Le Conseil européen a renouvelé pour deux ans son soutien financier et matériel aux autorités libyennes. Dans le cadre de cet accord, l’Union européenne forme les garde-côtes libyens et leur fournit des navires dans le but d'empêcher les migrants de rejoindre l’Europe. Ce partenariat a été maintes fois dénoncé par des ONG, qui accusent l’UE de "complicité" avec les atrocités commises enversx les exilés en Libye.
Malgré les critiques, l’Union européenne (UE) poursuit la même stratégie en Libye. Lundi 20 mars, le Conseil européen a en effet décidé de proroger l’opération militaire Irini en mer Méditerranée jusqu’au 31 mars 2025.
Lancé en 2020, l’accord prévoit la formation des garde-côtes libyens et la livraison de navires afin d'empêcher les migrants de rejoindre le Vieux continent. Il doit aussi "contribuer à la perturbation du modèle économique des réseaux de passage clandestin et de traites des êtres humains par la collecte d’informations et les patrouilles aériennes", peut-on lire sur le site de la Commission européenne.
Le montant de l’opération Irini, pour la période du 1er avril 2023 au 31 mars 2025, s’élève à plus de 16 millions d’euros, indique encore l’UE.
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Ce partenariat vient en appui d’un autre accord signé entre la Libye et l’Italie. Soutenu par l’Union, le texte vise depuis 2017 à lutter contre l’immigration clandestine en donnant aux autorités libyennes la charge de la coordination des sauvetages au large de leurs côtes (tâche qui incombait auparavant au centre de coordination de sauvetage maritime de Rome ou de La Valette, à Malte). L’Italie, également, équipe et forme les autorités libyennes pour intercepter les exilés en Méditerranée.
Crimes contre l’humanité
La prolongation de l’opération Irini intervient au moment où l’UE est la cible de critiques pour son engagement en Libye. Le 27 mars, une mission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits humains dans le pays confirmait que des crimes contre l’humanité avaient été perpétrés contre des migrants dans des centres de détention. "Nous ne disons pas que l’UE et ses États membres ont commis ces crimes. Mais le soutien apporté a aidé et encouragé la commission de ces crimes", a déclaré Chaloka Beyani, de la mission des Nations unies.
La Commission européenne a réagi dès le lendemain. "Couvrir les besoins des personnes qui se trouvent en Libye, à la fois les migrants mais aussi les communautés d'accueil qui sont affectées par cette situation, c'est là que va l'argent", a rétorqué son porte-parole, Peter Stano, devant la presse réunie à Bruxelles. "Bien sûr, il y a des incidents. Il y a des problèmes qui sont une source d'inquiétude. Nous essayons de les résoudre avec les partenaires en Libye, avec les partenaires internationaux", a -t-il-poursuivi.
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Deux ans plus tôt déjà, Amnesty international avait affirmé que l’Union européenne était "complice" des atrocités subies par les migrants arrêtés en mer et envoyés en détention. Selon l'ONG, le soutien aux garde-côtes libyens contribue aux "terribles violations" commises "depuis une décennie" sur les exilés.
Lorsque les migrants sont interceptés en Méditerranée, ils sont transférés dans des prisons du pays, où les atteintes au droit y sont légion. Dans ces centres, les migrants sont victimes de tortures, de violences sexuelles, d’extorsion de fond ou encore de travail forcé.
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Depuis des années, InfoMigrants recueille régulièrement des témoignages de personnes faisant état de violences dans ces structures. Alpha, un Guinéen, avait confié en 2019 à la rédaction que des gardiens lui avaient tiré sur ses pieds alors qu’il tentait de s’échapper du centre de détention.

Amadi, un Malien de 24 ans, assurait en 2021 avoir été victime de brimades. "Les gardes nous traitent mal : ils nous frappent, sans aucune raison. Ils ouvrent la porte de la cellule et nous tapent. Quand ils arrivaient, je me cachais au fond de la pièce pour ne pas être battu", confiait-il.
Les femmes sont quant à elles la cible de viols répétés. "Tous les jours, les gardiens viennent chercher des femmes dans les cellules, et les emmènent à l’extérieur. Ils nous violent devant les autres hommes. On les entend rire et se moquer en arabe, car ils savent qu’après ce sera leur tour de nous passer dessus", nous expliquait quelques mois plus tard Aminata, une Ivoirienne, dont le dernier enfant est le fruit d’une agression sexuelle commise dans une prison libyenne.
"Usage excessif de la force" en Méditerranée
Les Libyens sont aussi accusés de violences envers les bateaux humanitaires qui sillonnent la Méditerranée ou sur les exilés entassés dans des canots de fortune.
Dernier fait en date : samedi 25 mars, l’Ocean Viking révélait avoir été menacé par des Libyens en pleine mer. Ceux-ci ont tiré des coups de feu en l’air pour empêcher le navire de SOS Méditerranée de porter secours à une embarcation en détresse. Plusieurs ONG de sauvetage ont connu le même sort ces dernières années.
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En février 2022, c’est l’Organisation internationale des migrations (OIM) qui avait condamné l’attitude des autorités libyennes. Elles avaient tiré à balles réelles sur un canot de migrants qui tentait de leur échapper, tuant un passager et en blessant trois autres.
La même année, L’UE, elle-même avait reconnu dans un rapport confidentiel que les autorités libyennes ont eu recours à un "usage excessif de la force" envers les migrants et que certaines interceptions en Méditerranée ont été menées à l'encontre de la règlementation internationale. Sans pour autant mettre fin à leur collaboration.
Depuis 2016, date du premier accord entre l’Italie et la Libye, plus de 130 000 personnes ont été interceptées en mer et renvoyées en Libye. Dans le même temps, près de 15 000 exilés ont péri en Méditerranée centrale en essayant de rejoindre l’Europe. Cette route migratoire demeure la plus meurtrière au monde.