Des enfants au centre pour migrants de Ter Ael, aux Pays-Bas. Crédit : Picture-alliance
Des enfants au centre pour migrants de Ter Ael, aux Pays-Bas. Crédit : Picture-alliance

Cinq centres familiaux accueillent, aux Pays-Bas, les déboutés de l'asile, ayant épuisé toutes les voies de recours. Dans la pratique, ces familles y demeurent souvent de longues années, faute de réelle perspective d'éloignement vers leur pays d'origine. Les conséquences pour les enfants qui y vivent sont multiples, décrit un rapport d'inspection paru ce mercredi : scolarité chaotique, "sentiment d'insécurité"..

Aux Pays-Bas, une enquête a été menée dans les centres familiaux pour les déboutés de l'asile. Conduite par l'Inspection de l'Éducation, un organisme de contrôle rattaché au ministère de l'Éducation et de la Culture, elle a été rendue publique mercredi 8 mars.

Ces centres sont gérés par l'Agence centrale pour l'accueil des demandeurs d'asile (COA), un organisme d'État. Il en existe cinq sur tout le territoire. Ces lieux sont réservés aux personnes déboutées de leur demande d'asile, ayant épuisé les diverses voies de recours. En théorie, les familles y restent jusqu'à l''exécution de l'éloignement ou jusqu'à ce que leur dernier enfant atteigne ses 18 ans.

La menace de l'éloignement pèse donc sur ces familles, mais en pratique, nombre de pays d'origine ne délivrent pas le laissez-passer nécessaire à leur expulsion ou n'acceptent pas le transfert. Depuis quelques temps par exemple, les Pays-Bas renouvellent moins les titres de séjour des Syriens, estimant que la situation dans leur pays s'est stabilisée. Pour autant, aucun avion ne décolle vers la Syrie. Ainsi, les familles demeurent longtemps dans ces centres familiaux.

Ruptures dans le parcours scolaire

Les enquêteurs se sont penchés sur le sort des enfants dans ces centres, en particulier sur leur apprentissage scolaire. Des écoles sont en effet situées soit à l'intérieur, soit à proximité de ces centres familiaux.

Première problématique : au vu du peu d'exécution des éloignements, les durées de séjour dans les centres familiaux sont très longues. Une statistique : 60% des personnes dans ces structures se trouvent aux Pays-Bas depuis plus de trois ans et un tiers depuis plus de cinq ans, démontre un rapport de 2019 de la Commission d'enquête "Étrangers résidents de longue durée sans droit de séjour permanent".

Or, les parcours d'accompagnement scolaires des enfants sont encore trop pensés à partir d'un "court séjour" théorique, qui ne correspond pas à la réalité. Dans les faits, "les familles ne restent pas pendant des semaines, mais pendant des années dans ces centres familiaux. La durée réaliste du séjour doit être le point de départ de l'éducation", insiste l'Inspection.

En effet, pendant ces années d'attente, les familles doivent souvent changer plusieurs fois de structures, ce qui implique des changements d'écoles pour les enfants. Parfois jusqu'à "cinq, six ou sept fois" y compris pour des "enfants de neuf ou dix ans", note l'Inspection. Les enquêteurs constatent que ces déménagements ont un "impact négatif sur la continuité du développement" de l'enfant, et causent des périodes d'interruption de la scolarité. 

Ces ruptures sont aggravées par le fait que "les déménagements ont souvent lieu à court terme et sans préparation", empêchant la mise en place de transitions plus douces. Or, les écoles gèrent bien souvent des listes d'attente pour faire rentrer les nouveaux arrivants.

"Sentiment structurel d'insécurité"

En outre, la situation sécuritaire dans ces centres familiaux n'est pas non plus idéale pour les enfants, placés "sous pression". Le rapport décrit des conditions de vie "austères", des lieux trop "bruyants" et "exigus", avec peu d'espaces préservant l'intimité. Cela les "empêche de bien dormir ou de bien manger", mais entrave également leur capacité à apprendre correctement à l'école, concluent les inspecteurs.

L'Inspection rappelle le gouvernement néerlandais à sa signature de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Elle émet plusieurs recommandations. Entre autres, "évitez les déplacements inutiles", "investir dans la professionnalisation des enseignants au sein des centres familiaux", ou encore "encourager la participation des parents" dans l'accompagnement éducatif des enfants.

>> À (re)lire : Aux Pays-Bas, le système d'accueil dans la tourmente après la mort d'un bébé dans un centre pour migrants

Les questions de sécurité se posent aussi plus frontalement. Cette enquête a été déclenchée suite à un "incident violent dans l'un des centres familiaux, avec l'agression d'un garçon de cinq ans", qui aurait "impliqué un autre enfant de 11 ans", rappellent les inspecteurs. Cet incident avait fait l'objet d'un courrier d'alerte officiel émanant de la mairie de la commune concernée.

Des contraintes liées à la "crise actuelle de l'accueil"

Le COA, l'Agence qui gère ces centres, "souscrit à bon nombre des observations et des préoccupations" mentionnées dans ce rapport, indique son communiqué paru mercredi. En revanche, l'Agence "n'approuve pas" la qualification selon laquelle ces centres familiaux seraient "dangereux".

"Comme on le sait, il y a actuellement une pénurie importante de lieux d'accueil. En conséquence, d'autres groupes ciblés ont récemment également été placés dans les emplacements familiaux", explique encore l'Agence. Ce qui n'aide pas à améliorer la sécurité des enfants, les centres se retrouvant d'autant plus sous la "pression" décrite dans le rapport.

>> À (re)lire : Aux Pays-Bas, les migrants restent à quai

Du côté du gouvernement, le ministre de l'Éducation, Dennis Wiersma, ainsi que le secrétaire d'État à l'Asile, Éric van der Burg, ont réagi au rapport, transmis par l'Inspection avec un courrier officiel récapitulant leurs conclusions. Les deux responsables politiques ont qualifié de "très dommageable" le fait que des jeunes enfants déménagent ainsi plusieurs fois d'affilée, avec des ruptures dans leur scolarité. Mais selon eux, certains déménagements ne peuvent être évités. "Dans la crise actuelle de l'accueil, limiter les mouvements de relocalisation reste une ambition, mais qui ne peut être correctement mise en œuvre dans la pratique", indiquent-ils.

Le système d’accueil néerlandais est en effet sous pression depuis un an, en raison d’un nombre insuffisant de structures pour héberger les demandeurs d'asile dont la majorité sont originaires de Syrie, d'Afghanistan et de différents pays africains. Le problème s’est aggravé depuis le début de la guerre en Ukraine.

 

Et aussi