Des gardes-frontière bosniens et croates face à des migrants, à Maljevac, le 24 octobre 2018. Crédit : Reuters
Des gardes-frontière bosniens et croates face à des migrants, à Maljevac, le 24 octobre 2018. Crédit : Reuters

Un groupe de cinq migrants qui accuse la police croate de violences physiques et d'agressions sexuelles lors d'un refoulement à la frontière avec la Bosnie en octobre 2020 a saisit le Conseil constitutionnel mardi 18 avril. Ils espèrent ainsi forcer la justice à mener une enquête alors que leur plainte au pénal n'a rien donné en plus de deux ans.

Ils veulent forcer la justice croate à faire son travail. Un groupe de cinq migrants afghans a saisit le Conseil constitutionnel croate mardi 18 avril, pour demander à la justice de mener une enquête. Ils accusent, depuis plus de deux ans, la police de violences physiques et d'agression sexuelle lors d'un violent refoulement à la frontière avec la Bosnie en octobre 2020, selon le Center for Peace Studies (CMS) de Zagreb.

En décembre 2020, cette association de défense des droits de l'Homme, avait porté plainte au pénal pour abus de pouvoir, organisation criminelle, torture et autres mauvais traitements, viol, privation illégale de liberté et vol qualifié. Mais alors que la loi croate prévoit un délai de six mois pour parvenir à une décision, la phase initiale de pré-enquête est toujours en cours, deux ans et demi après les faits. 

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Désormais arrivés en Allemagne où ils ont demandé l'asile, les cinq migrants sont soutenus dans leur démarche par le Conseil néerlandais pour les réfugiés et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains.

Passage à tabac, coups de fouet et agression sexuelle

Les violences rapportées remontent au 12 octobre 2020 et auraient eu lieu au-delà de la frontière de Velika Kladuša en Bosnie, à proximité de Šiljkovača - un campement forestier de tentes regroupant environ 700 migrants, comme le rapporte le quotidien britannique The Guardian.

Alors qu'un groupe de cinq Afghans, dont deux mineurs, traversaient la frontière entre la Bosnie et la Croatie, à travers la route des Balkans, ils ont été interpellés par des policiers croates. L'un des migrants s'est alors échappé. Les autres ont été emmenés de force et détenus au poste de police pendant deux jours, sans nourriture, pour y subir un interrogatoire. Ils ont ensuite été déferrés au tribunal du comté de Karlovac pour comparaître comme témoins dans l'affaire du migrant en fuite, puisque ce dernier était accusé de comportements violents envers la police.

Les quatre exilés ont ensuite été remis par les policiers à un groupe militaire non identifié. Selon leurs témoignages, dix hommes armés, vêtus de noir et portant des cagoules intégrales, des bottes militaires et des lampes de poche sur leurs fronts les attendaient dans une camionnette.

Les victimes racontent alors avoir été passées à tabac de manière très violente avant d'être refoulés en Bosnie : "Les jambes étaient également entravées. Une fois la personne entravée, le passage à tabac a commencé. Ils ont reçu des coups de poing, des coups de pied, des coups de fouet et ont été battus. Les rapports médicaux confirment que les blessures des migrants correspondent à l'utilisation d'un fouet", explique The Guardian qui a pu consulter le rapport rédigé par le Centre d'études sur la paix.

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L'un des migrants raconte même avoir été agressé sexuellement à l'aide d'une branche d'arbre. "Le patient présentait des blessures sur toute la partie arrière de son corps, sur le dos et les jambes. Je peux confirmer les signes d'une violence sexuelle évidente", a témoigné un médecin qui l'a examiné.

Les unités spéciales de l'opération "Corridor" pointées du doigt

Le Centre d'études sur la paix suspecte les auteurs présumés des violences d'appartenir à des unités de l'opération "Corridor", chargée du contrôle des frontières croates. Il a d'ailleurs déposé plainte en juillet 2020 contre ce groupe et a appelé "les instances compétentes à mener une enquête efficace, afin que les auteurs de ces crimes soient sanctionnés."

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Dans une investigation menée conjointement par huit médias européens et publiée en 2021, le magazine allemand Der Spiegel rapporte que ces hommes "opèrent pour la plupart en secret" et que ces opérations de refoulement sont financées par l'Union européenne (UE). Environ 177 millions d'euros auraient ainsi été versés à Zagreb entre 2014 et 2021, dans le cadre de la gestion de l'immigration à ses frontières.

La Croatie, régulièrement condamnée pour les violences à sa frontière

Citée par The Guardian, Charlotte Slente, secrétaire générale du Conseil danois pour les réfugiés, a déclaré que "plus de 75 personnes en une semaine ont toutes signalé de manière indépendante des traitements inhumains, des passages à tabac sauvages et même des abus sexuels."

La frontière entre la Croatie et la Bosnie est la plus longue frontière intérieure de l'UE. Des policiers armés de matraques, de pistolets et de lunettes de vision nocturne y patrouillent chaque jour et nuit. De nombreuses violences de la part des policiers bosniens et croates y ont été établies, en particulier depuis quatre ans, selon plusieurs ONG. Par ailleurs, les enquêtes locales peinent à aboutir.

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Le 17 janvier 2023, la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé l'incapacité de la Croatie à mener des enquêtes effectives sur les crimes commis contre les migrants et les réfugiés dans deux arrêts : "Les institutions compétentes ne mettent rien en place pour assurer la sécurité et les droits des personnes exilé.es", écrit-elle dans un communiqué de presse.

Elle cite notamment le Centre d'études sur la paix qui dénonce depuis des années l'inefficacité des enquêtes croates sur les violences commises à l'encontre des exilés : "Comme le démontre la nature systématique des violations des droits de l’Homme des réfugiés, plusieurs institutions - qui devraient protéger l’État de droit et les droits de l’Homme - ne font tout simplement pas leur travail."

 

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