Le gouvernement a décidé d'ouvrir 3 600 places d'hébergement temporaire en régions pour y transférer des sans-abris parisiens, dont beaucoup de migrants, sur la base du volontariat. Cette décision vise à soulager le dispositif d'hébergement d'urgence d'Île-de-France au bord de l'implosion, mais hérisse certains élus locaux.
Le gouvernement veut-il cacher les sans-abris d'Île-de-France à l'approche des Jeux olympiques (JO) 2024 ? C'est la polémique qui enfle depuis quelques jours.
Lundi 21 mai, le maire de Bruz (18 000 habitants), en Bretagne, a appris de la préfecture qu'un "centre d'hébergement et d'accueil temporaire" allait être créé sur sa commune à la rentrée scolaire 2023.
"Nous ne sommes pas favorables à l'installation d'un tel sas sur notre commune, dans ces conditions que nous jugeons indignes", a fait savoir le maire Philippe Salmon (DVG) à l'AFP. La mairie bretonne critique le choix du terrain, jouxtant une voie ferrée et "pollué par des hydrocarbures et des métaux lourds", et affirme que les futurs occupants du centre d'accueil ne viendraient pas "par choix".
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Mais tout n'est pas si simple. Le ministère du Logement assure que ce dispositif mis en place depuis avril est basé sur le volontariat et n'est pas directement lié à la tenue des JO 2024, ni du mondial de rugby 2023, contrairement à ce qu'affirment de nombreux médias. Dans un premier temps, le ministre du Logement lui-même, Olivier Klein, faisait le lien avec les compétitions sportives, avant de se nuancer ses propos.
"Il n'y a aucune corrélation avec les JO, les associations nous ont sollicités au mois de janvier pour nous demander d'ouvrir de nouvelles places d'hébergement d'urgence", assure le cabinet du ministre Olivier Klein à InfoMigrants.
Désengorger temporairement l'Île-de-France
En réalité, la problématique de l'hébergement d'urgence en Île-de-France est bien plus ancienne. Avec 100 000 places dans la région dont 55 000 en hôtel social, le dispositif est au bord de la rupture.
Depuis la fin de la crise sanitaire et le retour des touristes à l'été 2022, beaucoup d'hôtels franciliens ont décidé de se retirer du dispositif : 5 200 nuitées ont ainsi été perdues pour la seule année 2022, selon le Samu Social.
"Les gens le découvrent maintenant, mais le problème est bien plus ancien", témoigne une source du 115. Interrogé, le cabinet du ministère du Logement reconnaît qu'"il y a une problématique avec les hôtels qui ont besoin de récupérer leurs chambres". Et la tenue de grands événements sportifs dans les prochains mois ne devrait rien arranger.
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Pour éviter l'implosion, le ministère a mis en place début avril un plan de transfert des sans-abris vers la province qui doit permettre d'ouvrir 3 600 places (hors Île-de-France, Hauts-de-France et Corse). Actuellement, 450 personnes bénéficieraient de ce dispositif dans six régions : Bretagne, Grand-Est, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine, Centre-Val de Loire et Bourgogne-Franche-Comté.
"Ce dispositif s'adresse principalement aux hommes et aux femmes isolées, migrants ou pas", détaille le cabinet du ministère du Logement. Une fois accueillis dans ces centres, les sans-abris bénéficient d'un diagnostic social qui permet de les orienter dans des hébergements adaptés, comme les centres pour demandeurs d'asile (CADA). Le gouvernement précise que ces centres d'accueil temporaires ont vocation à fermer fin 2024.
Dix sas régionaux créés pour supprimer les campements
Ce mouvement de transfert en région vise avant tout les migrants. En janvier 2021, le gouvernement a confié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) une mission d'"orientation directive" qui vise à réduire de 46% à 23% la part de primo-demandeurs d'asile enregistrés en Île-de-France d'ici fin 2023.
Là encore, il s'agit de remédier à la saturation de l'hébergement d'urgence. D'après un rapport parlementaire d'évaluation du dispositif qu'InfoMigrants a pu consulter, "l’orientation directive des demandeurs d’asile a permis de réduire, mais pas de supprimer, le nombre de campements insalubres recensés en Île-de-France".
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Pour répondre à ce problème, 10 "sas régionaux" de 50 places maximum sont en train d'être construits. Ces structures "ont été instituées dans le but d’accueillir 500 personnes pour une durée maximale de trois semaines au terme de laquelle les intéressés seront orientés vers une solution correspondant à leur situation administrative", expliquent les députés Stella Dupont et Mathieu Lefèvre (Renaissance) dans leur étude.
Mais une fois de plus, ces sas régionaux concernent un public très large : "Il peut y avoir des demandeurs d’asile en attente d’hébergement, des demandeurs d'asile en procédure Dublin, des réfugiés, ou encore des sans-abris français, donc des gens à la rue et qui ont des statuts très divers", explique la députée du Maine-et-Loire Stella Dupont, jointe par InfoMigrants.
Dans le sas régional d'Angers, sur les 38 premiers arrivants, 21 étaient demandeurs d'asiles. En Moselle, aucune des 29 premières personnes accueillies n'avaient déposé l'asile. Des chiffres qui questionnent forcément la finalité d'un tel dispositif.