Le président français Emmanuel Macron organise à Paris un sommet consacré à la crise migratoire. Les chefs d'États nigérien, tchadien, le Premier ministre libyen, la chancelière allemande, les chefs de gouvernement italien et espagnol et la chef de la diplomatie européenne sont attendus alors que de nouvelles tentatives désespérées de migrants pour traverser la Méditerranée sont rapportées chaque jour. À cette occasion, RFI revient sur la tragédie oubliée de l'émigration tunisienne. Car six ans après la chute de Ben Ali, des familles cherchent encore désespérément à retrouver la trace de leurs enfants disparus, partis pour l'Europe.
Quand survient la révolution de 2011, considérée comme le déclencheur des printemps arabes, la Tunisie connaît déjà bien le phénomène de l'émigration clandestine, avec des centaines de départs chaque année. Mais après la répression des manifestations populaires, puis la chute du régime policier de Ben Ali, les forces de l'ordre sont invisibles pendant plusieurs mois.
Des dizaines de milliers de jeunes profitent de cette faille sécuritaire pour embarquer clandestinement vers l'Europe. Selon les autorités, près de 27 000 d'entre eux prennent la mer rien que pendant l'année 2011. Selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, auteur de plusieurs rapports sur le sujet, ils seraient même plus de 35 000 à avoir essayé de traverser la Méditerranée à cette période.
Dans les mois qui suivent, 503 familles contactent cette association car leurs enfants ont disparu. Elles veulent savoir exactement ce qui est arrivé à ces jeunes. Sont-ils morts en mer ? Vivent-ils en Italie sous une autre identité ? Sont-ils en prison, sans oser contacter leurs proches ? Autant de questions auxquelles ces familles cherchent toujours des réponses, plus de six ans après les faits.
La détresse et le combat des mères
Sous un soleil brûlant, quelques familles des disparus sont réunies devant le ministère des Affaires étrangères, sur les hauteurs de Tunis, pour demander encore une fois où se trouvent leurs enfants.
Après six ans sans réponse, la mobilisation s'est essoufflée, mais Souad Roueri a tenu à faire, encore une fois, le déplacement depuis Bizerte, à une heure de Tunis. Son fils, Ghassen, a pris la mer trois mois après la chute de Ben Ali. Depuis, il n'a donné aucun signe de vie.
"Ça fait dix mille fois qu’on passe ici, au ministère des Affaires sociales, le Premier ministre, le président… Jusqu’à présent sans réponse. On vient ici, ils appellent la police. On ne sait pas quoi faire."
Ce jour-là encore, les grilles du ministère resteront fermées. En 2015 pourtant, les familles avaient repris un peu espoir quand le nouveau gouvernement a créé une commission chargée d'enquêter sur la disparition de leurs enfants.
Prélèvements ADN
Mais le silence des autorités a rompu la confiance de Fadhila Darchaoui. Cette femme au corps frêle vit seule dans un quartier pauvre de Tunis depuis la mort de sa mère et la disparition de son fils unique, âgé de 26 ans à l'époque.
Depuis qu'il a pris la mer en mars 2011, elle ne compte plus les prélèvements ADN auxquels elle s'est soumise, sans jamais obtenir d'information sur ce qui a pu arriver à son fils. "J'ai fait des prélèvements au ministère de l'Intérieur, et aussi à Sfax... Je l'ai fait beaucoup de fois", déplore-t-elle.
Au printemps, le secrétaire d'État tunisien aux migrations s'est rendu à Rome, notamment pour comparer les prélèvements ADN des familles avec les fichiers des personnes détenues ou décédées en Italie. Les familles disent n'avoir reçu aucune information depuis.
Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont bossé pour préparer les prélèvements ADN et les relevés d’empreintes. Les juges ont entendu, pendant des journées entières, les mères et les familles des disparus. Ils ont préparé le rapport. Mais après, ça devient un choix politique. C’est à ce niveau qu’il y a un blocage. (…) Il n’y a pas aujourd’hui une volonté politique pour ouvrir le dossier des disparus tunisiens.
Texte initialement publié sur : RFI