Arrivée en Espagne après le retour des Taliban au pouvoir en août 2021, l’ancienne présidente de la fédération féminine de football d’Afghanistan, Arezo Rahimi, reste toujours attachée au ballon rond. Malgré les difficultés liées à sa nouvelle vie, Rahimi continue de travailler dur pour accomplir ses objectifs, et aider à mettre en lumière la cause des réfugiés en développant des projets liés au football féminin. Portrait.
Plus de 6 000 kilomètres séparent Kaboul de Madrid. Six mille kilomètres entre l’oppression et la liberté, entre le régime des Taliban qui réduit la condition des femmes au néant, et une nouvelle vie en Espagne. Pour se reconstruire et essayer de continuer de vivre de sa passion, le football. Telle est l’histoire d'Arezo Rahimi, amoureuse du ballon rond et qui a l’engagement social chevillé au corps.
Née dans la capitale afghane, Arezo Rahimi vit une enfance difficile, où les limitations que les femmes et les jeunes filles subissent sur leur quotidien est constant, sans répit. "Lorsque l’on est enfant, on veut faire des choses simples : jouer, se promener, apprendre et vivre heureux en famille", précise-t-elle, "mais dès mon plus jeune âge, j’ai vite compris que les barrières qui nous sont mises à nous, les filles et les femmes afghanes, sont très importantes. Ça a été mon quotidien durant toutes mes années au pays".
En effet, tout est très difficile, de la scolarité à la vie en société, en passant par la pratique du sport. Rahimi se rend compte qu’elle doit lutter tout le temps contre la pression constante des hommes, qui veulent que les femmes suivent leurs règles à la lettre. Pour elle, une petite porte de sortie, une bouffée d’air frais lui donne le sourire dans ce contexte : le football.
"Je voyais des hommes jouer dans le quartier, taper dans le ballon, courir et passer un bon moment, et je voulais faire de même ! Je sais que c’était mal vu pour une fille, mais je me disait 'tente le coup!', et je me suis lancé, à 11 ans", sourit-elle.
Une "fenêtre de liberté"
Elle approche une ONG internationale et récupère de quoi s’équiper : tenue complète et ballon. Elle se rend vite compte que d’autres filles veulent suivre le pas, et se réunir pour jouer. "C’était comme un vent d’espoir qui arrivait, cela m’a donné beaucoup de joie de voir que d’autres filles voulaient jouer et se réunir. On a donc démarré dans des endroits où on ne pouvait pas trop être vues, dans des cours intérieures de maison par exemple, de crainte d’être suivies ou réprimandées. C’était notre moment, notre fenêtre de liberté", se souvient-elle.
Rahimi progresse à vue d’œil année après année, et malgré la réticence de son entourage et les coups de pressions des plus conservateurs du quartier, elle persévère. "Je m’entraînais dès que je le pouvais, je voulais devenir la meilleure joueuse possible. Quand je démarre quelque chose, je ne m’arrête pas ! J’en veux toujours plus. Ma passion pour ce sport m’aide à avancer dans la vie malgré les épreuves rencontrées".
À ses 19 ans, elle intègre l’équipe nationale d’Afghanistan, une énorme fierté pour elle malgré le manque d’infrastructures et les opportunités limitées. La sélection n’a que peu de ressources et trop peu d’équipes nationales des environs ne veulent se rendre à Kaboul, ville en guerre.
La situation est frustrante, et Rahimi décide de devenir encore plus active en coulisses en intégrant la fédération de football d’Afghanistan. Elle reste, encore aujourd’hui, la seule femme de l’Histoire a avoir intégré le comité directeur, puis devenue présidente des féminines.
"Durant des années, on nous a mis des bâtons dans les roues, on ne voulait pas vraiment nous aider mais on a remué ciel et terre pour donner une chance aux jeunes filles qui voulaient jouer. On a organisé des camps d’entrainements, des tournois pour aider les filles dans leur quotidien avec trois fois rien en terme de budget. Cet engagement, ce combat, je me devais de le faire pour le présent mais aussi pour les générations futures" affirme-t-elle. "L’étape suivante aurait été d’envoyer des sélections de filles à l’étranger pour disputer des tournois internationaux, mais le retour du pouvoir des Taliban a tout arrêté", affirme-t-elle.
Une équipe de femmes réfugiées en Espagne
Le 15 août 2021, Arezo Rahimi est en pleine consultation médicale lorsqu’elle remarque des mouvements de foule massifs se dirigeant vers l’aéroport de Kaboul. Sa vie prend un nouveau tournant, rien ne sera plus comme avant.
Accompagnée de son mari et de ses parents, Rahimi tente deux fois de se frayer un chemin dans l’aéroport et de monter dans un avion, mais l’attente devient étouffante. "Nous étions extrêmement stressés, on avait peur que l’on ne puisse pas partir et de voir les Taliban s’en prendre à nous. On sait que l’on a eu de la chance de pouvoir embarquer le 23 dans un vol d’un avion de l’armée espagnole", se remémore-t-elle.
Direction Dubaï, puis Madrid, où le ministère des Affaires étrangères espagnol prend en charge la famille Rahimi ainsi que plusieurs autres milliers d’Afghans. "Ça a été un grand soulagement, mais aussi un moment infiniment triste, car on a tout laissé derrière nous : nos vies, notre maison, et mes projets de football avec les femmes afghanes. C’était comme si on effaçait notre passé".
Depuis son arrivée en Espagne, où elle a obtenu le statut de réfugiée, Rahimi s’adapte peu à peu à sa nouvelle vie. Elle met tous les éléments de son côté pour avancer, et continuer à vivre de sa passion du ballon rond. "Elle est obnubilée par cela ! Je lui dis souvent que le football est le grand amour de sa vie, avec moi. Ca la fait rire aux éclats !", sourit Sameem, son mari. "Elle remue ciel et terre pour mettre en place des projets sur le football féminin, elle sait déjà tenir une conversation en espagnol. C’est une grande battante, un modèle d’inspiration pour les Afghanes", dit-il fièrement.
Car malgré les difficultés de la vie de réfugiée, le football est resté l’un des moteurs de sa vie. "On vit dans un petit appartement, et je me bats chaque jour pour avancer sur mes projets et tenter de décrocher des diplômes pour devenir dirigeante dans le football espagnol", précise-t-elle.
Arezo Rahimi poursuit des formations, et a pour projet de mettre en place une équipe de femmes réfugiées qui évoluerait en division régionale du pays, en mettant l’accent sur l’aide sociale et pour faire parler de la cause des réfugiées par le sport. "Ce projet est très intéressant en termes d’impact et de valorisation des femmes réfugiées, et cela est d’une grande importance pour ces femmes qui ont tout perdu, et qui sont souvent dans le doute, sans confiance", souligne Ramon Sanchez, coordinateur de projets inclusifs pour le CEAR, le comité espagnol de l’aide aux réfugiés.
"Le sport est un vecteur d’unité, mais aussi d’intégration dans un groupe. Tout cela peut aider plusieurs femmes et familles à sortir de l’isolement auquel on peut être confronté durant les premières années comme réfugiés dans un nouveau pays", estime-t-il. En contact avec de nombreuses femmes de la diaspora afghane en Espagne, mais aussi aux quatre coins de l’Europe, Rahimi est déterminée à réussir et à aider à la pratique de son sport préféré.