Ramla Ali. Crédit : British Boxing Association
Ramla Ali. Crédit : British Boxing Association

Battre, combattre, ne rien lâcher pour construire son propre destin : telle est la philosophie de Ramla Ali. La boxeuse anglo-somalienne a réussi, poings fermés et concentrée sur ses objectifs, à se faire une place de choix dans le monde de la boxe, malgré un parcours de vie semé de barrières et de difficultés. À 33 ans, elle est devenue une référence dans le domaine et un symbole d’inspiration sur et en dehors des rings du monde entier. Portrait d’une athlète en combat constant pour réaliser ses rêves.

Été 2018. Après avoir combattu gants aux poings pour sa terre d’accueil, l’Angleterre, durant ses premières années de boxeuse, Ramla Ali annonce une nouvelle qui fait grand bruit dans le milieu : elle décide de changer de nationalité sportive et de représenter, pour les compétitions à venir, dont les Jeux Olympiques de Tokyo 2020, son pays de naissance, la Somalie.

Le changement marque les esprits, mais pour l’intéressée, c'est un retour aux sources, un geste de reconnaissance pour sa terre natale, engluée dans les conflits interethniques depuis de longues années. "Je n’étais pas retournée en Somalie depuis que j’avais quitté le pays à cause de la guerre, et j’ai décidé que je pouvais apporter, à ma manière, une image positive de ma terre natale, qui fait trop souvent l’actualité à cause de la violence", se souvient-elle. "J’ai donc décidé de porter les couleurs de mon pays de naissance, d’être fière de mes origines et de donner, même si ce n’est qu’à une certaine mesure, de l’espoir à la jeunesse du pays et aux filles et femmes somaliennes". 

Mais avant de faire parler d’elle sur les rings britanniques et aux quatre coins de la planète, Ramla Ali a vécu la galère, la peur et le doute, depuis Mogadiscio où sa famille est originaire, jusqu’à Londres, où le clan Ali a pu obtenir l'asile après avoir fui la guerre dans la Corne de l’Afrique.

"Nous avons vécu l’enfer"

Née en 1989 dans la capitale somalienne, Ramla Ali et sa famille vivent dans un contexte très difficile, entourés par la violence et l’instabilité, et où les autorités en place oppriment la population et contrôlent les faits et gestes des citoyens. Le pays est rongé par les tensions interethniques, et la situation pèse lourdement sur le quotidien des habitants, dont une grande partie cherche à fuir pour une vie meilleure. "Nous avons vécu l’enfer, chaque jour, à chaque instant, quelque chose de grave pouvait se passer, et la vie était très, très difficile", précise-t-elle. "La Somalie s’est embourbée dans des conflits et des tensions intenables, et tout a dégénéré, ce qui a mis le pays à genoux, et détruit, changé la vie de millions de famille, comme la mienne".


Ramla Ali. Crédit : International Boxing Events
Ramla Ali. Crédit : International Boxing Events


En 1992, la famille Ali est touchée par une tragédie qui sera un premier tournant dans la vie de la jeune fille. Alors que son frère ainé joue dans la rue, il est touché de plein fouet par un mortier, qui le tue. Les parents de Ramla décident de tout faire pour quitter leur terre de naissance dès que possible. "La perte de mon frère a été une terrible chose pour nous. Nous devions nous protéger, coûte que coûte", raconte-t-elle. Le clan Ali prend un bateau pour le Kenya moins de deux ans plus tard. Après neuf jours de voyage et malgré la mort de certains passagers de l’embarcation, ils arrivent dans l’ancienne colonie britannique.

Ils passent quelques temps dans le pays et demandent l'asile au Royaume-Uni, qu'ils finissent par obtenir. Ramla et toute sa famille arrivent à Londres en 1996. Une nouvelle vie commence pour la jeune fille, qui a enfin l’opportunité de profiter de sa jeunesse dans un contexte stable, et de rêver à un avenir meilleur.

"Marquer l’histoire de la boxe féminine"

Sur les terres de sa majesté, Ramla s’adapte petit à petit à son nouveau quotidien, mais continue tout de même de faire face à quelques difficultés, aux prémices de l’adolescence. "Ramla avait un problème de surpoids, et elle en a souffert, car les gens se moquaient d’elle, et elle a été l’objet d’harcèlement", souligne Jenna McGuire, une amie de longue date. "Mais elle avait toujours de l’énergie à revendre et elle a réussi à trouver la force, et une passion, qui lui a aidé à déplacer des montagnes".

Cette passion, c’est la boxe. Alors qu’elle veut perdre du poids, Ramla décide d’aller à l’âge de 14 ans dans une salle de sport locale, et découvre le noble art après s’être inscrite dans un cours de Boxercise, une méthode d’entrainement contenant des mouvements de boxe à haute intensité très pratiquée dans les salles britanniques. "Je suis tombé amoureuse de la discipline et je me suis lancé dans la boxe en voulant apprendre et me surpasser chaque jour", se souvient-elle, tout sourire. "Mais j’avais une crainte : je devais aller m’entrainer dans le plus grand secret, car je craignais que ma famille et ma mère n’approuvent pas le fait que je fasse de la boxe, qui n’est pas vraiment vu comme un sport féminin". Avec la complicité de son frère qui l’amène à la salle, et le soutien dans sa nouvelle passion, Ramla progresse à vue d’œil, et impressionne les entraineurs qui voient en elle un potentiel incroyable.

"Dès que je l’ai vue, avec sa détermination, sa rage et son envie de réussir, j’ai tout de suite su qu’elle avait un talent particulier", estime l’un des premiers entraineurs, Willis Fields. "Ramla est une passionnée, et elle est portée par un feu qui va au-delà de la simple envie de percer dans le monde de la boxe : elle en veut toujours plus, et veut faire tomber les barrières, inspirer les jeunes femmes. La carrière de Ramla montre bien qu’elle est en train de marquer l’histoire de la boxe féminine", ajoute-t-il.

Ambassadrice pour Cartier et Christian Dior

La jeune pépite enchaine les succès, remporte plusieurs titres nationaux en amateurs au niveau poids plumes jusqu’au jour où sa mère découvre que sa fille pratique la discipline. "Elle m’a demandé d’arrêter, mais après réflexion, elle m’a soutenu dans ma démarche, ce qui m’a rendu très heureuse" sourit-elle. "Lorsque je disputais une compétition au Danemark en 2012, elle m’a même appelé avant mon premier combat pour me souhaiter bonne chance. C’est un moment que je n’oublierai jamais !"

Les années passent et Ramla poursuit son chemin, et atteint son premier graal en devenant la première femme porte drapeau et boxeuse à disputer les Jeux Olympiques, à Tokyo en 2020, sous les couleurs de la Somalie. "Un sentiment unique, génial, tellement émouvant d’être une ambassadrice pour mon pays sur la plus grande scène sportive mondiale", se rappelle-t-elle. La même année, elle démarre sa carrière professionnelle, et combat même à l’O2 Arena de Londres en levée de rideau de l’idole britannique, Anthony Joshua.

Avec actuellement un bilan de huit victoires pour zéro défaite, Ali est invincible, mais mène aussi d’autres combats, hors des rings cette fois-ci. Profitant de sa célébrité, elle signe des contrats de sponsorings avec les plus grandes marques : elle est ambassadrice, entre autres, pour Cartier et Christian Dior, et se sert de sa notoriété pour faire parler et investir sur des causes qui lui tiennent à cœur.

"J’ai écrit mon livre 'Not without a fight : ten steps to becoming your own champion', qui est un guide pour le développement personnel. Par ailleurs, je m'investis aussi dans des projets en Somalie et avec des ateliers de boxe à travers le Royaume-Uni via l’initiative du Sisters Club qui amène les femmes victimes de violence à se retrouver sur un ring pour leur redonner confiance", précise-t-elle. "Elle a toujours cette envie constante d’aider son prochain, de donner échos aux gens dont on ne parle pas et qui galèrent en silence", explique Sandy Kennan, du Sisters Club. Et d'ajouter: " Ramla ne se bat seulement pour elle, elle se bat aussi pour les autres".

 

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