Capture d'écran de la vidéo publiée par le New York Times, montrant l'embarquement de 12 migrants, dont une majorité d'enfants, peu avant que ce groupe soit laissé à la dérive en mer par des garde-côtes grecs. Crédit : New York Times
Capture d'écran de la vidéo publiée par le New York Times, montrant l'embarquement de 12 migrants, dont une majorité d'enfants, peu avant que ce groupe soit laissé à la dérive en mer par des garde-côtes grecs. Crédit : New York Times

Mi-avril, des garde-côtes grecs ont placé sur un canot à la dérive en mer Égée un groupe de migrants, en majorité des enfants, dont un nourrisson. Le groupe se cachait sur l'île de Lesbos quand il a été intercepté puis placé sur une embarcation en mer. Ce refoulement, strictement interdit par le droit européen et international, a été révélé par le New York Times dans une vidéo.

Alors que les autorités grecques continuent de nier la pratique des refoulements à chaud, interdite par le droit international, le New York Times (NYT) a publié vendredi 19 mai une enquête à partir d'une vidéo édifiante.

Les images montrent un pushback survenu le 11 avril, depuis l'île de Lesbos, selon le média américain. Sur la vidéo filmée par un activiste autrichien, du début à la fin de l'opération, on voit d'abord 12 migrants, parmi lesquels sept enfants dont un nourrisson de six mois tenu dans les bras, sortir d'un véhicule banalisé.

Le groupe se cachait dans un bois de Lesbos, qu'il avait rejoint la veille, via un réseau de passeurs. C'est là que "des hommes masqués les ont rassemblés et dépouillés de leurs biens" avant de les forcer à monter dans ce van blanc et de les y "enfermer", retrace le NYT.

Arrivé sur le rivage, de nouveaux hommes masqués les obligent, un à un, à monter à bord d'un canot à moteur. Ils sont ensuite débarqués sur un navire des garde-côtes grecs, cette fois tout à fait identifiable. Ce bateau est "principalement financé avec des fonds de l'Union européenne", rappellent les journalistes.

Peu de temps après, les migrants sont mis à l'eau sur un canot gonflable, identiques à ceux utilisés en cas d'urgence. Et laissés à la dérive.

"Ils l'ont fait sans aucune pitié"

"Nous ne nous attendions pas à survivre ce jour-là", a déclaré Mme Aden, une Somalienne de 27 ans, au NYT. "Quand ils nous ont mis sur le radeau pneumatique, ils l'ont fait sans aucune pitié."

Les journalistes ont retrouvé, dans un centre de rétention à Izmir en Turquie, 11 personnes du groupe, issues de Somalie, Érythrée et Éthiopie. Parmi elles, Mme Abdullahi, veuve, originaire de Somalie, qui a fui la guerre au Yémen direction l'Europe avec ses enfants âgés de 2 à 17 ans.

Toutes les personnes retrouvées témoignent, comme elle, avoir passé au moins un an en Turquie avant de trouver l'argent nécessaire et une place sur un bateau pour rejoindre Lesbos. "Je voulais juste aller dans un endroit où je pourrais être en sécurité", a témoigné Mme Aden.

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Après avoir dérivé en mer, le groupe s'est en effet retrouvé dans les eaux territoriales turques. Une heure après leur abandon par les Grecs, deux bateaux des garde-côtes turcs sont venus leur porter secours pour les ramener sur la terre ferme.

Ce jour-là, les autorités turques ont déclaré avoir secouru "12 migrants irréguliers sur le canot de sauvetage qui a été repoussé dans les eaux territoriales turques par des agents grecs".

Une pratique régulièrement enquêtée

Les vidéos, en retraçant l'opération de refoulement de A à Z, constituent "peut-être la preuve la plus accablante à ce jour de la violation des lois internationales et de l'UE par les autorités grecques", commente le NYT.

Saisie, la Commission européenne à Bruxelles s'est déclarée "préoccupée" par les images et a promis de prendre attache avec les autorités grecques, qui n'ont pas donné suite aux sollicitations des journalistes.

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"L'utilisation de ces radeaux sans moteur a été documentée dans le passé, mais les autorités grecques ont nié y avoir laissé des migrants à flot, car ils ne sont pas navigables et peuvent se renverser", rappelle le NYT.

Si c'est la première fois qu'une telle preuve vidéo existe, le collectif international de journalistes Lighthouse Reports a ainsi plusieurs fois enquêté sur ce type de pratiques. En février 2022, le consortium avait retracé l'histoire de Sidy Keita, ressortissant ivoirien, et de Didier Martial Kouamou Nana, Camerounais, dont les corps avaient été retrouvés échoués sur les côtes turques. L'enquête avait abouti à la description d'une "nouvelle tactique" des garde-côtes grecs, "consistant à jeter de petits groupes de demandeurs d'asile par-dessus bord et les faire nager jusqu'en Turquie".

La rédaction d'InfoMigrants reçoit aussi régulièrement des témoignages d'exilés racontant avoir été refoulés en mer par les garde-côtes grecs. Le dernier date de mai 2022 lorsque Brian expliquait qu'un bateau floqué d'un drapeau grec a repoussé son groupe de migrants vers les eaux turques. "Ils nous ont crié dessus et ont pointé leurs armes sur nous", témoignait le jeune homme.

 

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