Devant l'intensité de la répression en Iran, la France a gelé les expulsions de migrants en situation irrégulière vers ce pays. Pourtant la préfecture de police de Savoie a contacté le consulat d’Iran à Paris pour demander un laissez-passer consulaire, après avoir délivré une obligation de quitter le territoire français, à la mi-janvier, à une ressortissante iranienne ayant fui la répression du régime iranien.
"La course aux expulsions pousse les préfectures françaises à la limite de la violation des droits de l’Homme", commente Manon Fillonneau, chargée de plaidoyer migrations pour Amnesty International. Pour cette ONG de défense des droits humains contactée par InfoMigrants, de même que pour la Cimade qui défend les migrants, la préfecture de Savoie a mis en danger une opposante iranienne et sa famille, en prenant contact à la mi-janvier avec l’ambassade d’Iran à Paris pour demander un laissez-passer consulaire.
Cette ressortissante iranienne d’une trentaine d’années s’était vue délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) après avoir été arrêtée par la police aux frontières à l’aéroport de Chambéry le 15 janvier, alors qu’elle tentait de prendre un vol en direction de Londres, munie d’un faux passeport. Elle avait pourtant déclaré faire l'objet de menaces dans son pays, où la répression s'est amplifiée ces derniers mois contre les manifestants qui s’opposent au régime iranien.
Depuis l’arrestation de Mahsa Amini, une jeune Iranienne tuée durant son arrestation par la police des mœurs à la mi-septembre, près de 500 personnes sont mortes en Iran et quatre protestataires ont été pendus par les autorités iraniennes.
D’après le média français d'investigation, Médiapart, qui a pu s'entretenir avec l’avocat français et le conjoint de l’Iranienne arrêtée à Chambéry, la trentenaire était en danger en Iran. Elle a échappé de peu à une arrestation de la police iranienne au lendemain d’une manifestation durant laquelle elle a été molestée. Son frère et sa sœur n’ont pas eu cette chance et ont été incarcérés.
Arrêtée plusieurs fois avec de faux papiers
Après avoir fui son pays en novembre, elle a gagné l'Italie, puis la France en décembre. Mais la migrante a refusé d’y déposer une demande d’asile parce qu’elle souhaite rejoindre le Royaume-Uni, où réside son compagnon.
Jusqu’ici, elle a tenté par quatre fois de prendre l’avion pour Londres avec de faux papiers fournis par des passeurs, sans succès. À Médiapart, son conjoint affirme "avoir déjà déboursé 10 000 euros pour l’aider à rejoindre l’Europe et souligne qu’il était 'impossible' pour elle de passer par des moyens légaux, comme une demande de visa humanitaire, alors qu’elle était recherchée en Iran et qu’elle a dû fuir le pays en catastrophe". Traverser la Manche en bateau n’est pas non plus envisageable par ses proches, qui craignent pour sa vie durant le périlleux voyage.
Contactée par InfoMigrants, la préfecture de police de Savoie confirme, malgré la situation de cette migrante, avoir pris contact avec le consulat d’Iran à Paris pour "demander un laissez-passer consulaire (LPC), le seul moyen de vérifier les déclarations de l'intéressée sur sa nationalité et son identité même s'il n'est pas question de reconduite".
Une conduite qui fait courir un risque sécuritaire pour les proches de cette exilée, regrette Amnesty : "Son nom, sa photo et ses empreintes peuvent avoir été communiquée à des représentants du régime iranien, faisant craindre des représailles sur les membres de sa famille restés sur place". "Le simple fait d’avoir cherché refuge en Union européenne fait désormais de vous un suspect aux yeux du régime iranien, surtout depuis que les dirigeants du pays se sont mis à accuser les gouvernements étrangers d’avoir fomenté la révolte en Iran", estime Manon Fillonneau. "Il n’existe plus de profil type de personnes qui seraient davantage à risque".
Gel des expulsions mais pas des OQTF
En effet, la France a gelé les expulsions vers la République islamique iranienne, comme l’affirme le ministère de l’Intérieur à InfoMigrants : "Nous ne procédons à aucun éloignement vers l’Iran". Une information confirmée également par la préfecture de Savoie qui a bien reçu les instructions du ministère. Pourtant, explique la préfecture, "comme le veut la procédure, la préfecture de Savoie a pris contact avec le consulat de l'Iran à Paris, afin de préparer l'expulsion de cette ressortissante Iranienne".
"Pourquoi avoir notifié une OQTF et pris contact avec le consulat alors que la France ne peut pas expulser ?", soulève Julie Aufaure, responsable régionale de la Cimade dans le Sud-Ouest jointe par InfoMigrants. Devant ce qu’elle qualifie de "situation absurde", l’association demande à l’État français de mettre fin aux OQTF visant les Iraniens et de transmettre une consigne claire aux préfectures.
Mais pour la préfecture, "il est normal d'effectuer ces contrôles car on peut avoir des déclarations de citoyenneté iranienne aux fins d'échapper à une reconduite puisqu'il est su que la France ne reconduit pas vers l'Iran".
Libérée après plusieurs jours en centre de rétention
"Ces agissements renvoient les migrants à une situation de non-droit et de privation de liberté", alerte encore Julie Aufaure. Après son arrestation à l’aéroport de Chambéry mi-janvier, la ressortissante iranienne a été envoyé dans un centre de rétention administratif (CRA) à Cornebarrieu, à Toulouse, durant plusieurs jours, avant d’être libérée par un juge des libertés et des détentions. À ce jour, les associations sont sans nouvelle d’elle.
Amnesty s’inquiète aussi du choc subi par ces personnes qui arrivent jusqu’ici avec de lourds traumatismes. Une militante qui a recueilli la migrante en sortie de CRA a décrit à Mediapart une jeune femme déboussolée par cette expérience.
Le cas de cette Iranienne qui a tenté de rejoindre le Royaume-Uni avec de faux papiers pose, en outre, la question de "l’inexistence de voie légale et sûre" pour demander l’asile au Royaume-Uni, déplore Amnesty.
Dans le cas de cette migrante, la situation pourrait toutefois s’arranger plus vite que prévu puisque "le gouvernement français a contacté le Royaume-Uni afin de lui permettre de se rapprocher de sa famille", précise la préfecture de Savoie.
Mais quant est-il des autres migrants iraniens sous le coup d’une OQTF ? Les associations et la presse française ont recensé au moins 4 Iraniennes dans ce cas. Parmi elles figure une femme, interpellée le 6 janvier après avoir tenté de traverser la Manche, qui s'est vu notifier une interdiction de retour sur le territoire français et l’espace Schengen d’un an. Son dossier passe devant le tribunal administratif de Rouen le 15 février.