Maria Guerra et Alain Gomez, deux compagnons d'Emmaüs, ont déjà traversé le détroit de Gibraltar à la nage et en kayak en août 2015. Crédits : emmaus-france.org
Maria Guerra et Alain Gomez, deux compagnons d'Emmaüs, ont déjà traversé le détroit de Gibraltar à la nage et en kayak en août 2015. Crédits : emmaus-france.org

L’organisme de défense des démunis, Emmaüs, organise une traversée du détroit de Gibraltar à la nage et en kayak afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la dangerosité de cette route migratoire de plus en plus empruntée par les migrants.

Deux ans après une première traversée du détroit de Gibraltar par deux anonymes, Emmaüs voit les choses en grand cette année. Une quarantaine de ses membres et bénévoles compte prendre de nouveau la mer à la nage ou en kayak début septembre en hommage aux dizaines de milliers de personnes qui périssent en Méditerranée. Ils seront rejoints par Damien Carême le maire écologiste de Grande-Synthe, près de Dunkerque (Nord), connu pour son engagement envers la cause des migrants.

L’élu, qui fera la traversée à la nage, a tenu à se joindre à la campagne d'Emmaüs dans l’espoir de faire réagir au sommet de l’État. Pour appuyer son action, il brandit notamment l’un des articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme selon lequel toute personne a le droit de “circuler librement” et de choisir “sa résidence à l'intérieur d'un État”. “L’article 13 prend aujourd’hui toute son importance dans cette Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui a quand même été adoptée en 1948. On est en 2017, il est temps que cet article prenne les devants”, estime-t-il.

>> À lire sur France 24 : À Grande-Synthe, des bébés de migrants dans des conditions inhumaines 

Selon la mairie de Grande-Synthe, Damien Carême n’a pas reçu de préparation spéciale en vue de la traversée, tout comme la plupart des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’élancent chaque année. “[Le maire] s’est simplement un peu entraîné en mer du Nord en juin”, précise-t-on. Et d’ajouter : “Il n’est pas particulièrement stressé. Il est plutôt déterminé et sait pourquoi il fait cette traversée”.

Autre supporter de choix pour Emmaüs : le journaliste et fondateur de Médiapart, Edwy Plenel. “Le propre de l’Homme c’est de bouger, de chercher à vivre mieux, d’avoir un avenir, d’avoir un espoir”, souligne-t-il. “Depuis que l’humanité existe, elle n’a cessé de se déplacer. L’Article 13 défend ce principe-là : ‘j’ai le droit de circuler librement, de choisir où je vais vivre, je ne suis pas assigné à résidence’. C’est un combat essentiel, c’est le combat de l’humanité depuis qu’elle existe.”

“Le fléau de l’indifférence”

Ni entraînés, ni spécialement préparés, les huit nageurs et trente-six kayakistes doivent embarquer pour une traversée de 14 kilomètres, simplement escortés -pour des raisons de sécurité- par un bateau. “Ils étaient deux en 2015. Là on veut frapper un grand coup. On a mis en place un plus grand dispositif. Le but c’est de lutter contre le fléau de l’indifférence, contre les habituels décomptes macabres”, explique Anne Dorsemaine, déléguée à la communication chez Emmaüs.

“On veut aussi interpeller [le président français] Emmanuel Macron. Il utilise une politique frelatée et moisie en matière d’immigration alors qu’il pourrait incarner un nouveau vent. On aurait aimé que sa capacité à l’innovation s’exprime sur le terrain de la crise migratoire”, regrette-t-elle.

"Cela fait des années que ça dure et [les migrants] continueront d'essayer de traverser, parce que c'est une question de survie pour eux", ajoute Frédéric Amiel, un autre responsable d'Emmaüs, déplorant également la logique "de non-accueil" des pouvoirs publics face à la crise migratoire et fustigeant "une gestion des frontières mortifère".

"L'horreur ne prend jamais de vacances"

Pour le seul mois de juillet 2017, quelque 2 300 personnes ont emprunté illégalement la route de "Méditerranée occidentale" vers l'Espagne, selon Frontex, l'agence européenne de contrôle des frontières. C’est quatre fois plus qu’il y a un an à la même période. Depuis le début de l’année, ils ont été plus de 11 000 à être détectés sur cette même trajectoire, dépassant déjà le nombre total de migrants comptabilisés sur la route de Méditerranée occidentale en 2016.

>> À (re)lire : De plus en plus de migrants venus du Maroc dans le détroit de Gibraltar 

Tandis que les autres routes (Méditerranée centrale, est et les Balkans) ont tendance à voir un déclin des arrivées ces derniers mois, celle à destination de l’Espagne ne faiblit pas. Un phénomène que Frontex attribue à la situation “de plus en plus instable” dans les pays d’origine et de transit des migrants qui empruntent la route de Méditerranée occidentale. S’ajoute également d’importants démantèlements de campements de fortune au Maroc et en Algérie qui ont, selon Frontex, “poussé” les migrants à chercher d’autres options et à viser ainsi l’Espagne. Les nationalités les plus récurrentes sur la route de Méditerranée occidentale sont ivoirienne, marocaine, gambienne et guinéenne.

Baptisée “Article 13”, l’opération de la traversée de Gibraltar doit avoir lieu le jeudi 7 septembre 2017, “si la météo le permet”, précise Emmaüs. En juillet, l’organisme avait déjà attiré l’attention en diffusant une vidéo choc intitulée "l'horreur ne prend jamais de vacances". On y découvre notamment une plage touristique jonchée de linceuls. Des images glaçantes vues des millions de fois sur Internet et tristement d’actualité puisque qu’une scène similaire a été très médiatisée fin août lorsque des migrants ont débarqué sur une plage d’Espagne, au milieu des touristes.

Emmaüs prévoit la diffusion d’un second film avec des personnalités du cinéma, du monde politique et médiatique, qui sera dévoilé lors d'une conférence de presse le 30 août.


 

Et aussi