Des milliers de Soudanais tentent de fuir la violence qui gangrène leur pays depuis le début des affrontements mi-avril entre factions rivales. Mais les pays voisins, comme l'Égypte, accueillent avec réticence ces réfugiés.
"La milice se cachait dans notre immeuble et l'armée soudanaise l'a attaquée", raconte Nidal, habitante de Khartoum, la capitale du Soudan. Jointe par téléphone, cette mère de 29 ans a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. "[Avec mon mari], nous avons attendu un moment de répit, nous avons pris notre fille, un sac avec nos passeports, nos diplômes universitaires, et nous nous sommes enfuis", se souvient-elle.
"Nous avons tout laissé derrière nous, notre maison, nos amis, ma famille, et mon ordinateur portable avec toutes nos photos", explique Nidal, la voix tremblante.
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La famille s’est d’abord précipitée vers un quartier plus calme, avant de monter dans un bus jusqu'au village de Gallabat, à la frontière avec l'Éthiopie. Une fois la frontière passée, la famille a trouvé un abri et de quoi manger dans le village éthiopien de Metema.
"Ici, je me sens en sécurité", dit Nidal, mais "nous ne savons pas vraiment ce que nous devons faire maintenant". Sa fille de trois ans, très touchée par les événements, ne cesse de lui demander pourquoi on leur a tiré dessus et "pourquoi nous ne pouvons pas rentrer chez nous".

Absence d’aide internationale
Depuis le début des affrontements, mi-avril, entre les forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et le chef du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), Mohammed Hamdan Dagalo, dit "Hemedti", des milliers de ressortissants étrangers ont été évacués par avion. Mais pas les Soudanais.
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Les civils soudanais sont livrés à eux-mêmes et dépendent des groupes locaux qui coordonnent l'aide et l'information par l'intermédiaire de groupes de discussion WhatsApp et sur les réseaux sociaux.
"Les Soudanais utilisent les réseaux sociaux pour partager des informations sur les itinéraires qu'ils ont empruntés, signaler les difficultés et les restrictions afin d'aider leurs concitoyens à prendre des décisions", observe Michelle D'Arcy, directrice pour le Soudan au sein de l'organisation norvégienne People's Aid.
"L'un des principaux défis actuellement est l'accès à l'argent liquide. Les banques sont fermées et les autres moyens d'envoyer de l'argent ne fonctionnent pas", explique Michelle d’Arcy, qui précise que "les prix de la nourriture, du carburant et des transports grimpent en flèche".
Sur Twitter, certains affirment que des billets de bus entre Khartoum et la frontière égyptienne coûtent désormais jusqu'à 400 dollars (un peu plus de 360 euros), soit dix fois plus que le prix habituel.
Par conséquent, tous ceux qui souhaitent quitter le pays ne sont pas en mesure de le faire. "Se déplacer n'est pas possible pour tous, et en plus, il est risqué de voyager dans la situation actuelle", explique Michelle D'Arcy.

Crise humanitaire
Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 3 500 personnes avaient franchi la frontière soudanaise pour se rendre en Éthiopie en fin de semaine dernière. Les autorités tchadiennes font état, elles, d'environ 20 000 réfugiés soudanais dans le pays. Au Soudan du sud, les autorités de Juba affirment avoir accueilli quelque 5 500 personnes, en majorité des ressortissants sud-soudanais. De son côté, le ministère égyptien des Affaires étrangères a déclaré que 16 000 personnes étaient déjà arrivées en Égypte, alors que des milliers d’autres attendaient de pouvoir entrer dans le pays.
Mohamed Adam, un étudiant en médecine de 21 ans, a raconté au journal britannique The Independent qu'il a attendu près de 36 heures à la frontière égyptienne alors que le thermomètre frôlait les 40 degrés. "Les gens sont extrêmement stressés" et manquent d’eau et de nourriture, a-t-il témoigné.
"L'une des tragédies [du conflit actuel au Soudan] se déroule à la frontière entre le Soudan et l'Égypte, où même les détenteurs de passeports britanniques se sont vus refuser un visa pour entrer en Égypte", note Sami Hamdi, directeur général de la société de conseil The International, basée à Londres.
Il explique cette situation notamment par la crise économique qui frappe le pays. D’après lui, "l’Égypte va se servir de cette situation migratoire à ses portes pour obtenir des financements et un soutien internationaux."

Les Soudanais en Libye
La situation en Libye voisine est quelque peu différente. Là-bas, ce n'est pas l'absence de visa qui empêche les civils soudanais d'entrer, mais les problèmes de sécurité dans le sud du pays. La région est aux mains de nombreux groupes armés qui pratiquent des enlèvement et opèrent dans la contrebande d'armes.
C'est la raison pour laquelle Isaac a dit à sa femme de rester au Soudan. "J’ai trop peur des trafiquants d'êtres humains à la frontière entre la Libye et le Soudan", confie-t-il dans un café du centre-ville de Misrata, à quelque 200 kilomètres à l’est de la capitale Tripoli.
Depuis le début des affrontements, il rencontre d'autres Soudanais ici tous les soirs après le travail pour regarder les bulletins d’informations à la télévision.

Même peur pour Fadel Shawkat qui a quitté le Soudan pour se rendre en Libye en 2019. "Mon père a été tué dans les combats actuels, et maintenant mes deux jeunes frères sont seuls", explique-t-il. "Je n'ai pas réussi à entrer en contact avec eux", ajoute l’homme de 42 ans.
Il estime que le voyage est désormais trop risqué pour que ses frères viennent le rejoindre, en passant par le sud de la Libye. "Je ne connais personne qui les emmènera à la frontière", assure-t-il.
Comme les autres Soudanais en Libye, il dit ne s'attendre à aucune forme d’aide de la part du gouvernement soudanais ou de son pays d'accueil.
"Que ce soit en Libye, en Égypte, au Tchad, en Éthiopie ou en Somalie, tout le monde observe avec une grande inquiétude ce qui se passe au Soudan", constate l’expert Sami Hamdi. "Mais pour les puissances régionales, il s'agira moins de résoudre le problème du Soudan que de s'assurer qu'elles ne souffrent pas de cette crise, même si cela signifie de devoir fermer la porte au Soudanais plutôt que de les aider."
Auteurs : Jennifer Holleis, Islam Alatrash
Source : dw.com