Des tentes installées à proximité du camp de Vathy, à Samos, le 16 juin 2022.  Crédit : InfoMigrants
Des tentes installées à proximité du camp de Vathy, à Samos, le 16 juin 2022. Crédit : InfoMigrants

La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Grèce pour l'accueil d'une demandeuse d'asile dans un hotspot grec en 2019, une première. Selon la Cour, les conditions de vie de la jeune femme étaient considérées comme un traitement inhumain et dégradant.

C’est le 16 août 2019 qu’"AD", une ressortissante ghanéenne de 23 ans qui a souhaité rester anonyme, est arrivé à Samos. Enceinte de six mois, la jeune femme réside au centre d’accueil et d’identification (RIC) de l’île. Enfin, à cause de la surpopulation - 4 190 personnes pour 648 lits à cette période -, elle vit dans une tente dans la forêt à proximité de la structure.

Ce n’est que fin septembre qu’elle obtient une place au sein du RIC, selon l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qu'elle a saisie pour protester contre ses conditions de vie.

Devant cette juridiction, elle témoigne ne pas avoir de nourriture adéquate pour une femme enceinte de six mois, que les sanitaires du hotspot sont "inadéquats" et qu’elle craint "pour sa sécurité et sa grossesse", et souffre "de troubles du sommeil". Elle a dû rester dans une tente jusqu'à son accouchement. Ce n'est qu'après avoir mis au monde sa fille et à la suite d'une ordonnance de mesure provisoire de la CEDH qu'"AD" a finalement pu quitter l'île.

"C'est devenu une lutte pour la survie"

Dans ce camp de Samos, la situation difficile a été confirmée par la Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, lors d’une visite de cinq jours en Grèce en octobre 2019.

"Les gens font la queue pendant des heures pour obtenir de la nourriture et pour aller aux toilettes, lorsqu'elles sont disponibles. À Samos, les familles taillent des rochers pour faire de la place sur les pentes escarpées afin d'installer leurs abris de fortune, souvent fabriqués à partir d'arbres qu'elles ont eux-mêmes coupés. Cela n'a plus rien à voir avec l'accueil des demandeurs d'asile. C'est devenu une lutte pour la survie", témoignait-elle à l'époque.

Des accusations auxquelles le gouvernement grec a répondu lors de l’audience devant la CEDH. Il soutient qu’au moment des évènements, la Grèce est "confrontée à une nouvelle crise migratoire" et que "le système d’accueil est sous pression". Malgré cette situation, "la requérante a, tout au long de son séjour, reçu des repas et de l'eau en quantité suffisante et son examen médical a eu lieu rapidement", ajoutent les autorités.

De plus, "AD" n’a subi "aucune forme d’abus (...) même si ses conditions d'accueil et de vie n'ont pas été pleinement conformes aux dispositions d'accueil en raison du nombre important des arrivées au cours de cette période".

"Une victoire"

Face à ces témoignages, même si "elle ne sous-estime pas la charge et la pression que cette situation fait peser sur les États", la CEDH a décidé de condamner la Grèce le 4 avril dernier car la situation "ne saurait exonérer un État des obligations qui lui incombent en vertu de" l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Ainsi, le pays a été condamné à verser 5 000 euros à la plaignante.

"Une victoire" pour les ONG qui salue une condamnation inédite. Ce centre fermé "est un environnement hautement sécurisé et dégradant, où les personnes en déplacement sont systématiquement détenues de facto, coupées de la société au sens large et se voient refuser l'accès aux services essentiels", a déclaré dans un communiqué Ella Dodd, coordinatrice juridique chez I Have Rights on Samos qui a accompagné AD dans sa démarche.

>> À (re)voir : Vidéo : le camp grec de Samos, une prison à ciel ouvert ?

"C’est quelque chose de très important juridiquement et politiquement", estime de son côté Lefteris Papagiannakis, directeur du Conseil grec des réfugiés à InfoMigrants. "Ça condamne les pratiques de la Grèce de l’époque et ça nous donne une image de ce que la Cour considère comme des conditions appropriées pour l’époque", ajoute-t-il.

Pour lui, cette affaire "montre la voix pour la Cour" car de nombreux autres cas sont en attente de jugement. "On espère que toutes les affaires de 2018, 2019 et 2020 iront dans le même sens", souligne Lefteris Papagiannakis. Parmi elles figurent des affaires de conditions d’accueils, mais aussi de pushbacks.

Aujourd'hui, les conditions d'accueil ne sont plus les mêmes mais restent vivement critiquées. "Même si ces camps sont toujours des prisons et nous continuons de les dénoncer, on ne peut pas nier que par rapport à 2019, les choses se sont améliorées", tempère Lefteris Papagiannakis.

 

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