La Commission européenne a vivement réagi, mardi, au rapport de la mission d'enquête des Nations unies en Libye qui épingle le soutien financier de l'Union européenne à Tripoli. Un soutien qui aurait "aidé et encouragé la commission de crimes" contre l'humanité sur des migrants. "Notre argent sert à couvrir les besoins des personnes qui se trouvent en Libye", a rétorqué le porte-parole de la Commission européenne.
Le rapport d'enquête de l'ONU paru lundi 27 mars sur la situation des droits humains en Libye n'épargne pas l'Union européenne (UE). Il souligne sans détour que des migrants sont "appréhendés, détenus et débarqués en Libye dans le seul but d'empêcher leur entrée en Europe, en corollaire de la politique européenne d'immigration".
La Commission européenne a réagi dès le lendemain. "Couvrir les besoins des personnes qui se trouvent en Libye, à la fois les migrants mais aussi les communautés d'accueil qui sont affectées par cette situation, c'est là que va l'argent", a rétorqué Peter Stano, porte-parole de la Commission européenne, devant la presse réunie à Bruxelles.
"Je ne suis donc pas d'accord avec les affirmations selon lesquelles notre argent sert à financer le modèle commercial des passeurs, ou de ceux qui abusent et maltraitent les gens en Libye", a-t-il ajouté.
Pourtant, rappelle le rapport, l'UE et ses pays membres auraient "fourni, directement ou indirectement, un soutien financier et technique ainsi que des équipements, tels que des bateaux, aux garde-côtes libyens et à la Direction de la lutte contre la migration illégale", utilisés pour intercepter et détenir les migrants.
"Crimes contre l'humanité"
Cette assistance de l’UE aux autorités libyennes "a aidé et encouragé la Commission de crimes", y compris de crimes contre l’humanité, a martelé Chaloka Beyani, l'un des responsables de la mission d'enquête, lundi.
Le rapport a listé de nombreux cas de détentions arbitraires, de meurtres, de torture, de viols, d'esclavage sexuel, d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, confirmant que ces pratiques sont largement répandues en Libye. D'après le document, "il existe des motifs raisonnables de croire que l'esclavage sexuel, un crime contre l'humanité, a été commis à l'encontre de migrants".
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"Un large éventail de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ont été commis par les forces de sécurité de l'État et les milices armées" en Libye, a résumé le chef de la mission des Nations unies, Mohamed Auajjar, dans un communiqué.
Les membres de la Commission européenne ont déclaré prendre ces allégations "au sérieux", tout en défendant leur bilan en Libye.
"Bien sûr, il y a des incidents. Il y a des problèmes qui sont une source d'inquiétude. Nous essayons de les résoudre avec les partenaires en Libye, avec les partenaires internationaux", a poursuivi Peter Stano, relate Associated Press. "Ne rien faire n'est pas une réponse (...) Notre objectif commun, est d'aider à améliorer la situation des personnes bloquées en Libye", a-t-il conclu.
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Depuis sa création en juin 2020, la mission de l'ONU a conduit 400 entretiens et recueilli plus de 2 800 éléments d'information sur ces accusations de crimes de guerre. La mission partagera ses informations avec la Cour pénale internationale (CPI), pour tenter de retrouver et juger les responsables de ces exactions.
Interceptions en mer
L'UE a consacré "700 millions d'euros à la Libye au cours de la période 2014-2020", avait indiqué la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, dans une réponse écrite à une question du Parlement, rappelle AfricaNews.
Selon l'Organisation internationale des migrations (OIM), l'an dernier, plus de 24 680 personnes ont été interceptées en mer par les garde-côtes libyens alors qu’elles tentaient de quitter le pays. Samedi 25 mars, ces garde-côtes ont menacé l’équipe du navire humanitaire Ocean Viking, de l'ONG SOS Méditerranée, qui approchait d'une embarcation en détresse. "L’équipage a commencé à se comporter de manière agressive, menaçant avec des armes à feu et tirant plusieurs coups de feu en l’air", détaille l’ONG dans un communiqué.
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Pour protéger ses équipes, le navire humanitaire a "quitté les lieux à plein régime, alors que les garde-côtes libyens continuaient à tirer des coups de feu".
Les 80 migrants qui se trouvaient dans le canot ont, eux, étaient récupérés par les autorités libyennes. Ce n'est pas la première fois que les garde-côtes libyens sont accusés de faire usage de leurs armes pour menacer voire tirer sur des exilés ou des humanitaires en mer.
Lundi, la Commission européenne a réagi : "Nous allons demander des explications et des clarifications (aux autorités libyennes, ndlr) sur ce qui s'est passé, pourquoi cela s'est passé et quelle suite sera donnée", a promis Peter Stano.