La ville d'Alep, dans le nord-ouest de la Syrie, a été très durement touchée par le séisme qui a frappé la zone, lundi 6 février 2023. Les secouristes cherchent encore des victimes dans les ruines des immeubles effondrés. Crédit : Reuters
La ville d'Alep, dans le nord-ouest de la Syrie, a été très durement touchée par le séisme qui a frappé la zone, lundi 6 février 2023. Les secouristes cherchent encore des victimes dans les ruines des immeubles effondrés. Crédit : Reuters

Le bilan des deux séismes qui ont frappé, lundi, le sud de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie ne cesse de grimper. Mardi matin, les autorités turques ont annoncé que plus de 5000 personnes étaient mortes dans cette catastrophe. Parmi les victimes se trouvent de très nombreux déplacés du conflit syrien qui s'étaient établis en Turquie et dans le nord de la Syrie, dans des immeubles construits à la va-vite ou fragilisés par les bombardements.

Le vice-président turc a indiqué, mardi 7 février, que le bilan des deux violents séismes qui ont frappé lundi le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie dépassait désormais les 5 000 morts. Les autorités syriennes et des secouristes dans les zones rebelles ont fait état, pour leur part, de 1 509 morts et 3 548 blessés en Syrie.

Il ne fait aucun doute que ces chiffres vont progresser durant la journée, à mesure que les secouristes s'avancent dans les décombres. Mais le froid et la neige ralentissent actuellement leur travail et mettent en grand danger d'hypothermie les rescapés pris au piège des bâtiments effondrés, ou qui ont perdu leur domicile.

Parmi ces victimes se trouvent de très nombreux déplacés internes. Meurtri par une dizaine d'années de guerre, le pays compte six millions de personnes ayant dû quitter leur foyer. Ces populations ont fui diverses villes contrôlées par le régime pour se réfugier dans le nord du pays, en particulier dans le gouvernorat d'Idlib, où vivent deux millions de réfugiés, parfois dans des camps.

Ces zones sont aujourd'hui surpeuplées. "Sur les 4,6 millions d’habitants, 2,9 millions sont des déplacés, chassés de leurs maisons par les combats de ces douze dernières années, et 1,8 million vivent dans les camps", rappelle Libération, citant le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

Des habitats fragiles

La Turquie voisine, elle, compte environ 3,5 millions de déplacés syriens. "Rien que dans la ville (turque) de Gaziantep, il y a un demi-million de réfugiés syriens, cela représente un habitant sur cinq", a rappelé, lundi, Bilal Tarabey, chroniqueur international pour France 24.

Yasmine, une réfugiée syrienne installée en Allemagne, est très inquiète pour la famille de sa cousine installée à Urfa, à l'est de Gaziantep. Originaire de Deir-Ezzor, en Syrie, la famille vit en Turquie depuis sept ans. "Les secouristes ont pu sortir son mari mais elle et ses 2 enfants ne sont toujours pas retrouvés", a expliqué Yasmine à InfoMigrants.

Dans ces zones où résident de nombreuses familles syriennes, la fragilité des logements les expose particulièrement aux conséquences des séismes. "L'écrasante majorité (de ces déplacés) vit dans des constructions précaires, dans des immeubles qui ne répondent à aucune norme, qui sont construits en parpaings, sans fondations, et qui d'ailleurs peuvent régulièrement s'effondrer l'hiver en raison du climat extrêmement rigoureux", affirme Bilal Tarabey. Les autorités turques ont déjà dénombré près de cinq mille immeubles effondrés.

"Nous entendons les voix des victimes, mais nous ne pouvons pas sauver tout le monde"

En Syrie, même constat en ce qui concerne la fragilité des habitats, mais cette fois-ci en raison de la guerre qui ravage le pays depuis près de 12 ans. Les frappes continues sur le nord de la Syrie par les forces du régime et les forces russes ont en effet affaibli les infrastructures, a expliqué à InfoMigrants Raed Al-Saleh, le directeur de "Défense civile syrienne". Il y a "des milliers de bâtiments qui étaient fissurés à la suite des bombardements. Lorsque ce tremblement de terre s'est produit, un grand nombre de ces immeubles se sont effondrés. Maintenant, des dizaines de milliers de familles sont sans abri", affirme-t-il.

Les Observateurs de France 24 ont pu s'entretenir avec un activiste média, au nord de la ville d’Idleb. Selon lui, les camps faits de tentes ont été épargnés mais dans le village de Bsenya, où "des bâtiments ont été construits ces derniers mois pour accueillir des déplacés", les pertes sont considérables. "Ce petit village a été complètement rasé malheureusement", a-t-indiqué, précisant qu'aucun bilan humain n'avait pour le moment pu être établi.

Interrogé par InfoMigrants, Munir Mustafa, directeur adjoint de la défense civile syrienne pour les affaires humanitaires, confirme que les dommages sont concentrés dans les zones résidentielles et que les camps ont été relativement épargnés. "Les villes de Harem, Salqim, Jisr al-Shughour, Meles, Sarmada, Jandris ont été gravement touchées. Mais nous ne pouvons pas nous occuper de tous les bâtiments en raison du manque d'engins de chantier."

"Des centaines de familles sont encore sous les décombres. Nous entendons les voix des victimes, mais nous ne pouvons pas sauver tout le monde", a ajouté Munir Mustafa.

Un nouveau déracinement

Suite à la catastrophe, certains déplacés, en Turquie comme en Syrie, n'ont d'autres choix que de chercher un nouveau lieu où se réfugier. Khaled, originaire de Deir Ezzor, en Syrie, a dû fuir son logement à Gaziantep, en Turquie, et a tenté de trouver un abri dans une salle de mariage, spécialement réquisitionnée par les autorités pour les sinistrés. Mais des tensions ont éclaté entre Turcs et Syriens, dit-il, les premiers accusant les seconds de s'accaparer l'aide humanitaire destinée aux populations turques.

InfoMigrants a également pu joindre Abou Ahmad, un Syrien originaire d'Alep qui vit à Istanbul et dont la famille habitait jusqu'à lundi à Antakya, dans le sud de la Turquie. "L'immeuble [dans lequel vivait mes proches] s'est effondré, mais, heureusement, ils sont en sécurité, a expliqué Abou Ahmad. Ils n'ont pas d'abri pour le moment." Dans la panique, ses parents et son frère ont tenté de se rendre en Syrie, dans l'espoir d'être mieux pris en charge par les ONG syriennes, mais ont été stoppés à la frontière, hermétique aux passages.

>> À lire : "Il n'arrivait plus à nourrir ses enfants" : les victimes du naufrage au large de la Syrie, poussées à l'exil par des conditions de vie désastreuses

L'aide internationale à la Turquie doit commencer à arriver mardi avec les premières équipes de secouristes, de France et du Qatar notamment. Selon le président turc, 45 pays ont proposé leur aide. Le président américain Joe Biden a promis à son homologue Recep Tayyip Erdogan "toute l'aide nécessaire, quelle qu'elle soit".

En revanche en Syrie, l'appel lancé par les autorités de Damas a été surtout entendu par son allié russe, promettant des équipes de secours "dans les prochaines heures", alors que selon l'armée, plus de 300 militaires russes sont déjà sur les lieux pour aider les secours. L'ONU a également réagi, mais en insistant que l'aide fournie irait "à tous les Syriens sur tout le territoire", dont une partie n'est pas sous le contrôle du gouvernement.

Ce séisme est le plus important enregistré en Turquie - pays situé sur l'une des zones sismiques les plus actives du monde - depuis le tremblement de terre du 17 août 1999, qui avait causé la mort de 17 000 personnes, dont un millier à Istanbul. Les intempéries qui frappent cette région montagneuse paralysent les principaux aéroports autour de Diyarbakir et Malatya, où il continue de neiger très fortement, laissant les rescapés hagards, en pyjama dehors dans le froid.

 

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