Astoun est devenu secouriste à bord de l'Ocean Viking, 7 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel
Astoun est devenu secouriste à bord de l'Ocean Viking, 7 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel

Astoun a traversé la Méditerranée pour fuir la guerre en Syrie. Désormais, ce marin de formation fait partie de l’équipage du navire humanitaire Ocean Viking.

Pour mener ses opérations de sauvetage au large de la Libye, l’équipage de l’Ocean Viking est composé de nombreux marins expérimentés. Parmi eux se trouve désormais Astoun, un Syrien d'une trentaine d'années, la carrure imposante et le crâne rasé. Lorsqu'il n’est pas en intervention, il passe son temps à apprendre le français ou à la salle de sport rudimentaire qui se trouve à bord du navire humanitaire opéré par l’ONG SOS Méditerranée

Astoun a fait des études de génie maritime en Égypte. Il a été marin marchand pendant de nombreuses années après avoir servi dans l'armée syrienne alors qu'il avait 20 ans. Mais au-delà de ses compétences end mer, il apporte une autre expérience : celle de savoir ce que l’on ressent lorsque l’on laisse tout derrière soi et que l’on risque sa vie pour rejoindre l’Europe en montant à bord d’un bateau pneumatique surchargé.


Dans la salle commune, Astoun se repose après une opération de secours pour un bateau en détresse avec 37 personnes à bord, le 7 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel
Dans la salle commune, Astoun se repose après une opération de secours pour un bateau en détresse avec 37 personnes à bord, le 7 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel

Recherché par l’armée

Astoun est né à Hama, dans le centre de la Syrie. Il la décrit comme une petite ville, mais "quand vous dites une petite ville en Syrie, cela représente un million d'habitants", précise-t-il, amusé. Quatre ans avant sa naissance, Hama a été le théâtre d'un soulèvement contre le pouvoir alors aux mains de l’ancien président Hafez al-Assad. La répression du régime a fait des dizaines de milliers de morts.

Lorsque Astoun a vu sa maison pour la dernière fois en 2012, après le début de la révolution, cette fois contre le régime de Bachar al-Assad, Hama "était un chaos. L'armée avait encerclé la ville".

Astoun s’enfuit alors vers l’Égypte, où il assiste en 2013 aux manifestations massives et au renversement par l’armée du président Mohamed Morsi. C’est là que sa mère, restée en Syrie, l’appelle pour lui expliquer que l’armée s’est présentée à leur domicile dans le but de le réintégrer, comme nombre de jeunes hommes de son âge.

Astoun comprend qu’il ne pourra plus rentrer chez lui, "du moins pas tant qu’Assad sera au pouvoir".

"J'ai tout fait"

Si le jeune homme a réussi à rapidement quitter la Syrie pour l'Égypte, son voyage vers l'Europe prendra des années. Comme beaucoup de ses compatriotes syriens, il trouve au Liban, à Beyrouth, où il passe d’un emploi à l’autre. "J’ai travaillé dans une boulangerie, dans la construction, dans l'entretien des bâtiments. J’ai tout fait. Tout ce que je pouvais trouver."

Durant cette période, Astoun fait de nombreuses rencontres d’autres Syriens exilés. Avec eux, il peut échanger sur la guerre et sur l’avenir. Selon lui, une fois passé les frontières de leur pays, beaucoup de Syriens se gardent de dire aux étrangers ce qu’ils pensent et ressentent vraiment. "En revanche, nous savons beaucoup de choses les uns sur les autres. Dès que vous vous retrouvez dans un café, vous parlez à votre voisin et allez directement au fond des choses."

Astoun est rarement sans son verre de maté et sa boîte de tabac à rouler, le 8 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel
Astoun est rarement sans son verre de maté et sa boîte de tabac à rouler, le 8 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel


Astoun a tenté de rester optimiste. "J’espérais une fin heureuse à une grande révolution. J'espérais qu’on construirait un nouvel avenir, une démocratie, la liberté, des valeurs, l'égalité. J’espérais que les Syriens obtiendraient des droits et le respect des droits de l'Homme dans leur pays".

Mais le contraire se produit. La guerre civile s’enlise. Astoun perd espoir. "Je ressentais une grande déception en voyant qu’il n’y aurait pas de solution."

Le départ vers l'Europe

Ne voulant pas rester au Liban, un pays lui-même frappé par une grave crise économique, il "travaille sur un plan". "J'avais l'impression que le temps s'était arrêté pour moi, j'étais coincé."

Il prend contact avec des amis en Europe et décide de se rendre dans la ville turque d'Izmir. Là-bas, il se met à la recherche d’un passeur pour rejoindre la Grèce. "À Izmir, je me suis promené dans la rue à la recherche de groupes de personnes avec des sacs noirs. C'est comme ça que vous savez qu’il s’agit de gens qui se préparent à partir".

>> A lire aussi : Bateaux "tout équipés" pour les garde-côtes et "task force conjointe" - l'Italie et la Libye renforcent leur coopération anti-migrants

Il intègre un groupe et trouve une place dans une camionnette pour environ 1 000 dollars. "Tout a été très rapide. Je leur ai juste dit de me donner cinq minutes pour pouvoir retourner à l'hôtel et récupérer mes affaires".

Le groupe arrive sur la côte turque au lever du jour. Selon les souvenirs d’Astoun, ils sont une cinquantaine, dont de nombreux enfants. Le bateau pneumatique est petit, mais en bon état. Il ne se souvient pas avoir ressenti de la peur. Toutefois, la présence d'enfants à bord l’inquiète.

"Vous vous sentez responsable d’une façon ou d’une autre face à un enfant qui pleure. Même si ce n’est pas pas le votre, vous êtes un adulte.."

A quai dans le port de Marseille, les équipes préparent le bateau pour le départ. Astoun charge un sac rempli de gilets de sauvetage, le 16 décembre 2022 | Photo : Michael Bunel
A quai dans le port de Marseille, les équipes préparent le bateau pour le départ. Astoun charge un sac rempli de gilets de sauvetage, le 16 décembre 2022 | Photo : Michael Bunel


Le groupe atteint l'île grecque de Samos sans incident. Quelques jours plus tard, Astoun se retrouve à Athènes, avant de se lancer sur la route des Balkans jusqu’en Autriche. Au bout de plusieurs mois et d’innombrables passages de frontières, il finit par arriver en Norvège. "Quand j'ai atteint Oslo, j'ai eu l'impression de pouvoir enfin me dire que le temps n'est plus arrêté, que la rivière coule à nouveau."

En Norvège, Astoun met du temps à trouver sa place. Entre la langue, la bureaucratie et le travail, l’intégration dans la pays scandinave n’est pas aisée.

Le Syrien raconte avoir été déboussolé par le caractère plutôt réservé des Norvégiens. Il s’est néanmoins toujours senti accepté. "Même lorsque je faisais quelque chose de mal, je n'avais pas l'impression que je n’avais rien à faire ici. Et pour moi, c'est cela le véritable amour".

Retour en mer

Désormais à bord de l'Ocean Viking, un navire battant pavillon norvégien, Astoun se retrouve confronté à son passé. Même si le parcours de chaque migrants a quelque chose d’unique, le Syrien dit retrouver une certaine similarité chez les personnes qu’il sauve.

"Je suis moi-même arrivé au point où j'avais perdu tout espoir, me poussant à monter à bord d’un bateau pneumatique. Je ne me suis monté dans ce bateau parce que j'avais faim, ou parce que je rêvais du luxe européen. Je me suis mis dans cette situation parce que j'avais perdu tout espoir."

Autour de son cou, Astoun porte la clé du moteur du premier bateau qu'il a sauvé en mer, le 8 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel
Autour de son cou, Astoun porte la clé du moteur du premier bateau qu'il a sauvé en mer, le 8 janvier 2023 | Photo : Michael Bunel


Astoun retrouve cette même perte d'espoir dans les cicatrices physiques et émotionnelles des personnes secourues par l'Ocean Viking. Depuis une cabine du navire, il fait un geste vers l'abri, où sont regroupés des dizaines de personnes secourues. "Vous voyez les marques sur les corps des survivants. Ces marques parlent d’elles mêmes. Elle vous disent que ces gens ont perdu l’espoir. C'est pour cela qu’ils sont ici et qu’ils sont montés sur un bateau pneumatique pourri pour essayer de traverser la Méditerranée".

"L'un d'entre eux a reçu une balle dans le bras, juste pour son téléphone. Un autre a perdu son bras. Certains d'entre eux ont été forcés de travailler gratuitement pendant des mois pour avoir la chance de monter sur ce bateau", se désole le Syrien, qui porte autour de son cou la clé du moteur du premier bateau auquel il a porté secours. "Quelqu'un doit bien le faire. Et je suis à la hauteur."

 

Et aussi