En Europe, on estime que plus de 100 000 personnes sont détenues dans des centres de rétention, comme ici à Vydeniai, en Lituanie. Crédit : EPA
En Europe, on estime que plus de 100 000 personnes sont détenues dans des centres de rétention, comme ici à Vydeniai, en Lituanie. Crédit : EPA

Les gouvernements européens concentrent de plus en plus leurs efforts sur les questions de la rétention et de l’expulsion des migrants. PICUM, un réseau d’ONG basé à Bruxelles, estime que cette approche ne dissuadera pas les demandeurs d'asile de venir en Europe.

Une série de pays européens a intensifié ses efforts en vue d’empêcher les demandeurs d'asile d'entrer ou de rester sur leur territoire.

Le gouvernement britannique continue de faire avancer son projet de loi sur l'immigration clandestine, qui vise à faire de la traversée de la Manche par bateau un délit afin de placer en détention toute personne arrivant par cette voie. Le ministre de l'immigration, Robert Jenrick, répète toutefois qu’il s’agit de créer un "effet dissuasif" pour empêcher les gens de tenter ce dangereux voyage.

De son côté, l’Italie a adopté une loi la semaine dernière - le décret Cutro, relatif au naufrage du 26 février - qui restreint les droits des migrants.

L'Allemagne, qui a reçu plus de 101 000 demandes de protection au cours des quatre premiers mois de l'année et qui accueille le plus grand nombre de demandeurs d'asile en Europe, a également annoncé cette semaine des mesures pour expulser davantage de personnes et plus rapidement. Par ailleurs, les personnes menacées d’expulsion pourraient désormais être détenues pendant quatre semaines, au lieu de 10 jours.

Aucune preuve de l'effet dissuasif

Plus largement, l’objectif de l'Union européenne (UE) est de disposer d'un système efficace permettant de renvoyer davantage de migrants dans leur pays d'origine tout en dissuadant d’autres d'emprunter la route clandestine vers l'Europe.

Mais pour Marta Gionco de PICUM, un réseau d'ONG de défense des droits des migrants, ce dispositif est vain. En effet, selon elle, rien ne prouve que le renvoi d'un plus grand nombre de migrants entrainera un effet dissuasif.

"Les gens sont très conscients des risques qu'ils encourent en venant en Europe et ils décident quand même de le faire pour de multiples raisons", assure Marta Gionco à InfoMigrants. "Même si cela avait un effet dissuasif, nous devons prendre en compte les implications en matière de droits de l'Homme. Car nous essaierions alors de dissuader des personnes d'exercer leurs droits, d'essayer de venir en Europe pour bénéficier d'une protection", ajoute-t-elle.

Recours juridique par visioconférence

Pour accélérer les retours, l’UE voudrait également rendre les recours juridiques plus difficiles lorsqu'il s'agit d'une décision d'expulsion.

En mars dernier, la Commission européenne a ainsi recommandé aux États membres d'expulser les demandeurs d'asile même pendant leur procédure d'appel. Pour l'UE, ce recours peut être mené par visioconférence depuis un pays tiers, même à des milliers de kilomètres du continent européen.

"C'est extrêmement dangereux, commente Marta Gionco. S’imagine-t-on vraiment qu’une personne expulsée vers la Syrie, le Soudan, ou la Libye, pourra faire appel de la décision sur Skype via son pays d'origine ? Il est complètement absurde de penser que les gens pourront exercer leur droit de recours depuis un autre pays. Et que se passera-t-il si les tribunaux donnent raison aux demandeurs ? Seront-ils alors à nouveau transférés vers l’Europe ?"

Davantage de centres de rétention

Tout en essayant d'accélérer les retours, certains pays de l'UE construisent également de nouveaux centres de rétention pour en vue d'un renvoi des personnes en situation irrégulière. La Commission européenne a récemment proposé de construire suffisamment de centres fermés pour accueillir toutes les personnes faisant l'objet d'une décision d’expulsion.


La Commission européenne a proposé de construire suffisamment de centres de rétention pour accueillir tous les migrants ayant fait l'objet d'un avis d'expulsion. Crédit : Picture alliance
La Commission européenne a proposé de construire suffisamment de centres de rétention pour accueillir tous les migrants ayant fait l'objet d'un avis d'expulsion. Crédit : Picture alliance


De nombreux États, comme l'Allemagne, prolongent également les périodes de détention.

Selon Marta Gionco, "l’idée d’avoir plus de temps pour organiser leur expulsion parce que vous pouvez les détenir plus longtemps" est une hypothèse erronée.

Pour elle, "le fait de détenir les gens plus longtemps ne facilite pas leur retour. En général, les personnes sont expulsées dans les premières semaines (après l’avis d’expulsion), et si elles ne le sont pas, cela signifie qu'il est compliqué de les renvoyer, parce que les autorités ne collaborent pas, ou parce qu'elles n'ont pas de documents, ou encore parce qu'il est difficile de les identifier. Il n'y a absolument aucune raison de construire de nouveaux centres de détention".

Des alternatives à l'expulsion

Alors que l'UE "fait une fixation sur les retours", selon Marta Gionco, certains pays adoptent des approches différentes. Au niveau local en particulier, de nombreuses initiatives s'avèrent fructueuses.

"Certaines autorités locales tentent de mettre en œuvre des programmes qui offrent un hébergement aux personnes sans papiers, qui les soutiennent et les aident à déterminer s'ils peuvent régulariser leur situation et de quelle manière. C'est le cas aux Pays-Bas et en Belgique. Les municipalités se rendent compte qu'il faut aller dans une autre direction", soutient-elle.

Certains États ont également pris des mesures plus positives, à l'image de la loi allemande sur le droit de séjour, adoptée en 2022, qui permettra aux personnes faisant l'objet d'un séjour toléré (Duldung) de régulariser leur situation plus facilement. En Irlande et en Espagne, de nombreux sans-papiers ont déjà obtenu un statut légal, tandis que la Belgique et l'Allemagne se sont engagées à mettre fin à la détention des enfants.

>> À (re)lire : J’ai obtenu une protection dans un pays de l’UE, puis-je demander l’asile en France ?

"Je pense que la solution consiste à se concentrer sur ces bonnes mesures et à les étendre, plutôt que d'abandonner ou de céder aux discours d'extrême droite basés sur la restriction d’accès au territoire, sur la peur et sur la stigmatisation", confie Marta Gionco.

 

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