Pala, dans un bidonville de Dzoumogné, à Mayotte. Crédit: Romain Philips
Pala, dans un bidonville de Dzoumogné, à Mayotte. Crédit: Romain Philips

Pala*, 32 ans, a été interpellé en décembre dernier par la police puis renvoyé en moins de 24h aux Comores, sans sa femme et ses filles. Il est immédiatement remonté dans un kwassa-kwassa pour retourner auprès de sa famille à Mayotte. Témoignage.

"En décembre dernier, j’ai été expulsé. Je me suis fait arrêter par la police le 27 décembre, et le lendemain, j’étais déjà aux Comores. Quand ils m’ont interpellé à Mayotte, j’étais en train de faire un petit boulot sur un chantier. Je suis sorti pour prendre un sac de ciment dans un chemin très étroit. J'ai entendu une voiture rouler tout doucement mais je ne me suis pas méfié, c’est quand j’ai vu les deux autres personnes qui étaient avec moi commencer à courir que j’ai compris. Et donc j’ai couru aussi.

Les gendarmes français nous ont poursuivis et l’un d’eux a utilisé un taser pour m’arrêter. Ça m’a stoppé immédiatement tellement ça me faisait mal. À ce moment, c’est dur de dire ce qu’on ressent. Ce qui est sûr, c’est qu’on se sent vraiment désespéré quand on se fait attraper. Si tu n'as aucun document, tu n’as aucune chance de rester. Moi, tout de suite, j’ai pensé à mes enfants et à comment j'allais faire pour revenir auprès d’eux.

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"Il fallait que je me batte pour les retrouver"

Pala a trois filles, toutes nées à Mayotte. Quand un Comorien en situation irrégulière est interpellé sur le territoire de Mayotte, c’est à bord du Maria Galanta qu’il est embarqué. Le bateau fait quotidiennement des allers-retours entre l’île d’Anjouan, aux Comores, et Petite-terre, à Mayotte.

Ma femme a réussi à m’appeler sur Messenger quand j’étais dans le bus qui m'a amené au Maria Galanta. Je me suis mis à pleurer, je ne pouvais pas m’en empêcher. J’ai réussi à me calmer avant qu’elle me passe mes filles au téléphone. J’étais désespéré. Je me demandais comment allait faire ma femme car elle n’a pas de travail. C’est moi qui subvenais à leurs besoins. Qu’est-ce qu’elles vont devenir ? Combien de temps ça va me prendre pour revenir à Mayotte ? Qui va s’occuper de mes enfants ? Quand on te ramène aux Comores, c’est toutes ces questions qui fusent dans ta tête.

J’avais même peur que ma femme se prostitue pour nourrir les filles car pour une femme sans papiers, les moyens d’avoir un boulot sont très minces. Elle ne pouvait pas faire comme moi et travailler dans le bâtiment. Tout ça, c'est ce qui m’a le plus motivé pour revenir le plus vite possible. Je me répétais sans cesse qu’il fallait que je me batte pour retrouver mes filles que j'adore.

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"Toujours les mêmes mauvais souvenirs"

Je suis donc revenu à Mayotte un peu plus d’une semaine après mon expulsion à Anjouan. Très vite, j’ai pris une place dans un kwassa-kwassa et j’ai refait la traversée. Et c'étaient toujours les mêmes mauvais souvenirs que la première fois. L’eau qui rentre dans le bateau surchargé, la peur de se faire attraper par les gendarmes en approchant Mayotte… Plus jamais je ne veux monter dans un kwassa-kwassa.


Un gendarme passe devant une pelleteuse durant la démolition du bidonville de Longoni, à Mayotte, le 27 avril 2023. Crédit : Romain Philips pour InfoMigrants
Un gendarme passe devant une pelleteuse durant la démolition du bidonville de Longoni, à Mayotte, le 27 avril 2023. Crédit : Romain Philips pour InfoMigrants


J’ai eu de la chance et j’ai réussi à accoster à Mayotte. C’était un samedi soir, il était très tard. Ma femme m’a dit de me cacher le dimanche matin pour faire la surprise de mon retour le dimanche soir aux filles. C’était un jour de fête. Elles étaient très contentes de me revoir. Elles ont vraiment sauté de joie car tous n’ont pas la "chance" que j’ai eu. Beaucoup de personnes renvoyés n’arrivent pas à revenir si vite et leurs enfants se retrouvent seuls ici.

Mes filles n’arrêtaient pas de me demander pourquoi je les avais quittés. J’ai dû leur expliquer que ce n’est pas moi qui avait décidé de partir, que je n’avais pas eu le choix et que c’étaient les policiers qui m’avaient attrapé et que j’avais dû faire l’impossible pour rentrer.

Maintenant quand je sors, elles me demandent : “Où tu vas Papa, il faut que tu restes à la maison avec nous. Faut pas sortir, c'est dangereux”. Quand je vais au boulot, il ne faut pas que je tarde à rentrer sinon elles s’inquiètent. 

Wuambushu

Depuis le début de l’opération Wuambushu (reprise, en shimaoré) sur l’île, l’inquiétude grandit. Pala a peur à chaque fois qu’il doit sortir. Il a perdu son petit boulot dans le chantier car il n’ose plus se déplacer la journée.

Depuis que j’ai entendu les infos qui parlent de Wuambushu et qu’on a vu les renforts de la gendarmerie arriver, je fais attention quand je sors car je ne veux pas me faire attraper une seconde fois. Désormais, j'évite la route nationale parce que les flics sont partout. On les aperçoit même à l’entrée du bidonville parfois. En ce moment, ça s’est un peu calmé, ils ont l’air d’être occupés dans d’autres quartiers. Mais avant le ramadan, quand les renforts sont arrivés, c’était vraiment chaud. On ne pouvait même pas sortir sur la route pour faire des achats. On s’enfermait vraiment.

Avant chaque sortie, on se prépare. On demande à ceux du quartier qui sont sortis s’ils ont vu la police, on se renseigne sur les réseaux sociaux pour réunir des infos sur la position des gendarmes…Tout ça pour aller chercher à manger.

Je suis un peu dégoûté parce que moi, je ne demande qu’à pouvoir travailler et faire vivre ma famille. Je veux juste que mes filles puissent aller à l’école. Mais maintenant, je ne peux même plus aller jusqu’à Mamoudzou pour ma demande de titre de séjour à cause des délinquants qui ont provoqué cette opération.

Dans les bidonvilles, la peur de Wuambushu est constante. Toutefois, ils sont nombreux à espérer que l'opération ait un impact sur la délinquance car, tout comme les Mahorais, les habitants de ces quartiers informels sont régulièrement victimes des bandes responsables des vols et agressions sur l'île.

En plus, avoir un rendez-vous, c’est très dur. Pour le dernier, j’ai dû payer 300 euros parce qu’il y a des gens qui prennent les créneaux et qui nous force à les acheter. Et à Mayotte, ils sont très chers. Ce ne sont pas des gens de l’État. Ils profitent de ça pour faire de l’argent.

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*Le prénom a été modifié

 

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