Des jeunes Erythréens en Tunisie. Crédit :Tarek Guizani / InfoMigrants
Des jeunes Erythréens en Tunisie. Crédit :Tarek Guizani / InfoMigrants

Yonas, réfugié au Royaume-Uni, a entamé une demande de regroupement familial pour faire venir ses deux frères cadets vivant au Soudan. La famille, originaire d'Érythrée, s'était réfugiée dans le pays voisin, pour fuir la dictature. Témoignage.

"J’aime mon pays. La politique est la raison principale qui m’a poussé à partir. Vivre là-bas est très dur, surtout en tant qu’adolescent. C'est pourquoi j'ai quitté l'Érythrée". Yonas est réfugié au Royaume-Uni.

Le jeune homme n'entre pas dans les détails, mais il semble faire référence au service militaire obligatoire qui oblige la plupart des jeunes Érythréens à passer plusieurs années, voire toute leur vie, dans l'armée.

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Installé en Europe, Yonas s'inquiète désormais pour ses frères, qui avaient trouvé refuge au Soudan, désormais en proie à une conflit armé. Ses deux frères, âgés de 17 et 14 ans, vivaient ensemble à Khartoum avant que les combats n'éclatent.

Yonas n'a pas eu de nouvelles d'eux depuis plus de deux semaines. Il ne sait ni où ils se trouvent actuellement, ni s'ils sont en sécurité. "C'est une mauvaise situation, ils ont déménagé au pire moment, je n’ai aucune information. Je suis très inquiet pour eux."

"Je ne sais pas où sont mes frères"

Avant que le conflit n'éclate au Soudan, Yonas avait entamé des démarches de regroupement familial pour faire venir ses frères au Royaume-Uni. Il dit avoir suivi les règles à la lettre pour monter son dossier. Il a déposé sa demande en avril dernier, après avoir passé un an à rassembler les documents nécessaires.

Au téléphone, il dresse une longue liste d’entretiens, de formulaires et de documents exigées par les autorités britanniques. Son dossier semblait sur le point d’aboutir lorsque le conflit a éclaté au Soudan. "J'ai payé de l'argent, j'ai eu un entretien avec les services sociaux, ils ont téléphoné à mes frères, ils avaient un rendez-vous le 11 mai. C'était pour prendre leurs empreintes digitales, mais maintenant je ne sais pas où ils sont."


Les combats à Khartoum ont poussé des milliers d’habitants à fuir la capitale soudanaise. Crédit : Picture alliance
Les combats à Khartoum ont poussé des milliers d’habitants à fuir la capitale soudanaise. Crédit : Picture alliance


"Actuellement, tout est fermé", se désole Yonas, en parlant de l’ambassade britannique à Khartoum, dont le personnel a été évacué pour des raisons de sécurité, tout comme la plupart des ressortissants étrangers au Soudan.

"J’appelais mes frères quatre ou cinq fois par jour. Ils avaient beaucoup de problèmes pour trouver de quoi manger, ils mouraient de faim. Une fois, j'ai entendu du bruit qui faisait penser à quelqu'un qui coupe des légumes, des tomates ou des pommes de terre. Je leur ai demandé ce qu'ils faisaient et ils m'ont répondu qu'il s'agissait du bruit de tirs ou de bombes. Ils m'ont dit qu'il n'y avait plus de nourriture, que les magasins étaient fermés, qu'ils avaient peur de sortir et qu'il y avait des coups de feu autour de chez eux. Après cette conversation, je n'ai plus eu de nouvelles d'eux", raconte Yonas.

"Je ne veux pas y penser", répète-t-il, en tentant d'imaginer les raisons du silence de ses frères. "J'espère simplement qu'ils ont perdu leur téléphone ou qu'ils ne peuvent pas le recharger."

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Yonas a des amis au Soudan, des gens de confiance, dit-il, avec lesquels il a grandi. L’un d'entre eux lui a promis qu'il s'occuperait de ses frères, mais ne donne également plus de nouvelles.

"Je ne veux pas que mes frères vivent ce que j'ai vécu. C’était horrible", explique Yonas, qui refuse à l’idée de voir ses frères emprunter la même route migratoire que lui pour venir en Europe.

Avant d’arriver au Royaume-Uni, Yonas est passé par la Libye, puis a traversé la mer Méditerranée pour rejoindre l’Italie, puis la France et la Belgique. Au total, il a mis deux ans pour atteindre l'Angleterre, il avait alors 16 ans.

"Risque d’exploitation et de violences"

"Ils doivent attendre le regroupement familial", plaide-t-il. Reste que la procédure est non seulement longue mais aussi pratiquement au point mort, selon Nick Beales, responsable des campagnes de l'organisation caritative britannique RAMFEL (Refugee and Migrant Forum, Essex and London).

Il confirme que Yonas n'est pas le seul à éprouver actuellement un sentiment "d'impuissance et de désespoir".

L’organisation RAMFEL soutient en ce moment 10 personnes au Royaume-Uni qui tentent de faire venir des membres de leur famille dans le cadre du programme de regroupement familial. Huit d'entre elles, dont Yonas, sont originaires d'Érythrée et cherchent pour la plupart à faire venir leurs jeunes frères et sœurs ayant fui l'Érythrée pour le Soudan. Deux d'entre eux sont Soudanais et tentent de faire sortir les membres de leur famille du pays.

"La société soudanaise fait déjà preuve d'une grande discrimination à l'égard des Érythréens. Il est évident qu'en tant que mineur non accompagné, vivant souvent sans papiers au Soudan, vous êtes exposé à un risque énorme d'exploitation, de violences, de violences sexuelles, de trafic et d'esclavage moderne. Et c’était déjà le cas avant que ce nouveau conflit n'éclate. Aujourd'hui, ces enfants courent un danger inimaginable. Ils ont tous des liens au Royaume-Uni et le gouvernement britannique n'a rien fait pour faciliter leur venue en toute sécurité dans le pays", déplore Nick Beales.

"Ne pas avoir quelqu'un de sa famille à ses côtés, c'est comme être amputé d’une partie du corps"

En tant qu’aîné de la famille, Yonas estime qu’il a "beaucoup de responsabilité" envers ses frères, mais aussi sa mère, qui vit toujours en Érythrée. Il travaille actuellement à Londres à plein temps dans une usine de recyclage. "J'ai pu étudier et aller à l'université. J'ai appris l'anglais, même si je peux encore m’améliorer. Après le travail, je ne sors pas beaucoup, j'ai tendance à rentrer chez moi", confie-t-il. "Ma famille me manque, je voudrais qu’on puisse vivre ensemble", ajoute le jeune homme.

Dans un rapport de 2018 de l' agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), de nombreux Érythréens au Royaume-Uni ont dénoncé l’impossibilité pour leur famille de les rejoindre. Les personnes interrogées ont estimé que le programme de regroupement familial ne tenait pas compte de l'importance de la famille dans la société érythréenne.


L'Érythrée est de plus en plus militarisée depuis le conflit avec l'Éthiopie en 2000. Crédit : Picture alliance
L'Érythrée est de plus en plus militarisée depuis le conflit avec l'Éthiopie en 2000. Crédit : Picture alliance


"Ne pas avoir quelqu'un de sa famille à ses côtés, c'est comme être amputé d’une partie du corps. L'absence de cette personne vous affecte, quelle que soit votre situation ici (au Royaume-Uni) ou le travail décent que vous avez", ont expliqué des Érythréens aux chercheurs du HCR.

L’agence onusienne note que "le fait de pouvoir retrouver les membres de sa famille peut jouer un rôle essentiel en aidant les bénéficiaires d'une protection internationale à reconstruire leur vie et en leur apportant un soutien crucial. Cela peut avoir une incidence fondamentale sur leur capacité à s'intégrer dans leur nouveau pays et constitue souvent une étape cruciale de leur intégration".

Le HCR recommande ainsi d’accorder aux mineurs isolés installés au Royaume-Uni le droit de parrainer certains membres de leur famille. L'agence estime qu’il faut élargir la définition de la "famille" afin que des jeunes ayant atteint l'âge de 18 ans et les parents âgés puissent également prétendre au regroupement familial.

Mais au lieu d’assouplir les règles, le nouveau projet de loi sur l'immigration britannique va vers un renforcement des critères.

 

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