humain des personnes". Nous sommes déterminés sur ce point", a-t-elle assuré. Une fois transférés à terre, la grande majorité des migrants sont pourtant jetés dans les centres de détention du pays. Où les attendent travail forcé, torture, extorsion et viols.

 

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